En matière de contestation d’une saisie immobilière, rien ne sert de courir ; il faut partir à point

En application de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, le juge de l’exécution est seul compétent pour trancher les contestations et demandes relatives à la procédure de saisie immobilière.

Pour ce faire, l’article R. 311-5 du code des procédures civiles d’exécution impose une concentration : tout doit être soulevé à l’audience d’orientation à peine d’irrecevabilité prononcée d’office. S’il n’est pas douteux que le juge de l’exécution a pour mission de statuer sur ces contestations et demandes, encore faut-il les formuler au bon moment… Postérieurement à l’audience d’orientation, c’est trop tard ; antérieurement à l’assignation à l’audience d’orientation, c’est trop tôt. 

À l’aune de la déjudiciarisation de l’ensemble des procédures civiles d’exécution (dernièrement la saisie des rémunérations au travers de l’art. 47 de la loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, Dalloz actualité, 7 juin 2023, obs. N. Fricero ; ibid., 28 nov. 2023, obs. F. Kieffer), la saisie immobilière reste l’irréductible procédure judiciaire.

La saisie immobilière qui permet à un créancier de saisir les biens immobiliers de son débiteur et de les faire vendre aux enchères était à l’origine régie par le décret-loi du 17 juin 1938. Lors de la réforme des procédures civiles d’exécution par la loi du 9 juillet 1991, la saisie immobilière n’a pas été réformée. Il existait, à l’époque, un juge de l’exécution pour les saisies mobilières et un juge de la saisie immobilière, et, dans un avis, la Cour de cassation avait estimé que le premier était compétent pour octroyer des délais de paiement pendant la phase précédant la procédure de saisie immobilière tandis que le second avait une compétence exclusive à compter de la publication du commandement de payer valant saisie immobilière (Cass., avis, 5 mai 1995, n° 09-50.005, D. 1995. 154 ; RDI 1996. 101, obs. P. Delebecque et P. Simler ; Civ. 2e, 14 mai 1997, n° 95-12.946 ; 11 mars 1998, n° 95-21.855, D. 1998. 110 ; JCP 1998. 1999). Ensuite, l’ordonnance du 21 avril 2006, ratifiée par la loi du 22 décembre 2010, a entamé une mue en confiant au seul juge de l’exécution la compétence pour statuer sur les contestations et incidents relatifs à la procédure de saisie immobilière au sens de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire.

Par ailleurs, afin d’éviter un allongement de la procédure, la réforme a posé un principe de concentration obligeant de former les contestations à l’audience d’orientation, et ce à peine d’irrecevabilité prononcée d’office (C. pr. exéc., art. R. 311-5). Toutefois, il n’existe aucun texte interdisant au débiteur d’aller au-devant et d’assigner le créancier devant le juge de l’exécution sans attendre la signification à cette audience d’orientation (v. A. Leborgne, Droit et pratique des voies d’exécution 2022/2023, 10e éd., Dalloz Action, spéc. n° 1331.24). L’arrêt commenté permet de préciser la temporalité des contestations dans le cadre de la saisie immobilière.

Reprenons les faits de l’affaire, somme toute assez simples. Par acte notarié du 20 juin 2008, la banque HSBC a consenti à la SCI Joseph un prêt pour financer l’acquisition d’un immeuble de rapport. Ce prêt, d’un montant de 900 000 €, était remboursable sur une période de 120 mois et était garanti par une inscription de privilège de prêteur de deniers publiée le 14 août 2008, renouvelée le 12 juin 2019. Le 11 juillet 2018, la banque HSBC a mis en demeure la société Joseph de rembourser le prêt et, en l’absence de remboursement, a dénoncé la convention de compte liée audit prêt le 14 novembre 2018. Par la suite, la banque a adressé deux nouvelles mises en demeure le 8 mars 2019 et le 27 mars 2019. Lasse d’attendre un éventuel remboursement, la banque, en exécution de l’acte notarié, fait délivrer un commandement de payer aux fins de saisie vente le 9 juin 2020 et un commandement de payer valant saisie immobilière en recouvrement de la même somme le 22 juillet 2020.

Le 9 septembre 2020, sans attendre une assignation à l’audience d’orientation pour la saisie immobilière, la société débitrice assigne la banque HSBC devant le juge de l’exécution en annulation du commandement de payer aux fins de saisie vente et du commandement de payer valant saisie immobilière. L’assignation à l’audience d’orientation n’étant signifiée que le 12 novembre suivant. Par jugement du 26 janvier 2021, le juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Créteil a débouté la banque HSBC de ses demandes de renvoi à l’audience d’orientation, prononcé l’annulation du commandement de payer aux fins de saisie vente, déclaré irrecevable la demande d’annulation du commandement de payer valant saisie immobilière et condamné la société débitrice aux dépens. Cette dernière a donc interjeté appel de la décision.

Le 13 janvier 2022, la Cour d’appel de Paris confirma, d’une part, la décision du juge de l’exécution sur l’irrecevabilité de la demande d’annulation du commandement de payer valant saisie immobilière, mais infirma, d’autre part, la décision concernant l’annulation du commandement de payer aux fins de saisie vente. Sur le premier point, les juges de la cour d’appel, en application de l’article R. 311-1 du code des procédures civiles d’exécution, ont estimé que toutes demandes relatives à la saisie immobilière devaient être formées selon des conditions procédurales spécifiques. Dès lors, dès la délivrance du commandement de payer valant saisie immobilière, les contestations doivent se faire lors de l’audience d’orientation, et ce peu importe que le débiteur ait pris les devants en assignant devant le juge de l’exécution avant d’être assigné à ladite audience d’orientation. Sur le second point, les juges du second degré ont estimé que la qualité de créancier de la banque HSBC Continental Europe avait été démontrée à hauteur d’appel par la production de l’extrait Kbis mentionnant l’absorption de la société HSBC De Baecque Beau par HSBC Continental Europe. Par ailleurs, la créance étant liquide et exigible, il n’y avait plus lieu de maintenir l’annulation du commandement de payer aux fins de saisie vente.

N’ayant pas obtenu gain de cause, le débiteur se tourna naturellement vers la Cour de cassation. Il tenta dans son pourvoi de diviser la procédure de saisie immobilière en deux phases. Celles-ci étant axées sur l’assignation à l’audience d’orientation. Ainsi, selon le demandeur au pourvoi, tant que le débiteur à une saisie immobilière n’a pas reçu la signification de l’assignation à l’audience d’orientation, il peut saisir le juge de l’exécution en annulation du commandement de payer valant saisie immobilière sans suivre la procédure spécifique à la saisie immobilière. Cette demande entrant dans les compétences générales du juge de l’exécution de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire. En revanche, la signification de l’assignation à l’audience d’orientation au débiteur fait démarrer la procédure de la saisie immobilière et l’oblige ainsi à soulever toutes les contestations à cette audience. En déclarant irrecevable la demande d’annulation du commandement de payer valant saisie immobilière alors même que le débiteur avait saisi le juge de l’exécution avant d’avoir reçu la signification de l’assignation à l’audience d’orientation, la cour d’appel aurait violé les articles L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, R. 311-1 du code des procédures civiles d’exécution et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cet argument n’a pas convaincu les magistrats du quai de l’Horloge. Par un arrêt à motivation enrichie – quinze paragraphes de réponse – la Cour de cassation, par une substitution de motifs de pur droit, considère qu’au regard des articles du code de l’organisation judiciaire et du code des procédures civiles d’exécution la procédure de saisie immobilière est engagée à compter de la délivrance d’un commandement de payer valant saisie et se poursuit à l’audience d’orientation. Dès lors, le débiteur ne peut soulever ses contestations qu’à cette audience d’orientation. Il ne peut le faire ni antérieurement ni postérieurement à l’audience, sauf dans les cas prévus par la loi. Ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Ainsi, comme l’énonçait en son temps Jean de la Fontaine, Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.

Rien ne sert de courir

La procédure de saisie immobilière est une procédure spéciale qui est régie par les articles L. 311-1 à L. 334-1 et R. 311-1 à R. 334-3 du code des procédures civiles d’exécution, mais aussi par le livre 1er du même code tant que les règles énoncées ne sont pas contraires au droit spécial. Antérieurement à la réforme de 2006, la procédure de saisie immobilière n’était pas engagée à compter de la délivrance du commandement de payer valant saisie, mais à compter de la publication de l’acte. Désormais, l’article R. 321-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que « la procédure d’exécution est engagée par la signification au débiteur ou au tiers détenteur d’un commandement de payer valant saisie à la requête du créancier poursuivant ». En conséquence, le commandement de payer valant saisie à une double nature juridique : il est un commandement assorti de tous ses effets classiques et il est un véritable acte d’exécution qui vaut saisie. Il s’agit d’une différence avec la saisie mobilière corporelle, puisque la saisie n’est pas engagée par le commandement, mais par le procès-verbal de saisie qui ne peut être dressé qu’après un délai de huit jours (C. pr. exéc., art. L. 221-1 et R. 221-1). Par ailleurs, ce commandement comporte l’indication que faute de paiement dans un délai de huit jours, la procédure se poursuivra devant le juge de l’exécution par la signification d’une assignation à l’audience d’orientation (C. pr. exéc., art. R. 321-3, 4°), assignation qui doit intervenir dans les deux mois de la publication du commandement de payer valant saisie au service de la publicité foncière à peine de caducité de ce dernier (C. pr. exéc., art. R. 311-11 et R. 322-4).

De cette double nature juridique du commandement de payer valant saisie immobilière, il faut en conclure que les règles régissant la procédure de saisie immobilière trouvent à s’appliquer dès la signification du commandement de payer valant saisie. Dès lors, les contestations relatives à la saisie doivent être formées à l’audience d’orientation (C. pr. civ. ex., art. R. 322-15). Cependant, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a pu autoriser une contestation par le débiteur devant le juge de l’exécution antérieurement à la délivrance d’une assignation à l’audience d’orientation (Aix-en-Provence, 10 oct. 2007, n° 07/12609, D. 2008. 1167, obs. A. Leborgne ; JCP 2009, n° 1, chron. 1, obs. A. Leborgne). Dans le silence des textes, ce tempérament avait été rendu possible par le recours à la compétence générale du juge de l’exécution de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire. À l’aune de cette possibilité, la Cour de cassation avait pu retenir que le principe de concentration des moyens de l’arrêt Césaréo (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672, D. 2006. 2135, et les obs. , note L. Weiller ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot ; Procédures 2006. Comm. 201, note R. Perrot ; JCP 2006. Doctr. 183, obs. S. Amrani-Mekki ; ibid. 188, obs. R. Martin ; Gaz. Pal. 2007. 35, note M.-O. Gain ; ibid. 24, note E. Du Rusquec ; JCP 2007. 10070, note G. Wiederkehr) trouvait à s’appliquer, car il y avait deux instances distinctes (Civ. 2e, 24 sept. 2015, n° 14-20.009, Dalloz actualité, 6 oct. 2015, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2016. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ; ibid. 1279, obs. A. Leborgne ; JCP 2015. Act. 1235, note C. Laporte ; RDBF 2015. Comm. 202, obs. S. Piédelièvre). Le débiteur devait soulever tous ses moyens devant le juge de l’exécution, à peine d’irrecevabilité des moyens omis à l’audience d’orientation.

Il faut partir à point

La position de la Cour de cassation évolue dans cet arrêt du 21 novembre 2024, car le débiteur ne peut plus prendre les devants ; il doit attendre l’assignation à l’audience d’orientation pour contester la procédure de saisie immobilière. Pour les magistrats du quai de l’Horloge, les contestations s’élevant à l’occasion de la saisie immobilière et les demandes naissant ou se rapportant directement à la procédure doivent être soulevées à l’audience d’orientation (C. pr. exéc., art. R. 311-5), sauf en cas de dispositions contraires. 

Par exemple, en cas d’actes de procédure postérieurs à l’audience d’orientation, un délai de quinze jours démarre à compter de la notification de l’acte ou pour la demande de vente amiable qui peut être formulée par le débiteur avant même l’assignation à l’audience d’orientation (C. pr. exéc., art. R. 322-20) ou après l’orientation en vente forcée, et ce jusqu’à l’ouverture des enchères (C. pr. exéc., art. L. 322-1). En revanche, une demande de délai de grâce pour suspendre la procédure est irrecevable si elle est soulevée après l’audience d’orientation (Civ. 2e, 26 juin 2014, n° 13-20.560, Dalloz actualité, 9 juill. 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2014. 1457 ; AJDI 2014. 718 ; v. déjà, Civ. 2e, 11 mars 2010, n° 09-13.312, Dalloz actualité, 22 mars 2010, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2010. 102, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et S. Grignon Dumoulin ; ibid. 2011. 1509, obs. A. Leborgne ). La sanction sera radicale, le juge devant soulever la fin de non-recevoir qui est d’ordre public.

Cela ne signifie nullement que le débiteur ayant pris les devants ne pourra plus soulever ses contestations, la Cour de cassation ayant pris le soin de préciser que la décision d’irrecevabilité n’est pas assortie d’une autorité de chose jugée au sens de l’article 1355 du code civil. En effet, l’autorité de chose jugée suppose une triple identité : de parties ayant la même qualité procédurale, d’objet et de cause. L’identité de partie fait ici défaut : le débiteur est le demandeur lorsqu’il assigne le créancier alors qu’il devient le défendeur lorsque le créancier l’assigne à l’audience d’orientation. Il ne peut donc y avoir autorité de chose jugée.

La Cour de cassation précise aussi que ces contestations et demandes doivent être formées conformément à l’article R. 311-6 du code des procédures civiles d’exécution, c’est-à-dire par conclusions signées par un avocat. En effet, la procédure devant le juge de l’exécution est avec représentation obligatoire (C. pr. exéc., art. R. 311-4). En cas de non-respect, le juge de l’exécution relèvera d’office l’irrecevabilité des contestations ou demandes (Civ. 2e, 21 févr. 2013, n° 11-27.635).

En tout état de cause, les magistrats du quai de l’Horloge affirment que cette solution de différer dans le temps la possibilité pour le débiteur de soulever ses contestations à la seule audience d’orientation, donc de ne pas attaquer le premier, n’est pas contraire à l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme (v. déjà pour la conformité à la convention de l’interdiction de soulever des contestations après l’audience, Civ. 2e, 17 nov. 2011, n° 10-26.784, Dalloz actualité, 25 nov. 2011, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2012. 644, chron. H. Adida-Canac, O.-L. Bouvier et L. Leroy-Gissinger ; ibid. 1509, obs. A. Leborgne ). D’une part, cela ne fait que repousser le moment où le juge de l’exécution examinera les contestations, de quatre mois maximum à compter de la signification du commandement de payer valant saisie ; d’autre part, en l’absence d’assignation à l’audience d’orientation dans les délais, le débiteur peut saisir le juge de l’exécution pour obtenir la caducité du commandement de payer (C. pr. exéc., art. R. 121-11 et R. 311-11) en suivant les règles de la saisie immobilière.

 

Civ. 2e, 21 nov. 2024, FS-B, n° 22-12.499

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