Éléments d’équipement installés sur existants et responsabilité décennale : la Cour de cassation fait « machine arrière »

Si les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs.

Le « quasi-ouvrage » n’est plus !

Les spécialistes de droit de la construction n’auront pas besoin d’aller bien plus avant dans la lecture pour comprendre le sens de l’arrêt commenté.

Toutefois, pour les moins initiés, un petit retour en arrière semble nécessaire.

Rappelons-nous : nous sommes le 15 juin 2017.

La Cour de cassation considère à l’occasion d’un arrêt destiné à la plus large diffusion que « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination » (Civ. 3e, 15 juin 2017, n° 16-19.640, Dalloz actualité, 13 juill. 2017, obs. F. Garcia ; D. 2017. 1303  ; RDI 2017. 409, obs. C. Charbonneau ).

Cet arrêt fut un coup de tonnerre dans un ciel (presque) serein.

En effet, contrairement à la lettre de l’article 1792 du code civil, la responsabilité décennale devait dorénavant s’appliquer à l’adjonction d’un élément d’équipement sur existant, c’est-à-dire à des travaux…qui n’étaient pourtant pas constitutifs d’un ouvrage.

La doctrine avait alors vu dans ce revirement l’éclosion d’une nouvelle notion : le « quasi-ouvrage » (C. Charbonneau, L’avènement des quasi-ouvrages, RDI 2017. 409 , préc.).

Cette jurisprudence s’est appliquée sept années durant, jusqu’à ce jour du 21 mars 2024 où la Cour a décidé de faire « machine arrière ».

En effet, dorénavant, « si les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs ».

Bref, la Cour de cassation nous dit aujourd’hui le contraire de ce qu’elle a dit et répété ces sept dernières années (au-delà de l’arrêt du 15 juin 2017 préc., v. not., Civ. 3e, 14 sept. 2017, n° 16-17.323, Dalloz actualité, 26 sept. 2017, obs. F. Garcia ; D. 2017. 1836  ; RDI 2017. 542, obs. P. Malinvaud  ; 26 oct. 2017, n° 16-18.120, Dalloz actualité, 15 nov. 2017, obs. M. Ghiglino ; D. 2017. 2207  ; ibid. 2018. 1328, chron. A.-L. Méano, V. Georget et A.-L. Collomp  ; RDI 2018. 41, obs. C. Charbonneau ; 7 mars 2019, n° 18-11.741, D. 2019. 536  ; RDI 2019. 286, obs. M. Poumarède  ; 13 juill. 2022, n° 19-20.231, D. 2022. 1359 ).

D’aucuns ne manqueront certainement pas de critiquer cette volte-face, criant à l’imprévisibilité du droit et l’insécurité juridique causée par un revirement de jurisprudence applicable aux instances en cours.

Pourtant, la majorité des commentateurs verra sans doute d’un bon œil ce changement de fusil d’épaule : sur le fond, le revirement de jurisprudence était attendu (sinon souhaité) par beaucoup et, sur la forme, la Cour de cassation gratifie le lecteur d’une motivation enrichie qui fleure bon le mea culpa.

Il convient donc de revenir sur ces deux éléments : la solution issue du revirement, d’une part, et les raisons de ce revirement, d’autre part.

La solution

L’arrêt du 15 juin 2017 venait élargir de manière considérable le champ de la responsabilité décennale. La Cour venait « bousculer » la notion d’ouvrage (comme elle avait quelques mois auparavant « bousculé » la notion de réception en élaborant une jurisprudence complexe concernant la réception par lots, Civ. 3e, 2 févr. 2017, n° 14-19.279, Dalloz actualité, 24 févr. 2017, obs. F. Garcia ; D. 2017. 353 ).

Le petit fumiste qui posait un insert de cheminée dans une maison vieille de cinquante ans, le plombier qui installait un nouveau ballon d’eau chaude en lieu et place du précédent ayant rendu l’âme ou encore l’électricien qui posait une climatisation réversible étaient dorénavant susceptibles d’engager leur responsabilité décennale si le matériel installé venait à être défectueux.

En effet, l’insert était susceptible d’entraîner un incendie de la maison, le ballon d’eau chaude défaillant privait ses occupants de la possibilité de faire leur toilette en plein hiver de la même manière que la défectuosité de la pompe à chaleur empêchait l’habitabilité d’une maison privée de chauffage. Bref, ces désordres étaient susceptibles de rendre l’ouvrage impropre à sa destination.

En élargissant le spectre de la responsabilité décennale, la Cour de cassation avait-elle pris toute la mesure des conséquences de son revirement ? Le pouvait-elle seulement ?

Une première question s’est rapidement posée : si les entreprises réalisant des travaux sur existant pouvaient engager leur responsabilité décennale, tombaient-elles sous le coup de l’assurance obligatoire ?

La lecture de l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances devait suggérer une réponse négative. En effet, par principe, l’obligation d’assurance en responsabilité décennale ne s’étend pas à la garantie des existants. Pourtant, contre toute attente et au prix d’une interprétation clairement contra legem, la Cour de cassation venait décider que l’exclusion prévue à l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances ne s’appliquait pas lorsque la responsabilité de l’entreprise était engagée à l’occasion de désordres affectant un élément d’équipement installé sur existant (Civ. 3e, 26 oct. 2017, n° 16-18.120, préc.).

Ce nouvel édifice jurisprudentiel n’a pas manqué de susciter la critique quasi unanime de la doctrine.

Sur la forme, la Cour de cassation faisait étalage d’un pouvoir de création jurisprudentielle que d’aucuns ont si souvent nié, quand ils ne l’ont pas combattu. Il n’en fallait pas davantage pour raviver la question du pouvoir normatif du juge, de ses liens avec le législateur et de la limite souvent ténue interprétation et création (P. Malinvaud, À propos des éléments d’équipement dissociables, observations sur le pouvoir du juge, RDI 2018. 230 ). Comment la Cour de cassation pouvait-elle, d’une part, appliquer la responsabilité décennale à des travaux non constitutifs d’un ouvrage alors que l’article 1792 du code civil s’applique précisément à « tout constructeur d’un ouvrage… » ? Et, l’instant d’après, considérer que la garantie assurantielle des existants n’est pas obligatoire…sauf lorsque l’on se trouve dans l’hypothèse du régime de responsabilité qu’elle vient de créer de toutes pièces ?

Sur le fond, la Cour continuait dans sa politique jurisprudentielle d’extension du champ d’application de la garantie décennale avec, en toile de fond, cette question lancinante : n’était-elle pas allée trop loin ?

Les petits artisans étaient exposés du jour au lendemain à des actions en responsabilité sans avoir souscrit les assurances idoines. Les assureurs voyaient leur risque augmenté sans que la prime versée par l’assurée ne puisse, quant à elle, faire l’objet d’une valorisation en cours de contrat. Enfin, s’agissant du maître d’ouvrage, serait-il exposé à une action en responsabilité décennale en cas de revente du bien dans les dix ans suivant les travaux d’installation de l’équipement ?

Autant de questions qui, dès l’origine, laissaient à penser que cette évolution jurisprudentielle pourrait présenter davantage d’inconvénients que de bienfaits.

On ne peut donc que saluer le courage de la Cour de cassation qui, aujourd’hui, fait machine arrière. L’application de la responsabilité décennale est subordonnée à la présence d’un « ouvrage ». C’est un retour à l’orthodoxie.

Désormais, la responsabilité décennale est applicable :

  • soit, lorsque l’élément d’équipement dissociable est installé au moment de la réalisation de l’ouvrage. Tel sera le cas, par exemple, de volets extérieurs d’un immeuble dont la fixation est déficiente et qui menacent de tomber sur les passants ; de WC suspendus qui refoulent systématiquement et sont inutilisables ; du carrelage désaffleurant et coupant d’une salle de bains ; de baies vitrées non étanches à l’air et à l’eau ou encore d’un plafond en placoplâtre© qui menace de s’effondrer ;
  • soit, comme prend soin de nous le préciser la Cour de cassation, lorsque l’élément d’équipement installé sur existant constitue en lui-même un ouvrage. On peut imaginer, par exemple, l’installation d’un système de chauffage et ventilation sophistiqué nécessitant des travaux d’envergure ou encore l’installation d’un ascenseur dangereux en lieu et place de la cage d’escalier existante.

En revanche, si l’élément d’équipement dissociable est installé sur existant et ne constitue pas un ouvrage à part entière, alors les désordres l’affectant ne relèveront ni de la garantie décennale, ni de la garantie biennale, mais uniquement de la responsabilité contractuelle de droit commun. Il reviendra par conséquent au maître d’ouvrage de rapporter la preuve de la faute de l’entreprise. Cette dernière ne pourra généralement pas compter sur la couverture de son assurance responsabilité civile professionnelle, sauf bien évidemment à ce que les existants fassent l’objet d’une extension de garantie.

Les raisons

Au-delà de la solution apportée par la Cour de cassation, il convient de prêter attention aux raisons justifiant ce nouveau revirement. En effet, la Cour expose de manière détaillée « pourquoi » elle a décidé de modifier sa jurisprudence. Il reste à savoir si les raisons invoquées sont bien celles qui ont présidé à cette nouvelle solution. D’autres, en effet, peuvent être suggérées.

Les raisons invoquées. La Cour de cassation explique que le revirement de 2017 était porteur d’un double espoir : celui de simplifier la règle en appliquant la responsabilité décennale sans distinction selon que l’élément d’équipement était installé sur un ouvrage neuf ou sur un ouvrage existant d’une part, et celui de protéger davantage le maître d’ouvrage qui devait alors pouvoir bénéficier d’un recours contre un débiteur assuré, d’autre part.

La Cour admet que ces deux espoirs ont été douchés :

• d’une part, la généralité de l’attendu de principe de 2017 a ouvert la boîte de Pandore. Les maîtres d’ouvrage n’ont pas manqué d’invoquer la nouvelle jurisprudence pour des problèmes affectant des simples travaux de carrelage ou de réfection d’un enduit. La Cour de cassation n’a pas eu d’autre choix que de « fermer les vannes » en appliquant à la responsabilité décennale sur existants une distinction déjà utilisée pour restreindre le champ d’application de la garantie de bon fonctionnement : seuls les éléments d’équipement destinés à fonctionner pouvaient se la voir appliquer (Civ. 3e, 13 févr. 2020, n° 19-10.249, D. 2020. 390  ; RDI 2020. 253, obs. M. Faure-Abbad  ; ibid. 326, obs. D. Noguéro  ; 13 juill. 2022, n° 19-20.231, D. 2022. 1359 ). Bref, là où la Cour de cassation souhaitait unifier l’application de la responsabilité décennale à l’ensemble des éléments d’équipements, installés sur un immeuble neuf ou sur un existant, elle se voyait contrainte trois ans plus tard…de distinguer.

• d’autre part, le revirement de 2017 n’a pas davantage protégé les maîtres d’ouvrage dans la mesure où les artisans n’ont pas modifié leurs habitudes : ceux qui n’étaient pas assurés hier ne le sont pas davantage aujourd’hui. Il s’agit là d’un constat que l’on peut regretter mais que l’on doit, aussi, tenir pour leçon : d’une part, la Cour de cassation ne doit pas se faire à tout prix le porte-parole systématique d’un maître d’ouvrage déjà largement protégé par ailleurs ; d’autre part, cette protection du maître d’ouvrage ne doit pas peser systématiquement sur la collectivisation du risque et, ce faisant, sur l’assurance obligatoire.

Les raisons suggérées. La Cour de cassation se livre donc sur les raisons de ce nouveau revirement.

Mais le fait-elle vraiment sans retenue ?

En effet, l’on peut se demander si d’autres raisons n’ont pas précipité la « chute » de la jurisprudence de 2017.

On sait, en effet, que le projet de réforme de droit des contrats spéciaux prévoit d’introduire un article 1792-7 du code civil aux termes duquel « ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2 et 1792-3 […] les éléments d’équipement installés sur existant ».

Le but de cet article est, selon les termes du professeur Stoffel-Munck, de revenir « sur une jurisprudence très critiquée » de la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

Le revirement de 2024 n’est-il pas une manière d’éviter un désaveu du législateur devenu inévitable ?

 

Civ. 3e, 21 mars 2024, FS-B+R, n° 22-18.694

© Lefebvre Dalloz