Effets en France d’une décision étrangère revêtue de l’exequatur et portée du jugement étranger

La Cour de cassation rappelle l’interdiction de la révision au fond en refusant qu’un jugement californien reconnaissant deux hommes comme les pères légaux d’un enfant puisse produire les effets d’une adoption plénière. La filiation doit être reconnue en tant que telle.

Deux hommes se sont mariés en 2017 en France. En 2019, ils recourent ensemble aux services d’une mère porteuse en Californie. Conformément au droit californien, et en exécution du contrat de gestation pour autrui conclu par les parties, un jugement prénatal est rendu le 5 juin 2019 en déclarant les époux parents légaux de l’enfant à naître de Mme H., déniant à la mère porteuse, ainsi qu’à son conjoint, la qualité de parents légaux et les déchargeant de toute obligation à l’égard de l’enfant à naître. L’enfant est né le 15 août 2019 et les deux hommes commanditaires vont alors assigner le procureur pour voir prononcer l’exequatur du jugement californien et juger que celui-ci produirait les effets d’une adoption plénière.

La Cour d’appel de Paris, en janvier 2023, confirme l’exequatur accordé en première instance, mais infirme le jugement en disant que la décision américaine du 5 juin 2019 produira en France les effets d’une adoption plénière. Le procureur de la République se pourvoit alors en cassation. Il estime en effet que la cour d’appel, en considérant que le jugement prénatal californien revêtu de l’exequatur produisait en France les effets d’une adoption plénière, a procédé à une révision de la décision étrangère.

La Cour de cassation vise l’article 509 du code de procédure civile. Elle rappelle que les jugements étrangers relatifs à l’état des personnes produisent de plein droit leurs effets en France, indépendamment de toute déclaration d’exequatur, mais que leur régularité peut être contrôlée s’il est demandé au juge français de la constater, ce qui est précisément le cas en l’espèce.

Elle affirme ensuite que « lorsque, sans prononcer d’adoption, un jugement étranger établissant la filiation d’un enfant né d’une gestation pour autrui est revêtu de l’exequatur, cette filiation est reconnue en tant que telle en France et produit les effets qui lui sont attachés conformément à la loi applicable à chacun de ces effets ». Elle suit l’argumentation du pourvoi et, statuant au fond, affirme que le jugement américain, revêtu de l’exequatur par une disposition du jugement de première instance non frappée d’appel, doit entraîner la reconnaissance de la filiation en tant que telle.

La décision recèle plusieurs originalités.

Absence de discussion sur l’exequatur en lui-même

En premier lieu, le jugement qui confère l’exequatur au jugement américain n’est pas discuté par la Cour de cassation, parce qu’elle ne le peut pas : le jugement de première instance accordant l’exequatur n’a pas été remis en cause sur ce point, ni par les deux pères d’intention, ni par le ministère public. Seule est discutée la question des effets que ce jugement doit avoir dans l’ordre juridique français, étant entendu que les pères d’intention demandent qu’il produise les effets d’une adoption plénière. Le jugement américain, en ce qu’il a reçu l’exequatur, est définitivement revêtu de l’autorité de la chose jugée et ne peut plus être remis en cause dans l’ordre juridique français, quand bien même sa régularité internationale serait susceptible de poser question au regard des exigences de l’ordre public français en matière internationale. Encore faut-il admettre que depuis l’ouverture de l’adoption aux couples de personne de même sexe, le noyau dur de l’ordre public en la matière paraît largement entamé, et que les espèces doivent faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité au regard du droit au respect de la vie privée et familiale de l’ensemble des personnes concernées. Pourtant la Cour de cassation a montré, dans une décision du même jour que l’affaire sous examen (Civ. 1re, 2 oct. 2024, n° 22-20.883, D. 2024. 1721 ; AJ fam. 2024. 485, édito. V. Avena-Robardet ), qu’elle n’était pas prête à donner son blanc-seing pour toutes les gestations pour autrui intervenues à l’étranger.

En second lieu, et dans la continuité de l’observation précédente, les arrêts de la Cour de cassation portaient généralement, en matière d’enfants nés de gestation pour autrui à l’étranger, sur la transcription, dans les registres français, d’un acte d’état civil dressé à l’étranger. Le contentieux se nouait alors autour de l’application de l’article 47 du code civil, et l’on connait bien la discussion sur les actes « inexacts », en ce qu’ils mentionnent comme mère légale une femme qui n’a pas accouché de l’enfant, déniant aux actes dressés au terme d’une convention de mère porteuse la force probante d’un acte d’état civil, et faisant obstacle à leur transcription. La Cour de cassation, après une demande d’avis à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, avis consultatif, 10 avr. 2019, n° P16-2018-001, Dalloz actualité, 19 avr. 2019, obs. T. Coustet ; AJDA 2019. 788 ; ibid. 1803, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2019. 1084, et les obs. , note H. Fulchiron ; ibid. 1016, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 677, obs. P. Hilt ; AJ fam. 2019. 289, obs. P. Salvage-Gerest ; ibid. 233, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; AJCT 2022. 259, étude S. Benmimoune ; Rev. crit. DIP 2022. 35, chron. C. Bidaud ; RTD civ. 2019. 286, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 307, obs. A.-M. Leroyer ; Dr. fam. 2019. Comm. 139, note J.-R. Binet ; J. Heymann et F. Marchadier, La filiation de l’enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger [à propos de l’avis consultatif de la CEDH, gr. ch. du 10 avr. 2019], JDI 2019. 8), avait alors ouvert la voie à une jurisprudence particulièrement laxiste en autorisant la transcription de l’acte de naissance californien des jumelles Mennesson (Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, n° 10-19.053, Dalloz actualité, 3 déc. 2020, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2019. 2228, et les obs. , note H. Fulchiron et C. Bidaud ; ibid. 1985, édito. G. Loiseau ; ibid. 2000, point de vue J. Guillaumé ; ibid. 2423, point de vue T. Perroud ; ibid. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 677, obs. P. Hilt ; ibid. 843, obs. RÉGINE ; ibid. 951, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1696, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; JA 2019, n° 610, p. 11, obs. X. Delpech ; AJ fam. 2019. 592, obs. J. Houssier , obs. G. Kessler ; ibid. 481, point de vue L. Brunet ; ibid. 487, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2019. 817, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 841, obs. A.-M. Leroyer ; ibid. 2020. 459, obs. N. Cayrol ; JDI 2020. 8, note J. Heymann et F. Marchadier) puisque l’adoption, solution validée par la Cour de Strasbourg, était en l’espèce impossible et inopportune. La Cour de cassation a ensuite rapidement confirmé ce principe de transcription intégrale à propos de deux pères (Civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-11.815, Dalloz actualité, 20déc. 2019, obs. T. Coustet ; D. 2020. 426 , note S. Paricard ; ibid. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 843, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2020. 131 ; ibid. 9, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2020. 81, obs. A.-M. Leroyer ; JDI 2020. 9, note D. Sindres) mentionnés sur l’acte de naissance étranger, en censurant la cour d’appel qui avait ordonné une transcription pour le seul père biologique et rappelé que l’adoption permettait de créer un lien entre l’enfant et son second père. On s’orientait alors vers une solution de principe de transcription, la Cour de cassation semblant considérer que l’exigence de conformité « à la réalité » des faits relatés dans l’acte de naissance étranger devait s’apprécier au regard de la loi étrangère (Civ. 1re, 4 nov. 2020, nos 19-15.739 et 19.50-042, Dalloz actualité, 12 nov. 2020, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2020. 2172 ; ibid. 2021. 657, obs. P. Hilt ; AJ fam. 2020. 664, obs. J. Houssier ; ibid. 616, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2021. 115, obs. A.-M. Leroyer ; 18 nov. 2020, n° 19-50.043, Dalloz actualité, 3 déc. 2020, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2020. 2289 ; ibid. 2021. 657, obs. P. Hilt ; ibid. 762, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2021. 54, obs. C. Latil ; RTD civ. 2021. 115, obs. A.-M. Leroyer ). La position de la Cour de cassation a conduit à des débats soutenus lors de l’adoption de la dernière réforme des lois bioéthiques afin de modifier la rédaction de l’article 47 du Code civil dans le but de rétablir le contrôle du juge sur les GPA réalisées à l’étranger (JO Sénat, Compte rendu intégral des séances du 3 févr. 2021, 4 févr. 2021, p. 742).

La réforme de l’été 2021 est venue ajouter une précision à la fin de l’article 47 du code civil (C. Bidaud, La force probante des actes de l’état civil étrangers modifiée par la loi bioéthique : du sens à donner à l’exigence de conformité des faits à la réalité « appréciée au regard de la loi française »…, Rev. crit. DIP 2022. 35) : la conformité à la réalité des faits relatés dans l’acte d’état civil étranger doit être appréciée au regard de la loi française. Cette précision cherchant à mettre un coup d’arrêt à la position de la Cour de cassation, le contexte juridique change et rend l’établissement de la filiation par la transcription de l’acte étranger plus périlleux.

Dans l’arrêt soumis à nos observations, il n’est pas question d’un contentieux sur la transcription d’un acte d’état civil étranger, mais précisément d’une action en exequatur pour un jugement étranger qui constate en son sein la qualité de parents légaux d’un enfant né de mère porteuse à l’étranger, et des effets qu’il est à même de produire. La problématique n’est pas nouvelle pour les juridictions du fond (v. à cet égard, l’étude de L. Brunet et M. Mesnil, Étude jurisprudentielle sur l’exequatur après GPA à l’étranger, AJ fam. 2023. 374 ), mais la solution de la Cour de cassation, si elle n’apporte pas de précisions dans la mesure où l’exequatur en lui-même n’est pas discuté, ne manquera pas d’attirer l’attention de la doctrine en ce qu’elle répond à la question des effets d’un tel jugement. Elle remplit également son rôle pour unifier la jurisprudence, dans la mesure où de nombreuses juridictions du fond ont été saisies de demandes tendant à reconnaitre une décision étrangère dans l’ordre interne et à dire qu’elles auront les effets d’une adoption plénière, ont répondu à ces demandes de façon variable (v. l’avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, p. 30).

Les conséquences de l’exequatur : effets du jugement étranger

Et précisément, en troisième lieu, l’arrêt suscite des interrogations sur le plan de la méthode du droit international privé. Nous connaissons traditionnellement en droit français deux types de filiation : la filiation dite « biologique » et la filiation adoptive. Si la réforme bioéthique de 2021 a créé un mode d’établissement de la filiation réservé aux couples de femmes qui recourent à la procréation médicalement assistée par le biais d’une double reconnaissance notariée anténatale, nous ne connaissons pas pour l’heure en droit français de double lien de filiation paternelle en dehors d’une adoption. De fait, la gestation pour autrui demeurant strictement proscrite sur le sol français, deux hommes ne sauraient, même pas le biais d’une procréation médicalement assistée, devenir les parents d’un enfant, et il leur faudrait nécessairement passer par la voie de l’adoption.

La Cour de cassation se trouvait en l’espèce face à une alternative : soit admettre que le jugement américain ayant reçu l’exequatur produise les effets d’une adoption plénière, et donc admettre une révision au fond, pourtant proscrite depuis l’arrêt Munzer (Civ. 1re, 7 janv. 1964, JCP 1964. II. 13590, note Ancel ; Rev. crit. DIP 1964. 344, note Batiffol ; JDI 1964. 302, note Goldman) soit admettre que ce jugement produise comme effet d’établir la filiation, et trouver, dans nos catégories françaises de droit international privé, celle qui pourrait accueillir cette institution inconnue.

C’est dire qu’il a fallu, dans l’arrêt soumis à notre étude, que la Cour de cassation élargisse notre catégorie de la filiation afin d’accueillir en son sein un double lien de filiation paternelle constaté dans un jugement étranger qui n’est pas un jugement d’adoption. C’est bien le choix fait par la Haute juridiction, qui s’en justifie dans un communiqué (Communiqué en ligne sur le site de la Cour de cassation, GPA : contrôle du juge sur l’application en France des décisions de justice étrangère) en affirmant que « la filiation doit être reconnue par la France dans le respect de la spécificité de la filiation construite par le droit étranger ». Reste alors à déterminer la loi applicable aux effets de cette filiation : il s’agira de celle désignée par les règles de conflit de lois concernant chacun de ces effets.

La décision peut paraître a priori laxiste, à l’égard des jugements étrangers pris dans le cadre d’une convention de gestation pour autrui, mais il ne faut pas lui faire dire ce qu’elle ne dit pas : rappelons encore que n’est pas ici en cause l’exequatur en tant que tel, mais les effets que doit avoir un jugement étranger revêtu de l’exequatur. En définitive, elle ne fait que rappeler la prohibition de la révision au fond des décisions étrangères, sans pour autant ouvrir grand la porte aux jugements étrangers qui établissent des liens de filiation dans le cadre de convention de gestation pour autrui. Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’arrêt rendu le même jour qui rejette le pourvoi contre une décision d’appel refusant la reconnaissance d’une décision canadienne (Civ. 1re, 2 oct. 2024, n° 22-20.883, préc.), motif pris de sa contrariété à l’ordre public international procédural en raison d’une motivation défaillante.

Objet d’une grande publicité, la décision sous examen s’est accompagnée de la publication du rapport du conseiller M. Fulchiron, de l’avis de l’avocate générale, Mme Caron-Déglise, et d’un communiqué de la Cour de cassation. Nul doute qu’elle ne manquera pas de faire l’objet de nombreux commentaires.

 

Civ. 1re, 2 oct. 2024, FS-B+R, n° 23-50.002

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