Entretien préalable au licenciement pour motif disciplinaire et droit de se taire : renvoi de plusieurs QPC
Dans une décision du 18 juin 2025, le Conseil d’État décide de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, relative à l’information du salarié sur le droit de se taire lors de l’entretien préalable à un licenciement envisagé par l’employeur.
Une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur le droit de se taire sera prochainement examinée par le Conseil constitutionnel. Transmise par le Tribunal administratif de Paris au Conseil d’État le 25 mars 2025, cette QPC, relative à la conformité des articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4 et L. 1332-2 du code du travail aux droits et libertés que la Constitution garantit, a été renvoyée au Conseil constitutionnel.
À l’origine de cette procédure, une salariée avait saisi le Tribunal administratif de Paris d’un recours pour excès de pouvoir, demandant l’annulation de la décision par laquelle le ministre du Travail, du plein emploi et de l’insertion avait autorisé son licenciement. En parallèle, elle a soulevé cette QPC en faisant valoir que les dispositions contestées méconnaîtraient les exigences découlant de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Selon elle, cette méconnaissance résulterait du fait que les textes ne garantissent pas, lorsque l’employeur envisage de licencier un salarié pour motif disciplinaire, que ce dernier soit informé, préalablement à son audition, du droit qu’il aurait de se taire au cours de l’entretien préalable.
Les dispositions des trois premiers articles prévoient, d’une part, que l’employeur qui envisage de licencier un salarié pour un motif personnel doit le convoquer à un entretien préalable. D’autre part, elles encadrent les modalités de cette procédure, en imposant notamment un délai de cinq jours ouvrables entre la convocation et l’entretien, au cours duquel l’employeur doit exposer les motifs de la décision envisagée et recueillir les explications du salarié. Enfin, elles reconnaissent au salarié la possibilité de se faire assister lors de cet entretien.
S’agissant de l’article L. 1332-2 du code du travail, il encadre de manière comparable le déroulement de l’entretien préalable que l’employeur doit organiser lorsqu’il envisage de prononcer une sanction disciplinaire, autre que l’avertissement ou une sanction assimilée.
Les dispositions sont applicables au litige et les circonstances ont changé
Le Conseil d’État devait ainsi s’attacher à vérifier les conditions de renvoi d’une telle question telles que formulées dans les dispositions de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (art. 23-4 et 23-2, 1° et 2°).
En premier lieu, il a confirmé que les dispositions contestées étaient bien applicables au litige. Le licenciement disciplinaire à l’origine de cette affaire est en effet bien une forme de licenciement pour motif personnel concerné par les dispositions énoncées ci-dessus. À ce propos, la Cour de cassation avait pu juger, lors de l’examen d’une QPC qu’elle n’a pas renvoyée au Conseil constitutionnel, que les dispositions de l’article L. 1232-3 étaient applicables à un litige visant un salarié licencié pour faute grave qui n’a pu bénéficier d’un entretien préalable (Soc. 27 févr. 2013, n° 12-23.213 P, D. 2013. 715
; Dr. soc. 2013. 968, chron. G. Dumortier, P. Florès, A. Lallet, M. Vialettes et Y. Struillou
; RJS 5/2013, n° 359).
En deuxième lieu, la condition tenant à l’absence de déclaration antérieure de conformité à la Constitution des dispositions contestées s’avérait plus complexe. D’un côté, les dispositions de l’article L. 1332-2 ne laissent pas de doute, puisqu’elles n’ont jamais fait l’objet d’une déclaration de conformité à la Constitution. En revanche, de l’autre, s’agissant des trois premiers articles, la question soulevait davantage de difficultés. En effet, ces dispositions sont pour partie issues d’une recodification d’une ancienne disposition L. 122-14 du code du travail, laquelle avait été modifiée et complétée par l’article 2 de la loi du 18 janvier 1991 qui a fait l’objet d’une déclaration de conformité à la Constitution par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 16 janv. 1991, n° 90-284 DC, Pons, D. 1991. 321
, note X. Prétot
; RTD civ. 1991. 420, étude A. Coeuret
). Néanmoins, reste, ici, l’hypothèse d’un « changement des circonstances » (Ord. n° 58-1067 du 7 nov. 1958, Dalloz actualité, 17 janv. 2008, obs. J.-M. Pastor ; portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, art. 23-4 et 23-2, 2°). Récemment, dans sa décision n° 2024-1097 QPC du 26 juin 2024 visant le droit de se taire du magistrat dans le cadre d’une procédure disciplinaire, le Conseil avait accepté, en un sens comparable, de réexaminer des dispositions qu’il avait déjà déclarées conformes à la Constitution dans des décisions de 1970 et 2010 en rappelant qu’il avait, à l’occasion d’une décision du 8 décembre 2023, jugé que « les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur des manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire » (Cons. const. 26 juin 2024, n° 2024-1097 QPC, § 8, Dalloz actualité, 1er juill. 2024, obs. E. Poinas ; AJDA 2024. 1306
; ibid. 1973
, note M. Verpeaux
; D. 2024. 1239
; RSC 2024. 871, obs. A. Botton
). C’est ici la même logique qui guide le Conseil d’État, ce dernier indiquant qu’au terme de cette QPC précitée de 2023, les exigences attachées au principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, résultant de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, dont découle le droit de se taire, s’appliquent « non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition » (Cons. const. 8 déc. 2023, n° 2023-1074 QPC, § 9, Dalloz actualité, 20 déc. 2023, obs. B. Durieu ; D. 2023. 2196, et les obs.
; AJFP 2024. 287, note J. Bousquet
).
La question est sérieuse et la jurisprudence relative à la nécessaire notification du droit de se taire va possiblement s’étoffer
En troisième et dernier lieu, le Conseil d’État juge la question comme présentant un caractère sérieux. En la renvoyant, la haute juridiction administrative autorise ainsi la poursuite du mouvement jurisprudentiel déjà évoqué. En effet, à diverses reprises, le Conseil constitutionnel a considéré que certaines dispositions législatives étaient contraires à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en ce qu’elles ne permettaient pas à des magistrats relevant de l’ordre judiciaire (Cons. const. 26 juin 2024, n° 2024-1097 QPC, préc.), à des fonctionnaires de l’État (Cons. const. 4 oct. 2024, n° 2024-1105 QPC, Dalloz actualité, 14 oct. 2024, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2025. 304
, note D. Charbonnel
; ibid. 2024. 1892
; D. 2024. 1717
; AJFP 2024. 637
, note L. Derboulles
; RSC 2024. 871, obs. A. Botton
), à des magistrats des juridictions financières (Cons. const. 18 oct. 2024, n° 2024-1108 QPC, AJDA 2024. 1989
; AJCT 2025. 124, obs. F. Haas
; RSC 2024. 871, obs. A. Botton
), ou encore à des militaires (Cons. const. 30 avr. 2025, n° 2025-1137 QPC, AJDA 2025. 840
), d’être informés du droit qu’ils ont de se taire dans le cadre de poursuites disciplinaires.
En parallèle, il convient de relever que, par deux décisions rendues le 20 juin 2025, la chambre sociale de la Cour de cassation a, elle aussi, renvoyé au Conseil constitutionnel deux QPC portant sur certaines des dispositions déjà visées par le Conseil d’État dans la décision commentée. Dans la première affaire (n° 25-40.012), est en cause l’article L. 1332-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012. Dans la seconde (n° 25-11.250), sont contestés les articles L. 1332-2 (même rédaction) et L. 1232-3, dans sa version résultant de l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail. Dans chacune de ces deux décisions, les juges du quai de l’Horloge estiment que les questions soulevées ne sont pas dépourvues de caractère sérieux, « en ce qu’il pourrait être estimé qu’un salarié faisant l’objet d’une procédure de licenciement pour motif disciplinaire ne peut être entendu sur les faits qui lui sont reprochés par l’employeur sans avoir été préalablement informé du droit de se taire ».
Les trois QPC renvoyées – la première par le Conseil d’État, les deux autres par la Cour de cassation – sont désormais enregistrées au greffe du Conseil constitutionnel sous les numéros 2025-1160 QPC, 2025-1161 QPC et 2025-1162 QPC.
En définitive, il semble donc envisageable que le Conseil constitutionnel applique sa grille d’analyse à ce nouveau cas, au moins s’agissant de l’article L. 1332-2 du code du travail, qui concerne spécifiquement la procédure d’entretien préalable au prononcé éventuel d’une sanction disciplinaire.
Soc. QPC, 20 juin 2025, FS-B, n° 25-11.250
Soc. QPC, 20 juin 2025, D, n° 25-40.012
par Merwane Benrahou, Doctorant, École de droit de la Sorbonne
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