Éclairage sur la lente émergence du contentieux pénal de l’environnement
Si les entreprises redoutent l’impact réputationnel et financier des mises en cause pour fraude ayant entraîné une atteinte à l’environnement ou pour greenwashing, les autorités de poursuite judiciaires et administratives françaises ne constatent pas d’explosion du contentieux pénal de l’environnement.
En matière environnementale, « on observe une pénalisation croissante, avec une explosion des plaintes contre les entreprises, et de plus en plus contre leurs dirigeants, voire même contre leurs actionnaires », a rappelé Bénédicte Graulle, avocate spécialisée en droit pénal des affaires, associée de Jones Day, lors d’une journée sur « les entreprises face à la transition environnementale » organisée par l’Ordre des avocats de Paris le 22 mai dernier. Une tendance associée à l’émergence d’un nouvel acteur. « Avant, on avait beaucoup de procédures civiles à l’initiative d’associations. Aujourd’hui, l’État est un acteur majeur du procès pénal dès lors qu’il est donné un poids très important aux plaintes déposés par les ONG. » Le procès pénal est ainsi devenu « un instrument politique, juridique et médiatique et constitue un risque majeur pour l’entreprise compte tenu du risque réputationnel et du risque financier ».
Multiplication des fondements et pénalisation croissante
Dans ce domaine, les mises en cause pour fraude visent le non-respect de normes environnementales susceptible d’entraîner des atteintes à l’environnement. Le greenwashing (ou écoblanchiment) relève davantage des pratiques commerciales trompeuses dans la mesure où il concerne des pratiques susceptibles d’induire le consommateur en erreur – ce qui ne signifie pas nécessairement que l’entreprise commet des atteintes à l’environnement.
La pénalisation croissante observée ces dernières années, et qui a donné lieu à des sanctions exemplaires avec des peines d’emprisonnement ferme, est notamment liée à la multiplication des fondements sur lesquels il est possible de déposer plainte (C. consom. ; C. pén. ; C. envir.), « avec pléthore de nouveaux délits – tels que l’écocide ou l’abstention de combattre un sinistre – et de nouvelles infractions – en étendant à la matière environnementale des infractions telles que les pratiques commerciales trompeuses, par exemple. Le droit pénal de l’environnement comporte aujourd’hui 2 000 infractions », a rappelé l’avocate.
Autre source de difficultés pour les entreprises : « Les normes sont très techniques, alors que souvent il n’y a pas de consensus scientifique – il n’y a pas de définition de ce qu’est la neutralité carbone, par exemple –, les référentiels sont souvent évolutifs et les normes changent constamment », a-t-elle poursuivi. Ce contentieux présente par ailleurs une autre singularité : « La plupart du temps, les ONG ciblent des entreprises qui ne sont pas dans l’inaction mais qui agissent en matière de transition environnementale et qui communiquent sur leur transformation. Ce sont les entreprises qui communiquent qui sont les plus attaquées. »
CJIP, référé environnemental : les évolutions de la procédure
Des adaptations de la procédure pénale ont été adoptées pour la matière environnementale. À commencer par « le référé environnemental, qui, en pratique, est extrêmement compliqué », a-t-elle expliqué. « Le juge des libertés et de la détention, qui statue toute la journée sur des demandes de mise en liberté, se retrouve en grande difficulté quand il doit statuer en matière de référé environnemental, dans des matières extrêmement techniques ». Or, le législateur lui a attribué « des pouvoirs exorbitants » puisqu’il peut « prendre toutes mesures utiles ».
Autre aménagement de la procédure pénale : l’extension de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) à la matière environnementale. Ce nouvel instrument doit permettre d’apporter une réponse pénale rapide, dans un cadre négocié, et dans une optique de réparation du préjudice écologique. Depuis 2020, près de 90 CJIP ont été conclues. Les parquets l’ont fréquemment – voire quasi exclusivement – utilisée dans des affaires de pollution de l’eau ou de l’air. « Oui à la CJIP pour ces infractions-là, mais à condition que l’on explicite un peu les méthodes de calcul de l’amende d’intérêt public et du préjudice écologique, car ce n’est pas toujours très clair. »
Une activité qui reste « modérée » au Tribunal judiciaire de Paris
Procureur adjoint au Tribunal judiciaire de Paris, Vincent Montrieux est en charge de la 4e division du parquet qui regroupe les pôles spécialisés (santé publique, social, consommation, environnement et accidents collectifs). En matière environnementale, la juridiction parisienne dispose d’un pôle de l’instruction spécialisé et d’une chambre correctionnelle à compétence spécialisée (la 31e). Mais dans cette matière, « actuellement, l’activité est assez modérée », a déclaré le magistrat. En matière de fraudes, « nous avons environ 120 procédures par an, avec une priorisation sur le trafic des déchets et le trafic d’espèces protégées », et « nous avons actuellement peu de procédures » en matière de greenwashing. « On observe le développement d’un contentieux pénal qui n’existait pas jusqu’à présent, avec un certain nombre de plaintes et de mises en cause, pour autant, nous n’avons pas eu de vague de condamnations. On est sur un champ qui s’ouvre mais pas encore avéré pour l’instant. »
Allégations environnementales : la DGCCRF intensifie ses contrôles
Délégué à transition écologique de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l’Économie et des finances, Ambroise Pascal a expliqué que les 2 900 agents de cette administration en charge de protéger les consommateurs effectuent environ 100 000 visites-contrôles chaque année dans 60 à 70 000 entreprises. Sur les 50 000 suites données à ces contrôles, la majorité sont des injonctions et des avertissements, et quelques centaines sont des dossiers pénaux (900 en 2023).
En ce qui concerne la matière environnementale, les agents de la DGCCRF effectuent chaque année environ 15 000 visites, qui donnent lieu à une centaine de dossiers pénaux. Et « nous pouvons aussi transmettre des informations à l’Inspection de l’environnement », a précisé le représentant de la DGCCRF en charge de ces contrôles verts. Sur ce terrain, actuellement, les enquêtes les plus emblématiques en matière de fraude concernent la rénovation énergétique – certains dossiers ont donné lieu à des peines de prison ferme. En matière de greenwashing, la DGCCRF intensifie ses campagnes de contrôle des allégations environnementales. En 2023, un peu plus de 1 300 établissements ont ainsi été contrôlés et ces visites ont donné lieu à vingt-deux procès-verbaux pénaux. « Nous privilégions une approche pédagogique, en particulier quand les règles sont nouvelles. » Une approche qui est donc susceptible d’évoluer lorsque les règles ne pourront plus être considérées comme nouvelles.
© Lefebvre Dalloz