Enquête interne pour harcèlement : « Nous ne sommes pas des flics »

Le marché des enquêtes internes pour harcèlement moral explose. Une activité qui pose des questions éthiques et de méthode. Les avocats enquêteurs, eux, vantent leur déontologie et capacité à qualifier les faits.

 On assiste à un renforcement de la place des enquêtes internes pour harcèlement moral dans les entreprises », constate Louise Peugny, avocate associée chez Voltaire avocats lors d’une conférence sur le sujet organisée le 22 juin dernier par son cabinet. Parfois l’employeur est obligé de diligenter cette enquête pour faire la lumière sur l’alerte qu’il a reçue. C’est le cas, entre autres, quand le CSE lui relaie des faits de harcèlement moral (articles L2312-59 et L2312-60 du code du travail respectivement pour les cas d’atteinte aux droits des personnes ou de danger grave et imminent).

Même quand il ne s’agit pas d’une obligation légale, « l’employeur a intérêt à en diligenter une au titre de son obligation de prévention des risques professionnels », conseille Louise Peugny, qui cite aussi l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 selon lequel « les plaintes doivent être suivies d’enquêtes et traitées sans retard ». D’ailleurs, David Guillouet, associé dans le même cabinet, indique que la Cour de Cassation a déjà condamné des employeurs qui n’avaient pas enquêté, quand bien même les faits de harcèlement n’étaient pas reconnus par la justice.

Réputation

Le code du travail ne précise pas la procédure et n’indique pas de méthode. « La difficulté pour les entreprises est qu’on leur demande d’enquêter alors qu’elles n’ont pas de pouvoir de police », fait remarquer David Guillouet. Trouver les preuves est difficile. Parmi les outils : des captures d’écran, des mails et des entretiens. Les accusés sont-ils obligés de s’y présenter ? La jurisprudence n’a pas encore tranché, constate l’avocat. On peut piocher dans le guide de l’Agence française anti-corruption mais qui porte donc uniquement sur les suspicions de corruption, qui indique, en se fondant sur le principe d’exécution loyale du contrat de travail, que les salariés accusés sont obligés de répondre à l’entretien. A l’inverse, un document du ministère du Travail sur le harcèlement sexuel (et non moral), indique qu’ils peuvent refuser.

David Guillouet met en garde : « il est important de préserver la réputation » des salariés et que la personne mise en cause « ne soit pas désignée à la vindicte populaire ». Avec Louise Peugny et en se référant aux arrêts de la Cour de Cassation, il esquisse quelques grands principes pour mener ces enquêtes. Pêle-mêle : les données ne peuvent être recueillies par des procédés illicites et déloyaux, l’enquête doit respecter les droits et la vie privée des salariés, les deux parties ne doivent pas être confrontées lors d’un entretien…

En cas de procédure judiciaire, bien que le juge ne soit pas lié aux conclusions de l’enquête, « il prend assez souvent en considération le rapport et voit sa décision considérablement argumentée par sa teneur », remarque David Guillouet. Raison de plus pour ne pas prendre ces enquêtes à la légère. Pour rappel, le harcèlement moral est interdit à la fois par le code du travail (article L. 1252-1) et le code pénal (article 222-33-2).

Déontologie

L’employeur peut choisir d’externaliser l’enquête. L’intérêt est de bénéficier de compétences absentes en interne et d’adopter une position neutre. Plusieurs professionnels se sont positionnés sur le marché. Sans grande surprise, David Guillouet, dont le cabinet réalise régulièrement des enquêtes, vante l’intérêt de recourir à un avocat, profession réglementée. « Les garanties déontologiques, à part celles des avocats, je n’en vois pas beaucoup », abonde Nathalie Leroy, avocate enquêtrice en droit social. Le Conseil national des barreaux a édicté des recommandations en matière d’enquête interne en général mais elles s’appliquent, une fois encore, davantage pour les enquêtes portant sur des soupçons de corruption.

Un avocat peut-il mener une enquête dans une entreprise cliente habituelle, au risque de ne pas paraître neutre auprès des salariés ? « C’est possible sur le plan déontologique, mais cela me semble très compliqué. Je ne le fais pas », indique Nathalie Leroy. David Guillouet le déconseille aussi.

Psychologie

Psychologues et cabinets de conseil en management proposent aussi leurs services. Parmi eux, David Guillouet croit déceler des « officines » réalisant « des enquêtes à charge extrêmement militantes uniquement fondées sur des témoignages ne faisant que relayer les accusations de la personne qui s’estime victime ». La profession de l’intervenant dépendra peut-être de l’objectif poursuivi par l’employeur.

Nathalie Leroy a choisi de travailler en binôme avec une psychologue, au sein de leur structure HER (pour Harcèlement, enquêtes, recommandations). « Comme je suis avocate, si on me donne les éléments, je sais les traduire en droit. En revanche, les chercher n’est pas toujours évident. Il arrive que ce soit comme le nez au milieu de la figure, mais souvent c’est plus compliqué, dans une zone grise. Ma collègue psychologue aide à la recherche et à l’analyse. De plus, elle apporte son expertise dans la façon de mener un entretien », explique Nathalie Leroy.

Sanctions disciplinaires

L’avocat est là pour réaliser une analyse juridique et qualifier, dans la mesure du possible, les faits. « Nous ne sommes pas des flics, on ne fait pas des investigations dans tous les sens », prévient cependant David Guillouet.

Dans leur rapport, les avocats ont-ils à préconiser des sanctions dans le cadre d’une éventuelle procédure disciplinaire en cas de harcèlement (article 1152-15 du code du travail) ? « Je considère que c’est mon devoir de conseil », pense Nathalie Leroy. A l’inverse, Voltaire Avocats ne préfère pas s’y aventurer.

L’Association nationale des avocats enquêteurs en droit social vient tout fraîchement d’être créée. « L’idée est d’aider les avocats à monter en compétences pour améliorer la qualité des enquêtes », indique Nathalie Leroy, sa trésorière.

 

© Lefebvre Dalloz