Est banal le jeu vidéo qui applique le principe des idle games à un nouveau domaine

N’est pas original le jeu vidéo constitué d’éléments banals mis en œuvre dans le cadre d’une idée qui, étant de libre parcours, échappe à toute appropriation. De même, aucun risque de confusion n’étant caractérisé, le grief de concurrence déloyale doit être rejeté.

Les jeux vidéo pour smartphone, souvent développés rapidement et sans grands moyens, peuvent-ils faire l’objet d’une protection contre la copie ? La jurisprudence en la matière est restrictive, comme en témoigne cette nouvelle décision, qui rejette les demandes d’un éditeur aussi bien sur le fondement du droit d’auteur que sur celui de la concurrence déloyale.

La protection du jeu vidéo a toujours fait l’objet de débats étonnamment complexes devant les tribunaux et en doctrine, au motif assez erroné qu’il s’agit d’œuvres combinant différents éléments, comme les graphismes, la musique, le scénario ou encore ce que l’on appelle la jouabilité, et, bien entendu, le code, c’est-à-dire le logiciel qui sous-tend cet ensemble.

Les joueurs, eux, savent repérer aisément une copie. Soit il s’agit du même jeu, porté sur un autre support, comme dans le cas de l’émulation, qui consiste à jouer à un jeu sur une machine pour laquelle il n’a pas été conçu à l’origine, auquel cas il n’y a pas de discussion ; soit il s’agit effectivement d’une imitation, auquel cas le caractère illicite dépend essentiellement de l’étroitesse de la reprise. Certains jeux s’inspirent des mécanismes de jeux antérieurs, ce que l’on appelle les « -like », comme les Doom-like qui s’inspirent du jeu Doom ou encore les Rogue-like, qui s’inspirent du jeu… Rogue. Ils sont généralement licites car ils ne font que reprendre des éléments de jouabilité, qui consistent dans des idées non protégeables.

Le problème se pose davantage lorsqu’un jeu lorgne un peu trop sur un titre antérieur et en reprend des éléments caractéristiques, comme des éléments graphiques (les champignons ou les montagnes de Super Mario) ou des éléments scénaristiques (comme le récit initiatique du héros des jeux The Legend of Zelda). Dans ce cas, il peut y avoir une marge d’appréciation afin de déterminer s’il s’agit d’une copie illicite, étant entendu que les conditions de la contrefaçon et celles de la concurrence déloyale ne sont pas les mêmes.

Le cas des jeux vidéo hyper casual ou idle games

Le jeu vidéo a connu deux phénomènes contradictoires ces dernières années : d’une part, les jeux sur consoles sont devenus de plus en plus complexes : leur développement prend des années, suppose des moyens colossaux représentant parfois plusieurs millions de dollars qui, en cas d’échec, ne permettront pas d’obtenir un retour sur investissement ; d’autre part, les jeux sur smartphone sont devenus de plus en plus simples : leur développement peut ne prendre que quelques jours, mobiliser une seule personne et représenter un investissement minimal, pour une rentabilité élevée grâce à des mécanismes publicitaires.

Ces jeux sur smartphone sont dénommés hyper casual, car ils reposent sur des éléments de jouabilité très simples, avec peu de manipulations à effectuer, et des ressources graphiques et sonores très limitées. Parmi ces jeux hyper casual, on trouve les idle games, qui sont au jeu vidéo classique ce que le fast food est à la gastronomie. Dans un idle game, le joueur n’a généralement rien à faire : le jeu fonctionne pour ainsi dire tout seul, avec un personnage qui bouge seul à l’écran, et permet pourtant de remporter, sans rien faire, une kyrielle de gains ou de bonus. Par exemple, le joueur peut incarner un petit personnage qui participe à une course. Aucune manipulation n’est nécessaire pour courir, le déplacement est automatique. Lors de la première partie, le personnage n’est doté que de caractéristiques de base et ne pourra pas remporter la course. Mais le joueur va tout de même gagner des points lui permettant de renforcer son personnage, le faire courir plus vite, sauter plus loin, etc. Le jeu n’est alors qu’une accumulation de bonus remportés de manière automatique.

Les idle games ne présentent strictement aucun intérêt autre, pour le joueur, que celui de faire passer le temps, dans une salle d’attente ou dans les transports en commun. Ils ont aussi un effet sur la stimulation de dopamine, puisque le joueur a l’impression de beaucoup gagner sans rien faire. Le cerveau humain est ainsi fait qu’il tire une satisfaction de cette situation et qu’il en résulte une forme d’addiction.

Ce type de jeu s’est rapidement développé et pullule sur les plates-formes de téléchargement que son l’AppStore d’Apple ou Google Play de Google. Et lorsqu’un jeu comme un idle game commence à remporter un certain succès, il ne faut généralement que très peu de temps pour que des éditeurs tiers ne développent un produit similaire, afin en quelque sorte de profiter de cette vague. Est-ce critiquable sur le plan juridique ? Pas nécessairement. Car, en termes de propriété littéraire et artistique, ce type de jeu est généralement trop banal pour pouvoir faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur ; tandis que sur le plan de la responsabilité civile de droit commun, non seulement il est difficile d’établir un vrai risque de confusion dans l’esprit du public, mais le développement du jeu n’ayant demandé que des investissements minimes, ni la concurrence déloyale ni le parasitisme ne peuvent être invoqués.

Cette décision du Tribunal judiciaire de Paris du 7 novembre 2024 le démontre une nouvelle fois.

Le cas du jeu Pocket Champs

Cette affaire concernait un jeu Pocket Champs, édité par une société française Mad Box, spécialisée dans la conception et la distribution de jeux vidéo dits « grand public ». Pocket Champs est un idle game consistant en un jeu de course dans lequel le joueur doit entraîner son personnage et le faire progresser grâce à des équipements obtenus dans le jeu.

Pocket Champs a été mis en ligne sur l’AppStore d’Apple en juillet 2022. Moins d’un an plus tard, en juin 2023, il a dû faire face à la concurrence d’un jeu dénommé Afar Rush, distribué par une société britannique Lava Games Development, qui l’a mis en ligne sur les deux plates-formes de téléchargement d’Apple et Google. Comme Pocket Champs, Afar Rush consistait en un jeu de course dit idle, au mécanisme substantiellement identique.

Une lettre de mise en demeure n’ayant pas permis d’obtenir le retrait du jeu, Mad Box a décidé d’assigner Lava Games Development devant le Tribunal judiciaire de Paris selon la procédure à jour fixe, par laquelle elle réclamait l’interdiction du jeu Afar Rush ainsi que 300 000 € au titre d’un préjudice économique et 100 000 € au titre d’un préjudice moral.

Le cas Pocket Champs n’avait en réalité rien d’évident. Les vidéos du jeu que l’on peut trouver sur internet montrent qu’il s’agit d’un jeu extrêmement basique, probablement développé en quelques jours, à base de routines graphiques et mécaniques disponibles publiquement.

La société Mad Box avait donc fort à faire pour rapporter la preuve de l’originalité de son jeu afin d’obtenir gain de cause sur le fondement du droit d’auteur. Elle évoquait le caractère complexe du jeu vidéo et prétendait que Pocket Champs résultait de choix créatifs indépendants de toute nécessité fonctionnelle. Le plus surprenant, dans toute cette argumentation, tenait peut-être à la revendication du caractère idle du jeu comme un élément d’originalité, s’agissant d’un jeu de course.

L’idée d’un jeu de course dans lequel le personnage ou le véhicule peut être amélioré ne présente aucune espèce d’originalité. Les jeux de course sérieux proposent ce type d’évolution du véhicule depuis des décennies, que l’on songe ainsi par exemple à R.C. Pro Am, développé par Rare en 1988, un jeu de courses de voitures radiocommandées, que l’on pouvait améliorer grâce à des éléments de gameplay. Le fait que cette amélioration intervienne dans le cadre d’un jeu idle dans lequel le joueur n’a quasiment rien à faire pouvait difficilement apparaître comme un élément d’originalité.

Et, de fait, le tribunal ne l’a pas suivie dans son argumentation. S’il retient qu’effectivement un jeu est un « matériel complexe », une « œuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle », il relève que « la seule combinaison d’un mode de jeu idle avec un jeu de course relève d’une idée ».

Il est par ailleurs heureux que le tribunal ait ici procédé à une véritable analyse du jeu et de son contenu pour en tirer la conclusion qu’il n’était pas original. Notamment, les juges ont refusé de considérer comme originales les caractéristiques liées à la « caméra dynamique », laquelle est commune à de nombreux autres titres, comme Super Mario Kart. Il s’agit effectivement d’un élément relevant du « fonds commun du jeu vidéo, non protégeable par le droit d’auteur ».

Et le tribunal touche ici du doigt, précisément, le problème des jeux hyper casual, qui reposent tous sur des éléments banals, déjà vus des centaines de fois dans d’autres jeux plus anciens, comme les menus et les jauges qui ne peuvent en aucun cas être considérés comme des caractéristiques originales. Le tribunal en a ainsi logiquement conclu que « le jeu Pocket Champs apparaît comme constitué d’éléments banals mis en œuvre dans le cadre d’une idée qui, étant de libre parcours, échappe à toute appropriation ».

Un recours infructueux à la responsabilité civile de droit commun

Il est désormais une tendance lourde qui consiste à invoquer, en plus ou de manière subsidiaire à des demandes bancales au titre du droit d’auteur, des prétentions assises sur la faute au sens de la responsabilité civile de l’article 1240 du code civil, comme des actes de concurrence déloyale ou de parasitisme. Mais il ne s’agit pas toujours d’une panacée.

Dans le cas présent, la société Mad Box soutenait que la copie servile d’un jeu, reprenant ses principales caractéristiques afin de générer un risque de confusion, constituait un acte fautif de concurrence déloyale. Cependant, le tribunal a ici considéré qu’il n’existait aucune « obligation positive de se démarquer des jeux de ses concurrents », rejetant une argumentation audacieuse qui prenait à revers l’obligation de ne pas copier le travail des tiers.

En l’espèce, les juges ont exclu tout risque de confusion entre les jeux, car, nonobstant certains éléments communs, les joueurs ne pouvaient pas associer les deux titres, qui se distinguaient notamment par leur nom respectif et par les descriptifs diffusés sur les plateformes de téléchargement.

Quant au parasitisme, le tribunal rejette également ce grief faute de preuve d’une valeur à laquelle il aurait été porté atteinte. Selon la décision, « le jeu Pocket Champs conjugue la reprise d’éléments banals relevant du fonds commun du jeu vidéo avec une idée, non appropriable, de l’adaptation d’un jeu de type idle, ne mobilisant le joueur que pour des choix stratégiques, sous la forme d’un jeu de course. Ces circonstances (…) établissent que la reprise de ce concept ne peut constituer une valeur économique identifiée et individualisée », à telle enseigne qu’il n’était pas même nécessaire de vérifier si la société défenderesse s’était placée dans le sillage de la première.

Cette décision est intéressante car elle revient légèrement sur la jurisprudence relative aux photographies non originales au plan du droit d’auteur, dont il est parfois considéré que l’absence de droits de propriété intellectuelle n’autoriserait pas nécessairement la reprise sans autorisation, du fait d’une atteinte à certains investissements. Dans le cas présent, le coût du développement du jeu (qui ne devait pas être très élevé) n’a pas même été pris en considération.

Que faire en cas de copie ?

La question qui se pose alors est de savoir quel comportement tenir en cas de copie d’un jeu qui remporte un succès certain mais dont le caractère protégeable au sens du droit d’auteur est discutable. D’aucuns ont tenté de contourner l’obstacle de l’originalité en agissant devant le tribunal de commerce pour réclamer une indemnisation uniquement sur le fondement de la concurrence déloyale ou du parasitisme, parfois avec succès. La réalité est toutefois que le droit, dans certains cas, doit céder face à une autre manière de se protéger : en innovant.

 

TJ Paris, 7 nov. 2024, n° 24/02849

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