Engagement acté des organismes assureurs en faveur de la lisibilité des contrats de prévoyance
À compter du 1er janvier 2025, les assureurs prévoyance proposeront, sur leurs sites internet et à propos de leurs contrats standards, des tableaux d’exemples de prise en charge des risques décès, invalidité et incapacité faisant apparaître, côte à côte et en euros, les prestations servies par la Sécurité sociale, celles versées en application du contrat et le total de celles-ci.
Si tout un chacun sait ce qu’est un contrat de frais santé ou un contrat de prévoyance, il faut une certaine attention et un certain travail pour, à la lecture d’un contrat donné, mettre en exergue les garanties précises de ce contrat et leur réelle portée économique. Ce n’est pas que les organismes assureurs se plaisent à obscurcir la présentation de leurs engagements ; c’est que ces engagements interviennent dans un contexte lui-même difficile à saisir.
D’abord, frais de santé et prévoyance sont des garanties servies en « complément de celles qui résultent de l’organisation de la Sécurité sociale » (v. par ex., CSS, art. L. 911-1) : logiquement, l’expression des garanties est dépendante des nomenclatures définies par la Sécurité sociale, lesquelles nomenclatures ne sont pas accessibles à première lecture.
Ensuite, il n’est pas rare que, en matière de prévoyance des salariés, s’insèrent entre la couverture dite de « base » (celle de la Sécurité sociale) et celle dite « complémentaire » (celle servie par l’organisme assureur) une couverture intermédiaire fixée par la loi ou les conventions collectives (par ex., obligations de maintien de salaire) : de cette accumulation, il peut être déduit à raison que les salariés bénéficient d’une couverture globale satisfaisante ; il faut en revanche de savants calculs actuariels pour, la couverture globale donnée, rendre à chaque intervenant (Sécurité sociale, employeur tenu à une obligation de maintien de salaire, assureur) ce qui lui appartient. C’est peu dire que la valeur de l’intervention de l’organisme assureur n’est pas facilement accessible.
Enfin – et toujours en prévoyance – les organismes assureurs sont libres d’exprimer les prestations qu’ils se proposent de servir. Cette liberté se traduit non seulement par la liberté de proposer, contre un risque donné, des prestations de différentes natures (par ex., contre le risque décès, le payement d’un capital, ou bien le payement d’un capital et/ou l’octroi d’une rente, notamment d’éducation) mais encore par celle de choisir l’énoncé servant à la quantification de la prestation (par ex., tel assureur s’engagera au versement d’une prestation définie sur le salaire net lorsqu’un autre étalonnera son intervention sur le salaire brut).
En elle-même – et pourvu que l’organisme assureur procède avec soin à la rédaction des documents contractuels – cette situation ne nuit pas au preneur d’assurance qui souhaite seulement s’informer de la situation qui sera la sienne une fois le contrat conclu. L’information n’est pas parfaite pour autant. Selon la façon dont est tourné le contrat, quelques indications peuvent manquer, manque qui interdit au preneur d’assurance profane de mesurer l’intérêt économique du contrat. Une garantie incapacité exprimée sous déduction des sommes versées par la Sécurité sociale rend bien compte du montant des indemnités journalières totales que le bénéficiaire percevra – en cela l’information est pertinente – mais ne dit rien de l’apport propre au contrat d’assurance (tout dépend du montant qui sera servi par la Sécurité sociale) : l’utilité du contrat n’apparaît pas. La carence informationnelle, qui peut être regrettable à l’échelle d’un individu isolé, produit évidemment une seconde conséquence de plus large envergure : faute de pouvoir juger rapidement l’utilité économique d’un contrat, les preneurs d’assurance (sauf à être aidés de savants actuaires) sont évidemment dans l’incapacité de comparer les utilités économiques de plusieurs contrats. Le défaut d’accès à l’information est donc de facto un obstacle à une saine concurrence entre des opérateurs dont les produits se ressemblent de loin mais que nul ne peut distinguer de plus près. Derrière la « lisibilité » des contrats sont donc en jeu non seulement l’information de l’assuré quant à la rationalité économique de l’engagement contractuel projeté, mais encore le marché lui-même de l’assurance.
Les spécialistes du secteur souriront peut-être de cette double préoccupation, du moins en ce qu’elle concerne l’assurance collective des salariés. Il n’est pas flagrant qu’il soit pertinent de convaincre un preneur d’assurance de l’utilité de son engagement dès lors que… la loi ou une norme règlementaire l’obligent à se couvrir ; et il n’y a rien d’évident à ce que les pouvoirs publics se préoccupent réellement d’accentuer la concurrence dans ce secteur-là : en dépit de mesures ponctuelles (par ex., loi n° 2019-733 du 14 juill. 2019 relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé), la tendance de fond est à la réduction du « marché », soit par une uniformisation imposée légalement ou par l’arme sociale et fiscale des produits qui y sont offerts (ex. en matière de frais de santé, CSS, art. L. 871-1), soit par la réduction du nombre des acteurs (le phénomène de regroupement des organismes assureurs de personnes mériterait une thèse à lui seul). Et pourtant, dès lors qu’est réservé au preneur d’assurance un espace de liberté, dès lors notamment qu’il est libre de choisir l’organisme assurant sa couverture (et quand bien même le contenu de cette couverture serait commandé par une norme supérieure), le développement de l’information ne saurait être tout à fait inutile.
C’est dans cet esprit que, le 4 août 2022, le ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique avait chargé le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) de travailler à l’accroissement de la lisibilité et la comparabilité de l’assurance prévoyance. Cette mission n’était pas isolée. Semblable action était réclamée parallèlement à propos d’autres produits financiers et d’assurance (placements à long terme et épargne en action, CCSF, avis du 11 avr. 2023), et elle s’inscrivait expressément dans la continuité d’un travail relativement laborieux qui, une dizaine d’années durant et à travers trois avis (CCSF, avis des 19 juin 2018, 10 déc. 2019 et, finalement, 11 mai 2021), avait été mené à propos des contrats frais de santé. Le choix de faire procéder à ce travail le CCSF n’avait rien d’anodin.
Chargé d’étudier les questions liées aux relations entre, notamment, les entreprises d’assurance et leurs clients, et de proposer toute mesure appropriée dans ce domaine, le CCSF est composé de représentants des unes et des autres (C. mon. fin., art. L. 641-1). Il faut comprendre qu’il est un lieu, où à l’abri des interventions extérieures, et notamment de celle du législateur, les acteurs concernés, peu favorables à la loi elle-même, construisent leurs propres normes. La démarche fut utile : le 16 janvier 2024 fut rendu l’avis sur la lisibilité des contrats de prévoyance (à noter que cet avis est complété, à l’initiative du CCSF lui-même, par un second avis du même jour sur le contrat dépendance solidaire).
Le corps même de l’avis ne présente qu’un intérêt limité. Le CCSF rend compte des travaux qui y furent menés dont, notamment, une revue des contrats d’assurance proposés sur les marchés de l’assurance collective des salariés, de celle des travailleurs indépendants (contrats dits « Madelin ») et de celle des individuels. Il fait état des critiques – déjà sous-entendues lors de la saisine par le ministre – pouvant être adressées à ces contrats : « certains membres du comité ont souligné le manque de lisibilité globale des prestations de prévoyance quant au fonctionnement entre le régime de base et le régime complémentaire (…). Ils ont mis en exergue la nécessaire pédagogie pour faciliter la compréhension du système dans son ensemble et des garanties de prévoyance ». Il indique la façon dont, ensemble, France assureur, le Centre technique des institutions de prévoyance et la Fédération française de la mutualité ont proposé d’améliorer cette lisibilité au moyen de « tableaux d’exemples de prise en charge des garanties décès (capital, rente éducation, frais d’obsèques), incapacité (indemnités journalières) et invalidité (rente invalidité) par le régime obligatoire de la Sécurité sociale et le régime de prévoyance complémentaire, avec une indication du total in fine perçu par l’assuré ». Enfin, avant de proposer en annexe ces tableaux, le CCSF acte l’engagement des organismes assureurs de mettre ceux-ci en œuvre à l’occasion de la commercialisation des contrats dès le 1er janvier 2025 (sans que ces tableaux se substituent aux documents dont la délivrance est déjà obligatoire) : les tableaux, appliqués aux seuls « contrats standards » (sont donc exclus les contrats sur-mesure ; l’exclusion a une portée limitée dès lors que les souscripteurs de contrats sur-mesure ont généralement les moyens de faire leur propre étude) seront consultables et téléchargeables sur les sites internet des organismes assureurs.
Chacun appréciera la technique même de l’amélioration de la lisibilité des contrats par la proposition de tableaux qui, en l’espèce, ne sont que la présentation d’exemples (v. pour des tableaux plus généraux, l’avis, préc., du 11 mai 2021 afférents aux garanties frais de santé). S’il est douteux qu’elle permette de répondre aux interrogations personnelles de la plupart des preneurs d’assurance, faute pour eux d’être dans une situation comparable à celle mise en exergue, elle permet toutefois, autour de ces exemples, de comparer plus aisément différents produits. Quant aux tableaux eux-mêmes, ils sont divisés en deux catégories (travailleurs salariés et travailleurs non-salariés) auxquels répondent deux profils types respectifs définis par leurs âges, leurs situations de famille et leur rémunération. Chaque catégorie propose un tableau afférent à chacun des trois risques couverts par la prévoyance (décès – lui-même divisé selon les prestations offertes : capital, rente éducation, frais d’obsèques – invalidité, et incapacité). Chaque tableau est structuré en trois colonnes : celle de gauche présente, exprimées en euros, les prestations servies en tout état de cause par la Sécurité sociale, la suivante contient l’expression, toujours en euros, des prestations prévues au contrat, la troisième rapporte le montant total des prestations que percevrait l’assuré correspondant au profil type. À noter que, pour les salariés, une à deux colonnes supplémentaires sont insérées entre la première et la seconde pour faire apparaître les prestations que le salarié percevra directement en application de la loi et/ou de la convention collective (maintien de salaire en cas d’incapacité principalement).
Celui qui s’est déjà plongé dans l’énoncé contractuel des garanties de prévoyance concèdera volontiers qu’un effort notable est fait pour accompagner l’assuré dans la compréhension de la couverture dont il dispose. Il aurait certainement pu être fait plus au moyen, par exemple, de l’introduction de simulateurs sur ces mêmes sites internet qui hébergeront les tableaux ; mais il n’est pas dit que, en pratique, ces mesures supplémentaires aident à la comparabilité des produits en concurrence.
CCSF, avis sur la lisibilité des contrats prévoyance, 16 janv. 2024
© Lefebvre Dalloz