Entretiens professionnel et d’évaluation sont envisageables à la même date

L’article L. 6315-1, I, du code du travail ne s’oppose pas à la tenue à la même date de l’entretien d’évaluation et de l’entretien professionnel pourvu que, lors de la tenue de ce dernier, les questions d’évaluation ne soient pas évoquées.

Chaque salarié doit bénéficier, au moins tous les deux ans, d’un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en matière de qualifications et d’emploi (C. trav., art. L. 6315-1). Cet entretien doit être distingué de l’entretien d’évaluation généralement pratiqué pour mesurer et discuter la performance du collaborateur. Ce dernier n’est en effet pas légalement obligatoire, mais peut être imposé par une convention collective (Soc. 10 nov. 2009, n° 08-42.114 D). Il est expressément prévu par le texte que l’entretien professionnel « ne porte pas sur l’évaluation du travail du salarié ». Mais peuvent-ils être réalisés à la même date dès lors qu’ils font l’objet de comptes-rendus séparés ? Question à l’importance pratique considérable pour les entreprises qui consacrent généralement une période (et une périodicité) unique pour réaliser une campagne d’entretiens professionnels et d’entretiens d’évaluation. Et c’est précisément sur ce terrain que l’arrêt du 5 juillet 2023 rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation apporte des éléments importants de réponse.

En l’espèce, une société œuvrant dans l’ingénierie et la construction de projets pour l’industrie de l’énergie, et disposant de plusieurs établissements, a connu une succession d’événements tragiques depuis 2015, dont de nombreux syndromes d’épuisement professionnel et plusieurs suicides. Or il se trouve que cette société procédait à des entretiens professionnels et d’évaluations de leurs collaborateurs tous deux à la même date. Le comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail et l’un des comités d’établissement devenu CSE, ainsi que deux syndicats avaient saisi le Tribunal de grande instance pour faire juger que la société n’avait pas respecté son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels, pas plus que son obligation de et lui ordonner de mettre en place des mesures d’urgence pour lutter contre les risques psychosociaux.

La séparation de l’entretien professionnel et de l’entretien d’évaluation, un possible enjeu de sécurité

Débouté de leurs demandes en appel, dont en particulier celle tendant à ordonner à la société d’organiser les entretiens professionnels prévus par l’article L. 6315-1 du code du travail à une date distincte de la tenue des entretiens annuels d’évaluation, le comité ainsi qu’un des deux syndicats formèrent un pourvoi en cassation.

L’argument des demandeurs au pourvoi consistait à pointer le fait qu’un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle ne devait pas porter sur l’évaluation du travail du salarié et devait ainsi être distinct de celui relatif à l’évaluation de la prestation de travail du salarié. L’employeur ne peut ainsi convoquer un salarié à un entretien professionnel à la suite, ou le même jour, de la tenue de son entretien d’évaluation, faute de quoi l’employeur se mettrait en défaut vis-à-vis de son obligation de sécurité (C. trav., art. L. 4121-1). Les juges du fond avaient quant à eux considéré que ni les dispositions légales applicables ni la jurisprudence n’imposent la tenue de ces entretiens à des dates différentes, seul étant obligatoire le fait de rédiger deux comptes- rendus distincts.

La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie du pourvoi, va valider le raisonnement de la cour d’appel sur ce dernier terrain bien qu’elle casse l’arrêt faute pour celui-ci d’avoir réussi à caractériser le fait que l’employeur avait par ailleurs satisfait à son obligation de contrôle de la durée du travail afin d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs en matière de durée du travail.

Si la question des entretiens n’apparaissait qu’en filigrane de la problématique beaucoup plus large des risques psychosociaux dans le cas d’espèce, force est d’admettre que l’entretien professionnel peut être considéré comme un outil non suffisant mais utile pour détecter et prévenir les causes de risques psychosociaux, le cas échéant fondées sur un temps ou une durée de travail inappropriée à l’équilibre psychique du collaborateur. Pour s’assurer de lui accorder cette dimension sans dévoiement, l’entretien professionnel doit être sanctuarisé et distingué de celui de l’évaluation. Sur ce second point, l’arrêt apporte une précision importante.

Entretiens distincts oui, dates distinctes, pas nécessairement

L’article L. 6315-1, I, du code du travail prévoit en effet que le salarié bénéficie tous les deux ans d’un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi. Le texte prévoit expressément que cet entretien ne porte pas sur l’évaluation du salarié, et donne lieu à la rédaction d’un document dont une copie est remise au salarié.

Mais rien ne s’oppose dans son contenu à une même date d’entretien d’évaluation et d’entretien professionnel pourvu que, lors de la tenue de ce dernier, les questions d’évaluation ne soient pas évoquées. C’est là l’interprétation que vient délivrer la chambre sociale en asseyant son propre raisonnement sur l’article L. 6315-1.

Cette précision pratique – apportée pour la première fois à notre connaissance de façon aussi claire par la Cour de cassation – est la bienvenue en ce qu’elle vient sécuriser une pratique fréquente dont l’esprit pouvait être discutable.

Il n’est en effet pas rare que les deux entretiens (professionnels et d’évaluation) s’enchaînent l’un après l’autre, au cours d’une journée dédiée. Le fait que l’évaluation n’ait pas sa place dans l’entretien professionnel ne fait pas l’objet de discussion particulière. Une pratique consistant à fondre les deux en un seul serait indubitablement contraire à l’article L. 6315-1, I. Le fait d’enchaîner dans la même journée les deux tout en les distinguant formellement par la rédaction de deux comptes-rendus distincts dénote une volonté de se conformer à la lettre du texte, mais prête à interrogation quant à la conformité à son esprit. La volonté de tenir l’évaluation à l’écart de l’entretien professionnel procède d’une vision portant du crédit à la discussion sur l’évolution professionnelle du salarié et à sa formation, sans crainte de jugement de la part du salarié. Évaluer la performance du salarié dans un temps sinon simultané du moins très proche pourra conduire à influencer sensiblement la nature et l’orientation des échanges.

Cette solution rappelle que les comptes-rendus d’entretien doivent être rédigés avec une particulière attention. Il avait été récemment jugé qu’un compte-rendu écrit d’entretien annuel d’évaluation dans lequel l’employeur, après avoir adressé des reproches à un salarié l’invite de manière impérative et comminatoire à un changement de son « savoir-être et savoir-faire, et ce sans délai » constituait un avertissement (Soc. 2 févr. 2022, n° 20-13.833 D, RJS 4/2022, n° 171). Il n’est pas question de remettre en cause pour l’employeur le droit d’évaluer le travail des salariés, la jurisprudence reconnaissant de façon constante que cela relève de son pouvoir de direction (Soc. 10 juill. 2002, n° 00-42.368 D, RJS 10/2002, n° 1066). Même si la dimension d’évaluation du travail du salarié peut avoir un lien important avec ses perspectives concrètes d’évolutions professionnelles, les propos rapportés d’une telle nature et toute forme d’évaluation n’ont résolument pas leur place dans l’entretien professionnel. D’où la nécessité pratique de s’assurer de deux comptes-rendus distincts, même si ceux-ci sont datés du même jour.

Pourra alors se poser la question de la sanction dans l’hypothèse où l’employeur ne s’assurerait pas de sanctuariser l’entretien professionnel dans un compte-rendu exempt de toute remarque appréciative de la qualité du travail du salarié. Le texte ne prévoit pas expressément cette hypothèse, mais force sera d’admettre qu’il peut être considéré que l’entretien doit alors être requalifié en entretien d’évaluation, entraînant par voie subséquente le constat d’une absence de réalisation de l’entretien professionnel. L’employeur s’exposera alors aux sanctions prévues en cas d’absence d’entretien professionnel, notamment l’abondement du compte personnel de formation prévu à l’article L. 6315-1 du code du travail.

 

© Lefebvre Dalloz