Exception de nullité et inscription d’une hypothèque sur un bien de la caution

Dans un arrêt rendu le 17 septembre 2025, la chambre commerciale précise que constitue un commencement d’exécution d’un cautionnement, l’inscription d’une hypothèque sur un bien de la caution et ce indépendamment de la personne qui l’effectue.

La rentrée du droit des obligations se poursuit en ce mois de septembre. Après un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation à propos de l’action en vice caché menée par le sous-acquéreur contre le vendeur originaire au sein d’une chaîne de contrats (Civ. 1re, 3 sept. 2025, n° 24-11.383 FS-B, Dalloz actualité, 17 sept. 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 1516 ), une décision de la chambre commerciale a permis de s’attarder sur le droit transitoire applicable aux cessions de créances destinées à des organismes de financement (Com. 10 sept. 2025, n° 24-15.885 F-B, Dalloz actualité, 17 sept. 2025, obs. C. Hélaine).

Aujourd’hui, nous étudions un nouvel arrêt de cette formation dans lequel le droit des contrats rencontre le droit des sûretés à travers la question technique de l’exception de nullité utilisée par le défendeur à l’action assigné en paiement de sa créance relative à un contrat de cautionnement. L’angle précis de l’affaire examinée au sein de l’arrêt du 17 septembre 2025 intéressera la pratique des affaires eu égard à sa récurrence.

À l’origine du pourvoi, on retrouve une situation plutôt classique. Une société est titulaire d’un compte courant dans les livres d’un établissement bancaire depuis le 9 novembre 2012. Le 23 décembre suivant, elle devient débitrice d’un prêt pour un montant de 334 000 € en vue d’acquérir un fonds de commerce. Afin de garantir la créance de la banque liée au solde débiteur du compte courant, une personne physique se rend caution de tous les engagements pris par la société et ce dans une limite de 208 000 € le 5 décembre 2014. Par un second acte du 1er juillet 2015, cette même caution s’engage de nouveau en cette qualité en garantie du prêt. Elle limite ce cautionnement à une somme de 159 000 €.

La société débitrice principale ne parvient plus à honorer sa dette. Elle est placée en redressement judiciaire puis en procédure de liquidation. Le créancier se retourne donc logiquement contre la caution afin de se désintéresser tant pour le solde débiteur du compte courant que pour le prêt souscrit à la fin de l’année 2012.

Le 9 juillet 2021, la banque prend une inscription hypothécaire provisoire sur certains biens immobiliers appartenant à la caution. Peu de temps plus tard, l’établissement bancaire assigne cette dernière en paiement. La caution oppose alors la nullité du contrat de cautionnement de 2015, et ce, en raison du défaut de mention manuscrite. En cause d’appel, les juges du fond annulent l’engagement souscrit le 1er juillet 2015. La cour retient, en outre, que la banque ne se prévaut pas d’un commencement d’exécution de l’acte de cautionnement susceptible d’empêcher la nullité de produire ses effets (Grenoble, 30 nov. 2023, n° 22/03905, disponible en libre accès sur Judilibre).

La banque se pourvoit en cassation en maintenant son argumentation axée autour de l’inscription hypothécaire prise par ses soins qui, selon elle, empêchait toute exception de nullité en pareille situation. Elle obtiendra gain de cause dans l’arrêt rendu le 17 septembre 2025 lequel est promis aux honneurs d’une publication au Bulletin. Examinons pourquoi la cassation pour violation de la loi était inévitable.

L’inscription hypothécaire et le commencement d’exécution

Rappelons, à titre préliminaire, que pour utiliser l’exception de nullité, encore faut-il que le contrat n’ait pas reçu un commencement d’exécution (et ce même si cette exécution n’est que partielle, F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 661, n° 569). Tout le nœud du problème réside donc autour de la preuve d’un tel commencement d’exécution. Or, en l’espèce, la difficulté est liée à la mobilisation d’une inscription hypothécaire sur les biens de la caution par la banque qui touche évidemment, de près ou de loin, le contrat de cautionnement personnel que le défendeur estimait nul en raison du défaut de mention manuscrite.

La résolution de l’hésitation est ainsi formulée « constitue un commencement d’exécution d’un acte de cautionnement l’inscription d’une hypothèque sur un bien de la caution, indépendamment de la personne qui l’effectue » (pt n° 7, nous soulignons). L’affirmation prolonge utilement une position issue d’un arrêt rendu le 9 mars 2017 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation à propos d’un cautionnement hypothécaire, soit une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’autrui (Civ. 3e, 9 mars 2017, n° 16-11.728, Dalloz actualité, 17 mars. 2017, obs. G. Payan ; D. 2017. 644  ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki  ; AJ contrat 2017. 224, obs. D. Houtcieff  ; RTD civ. 2017. 649, obs. H. Barbier  ; comp. Civ. 3e, 27 mai 2021, n° 20-10.910).

L’aspect remarquable de la décision du 17 septembre 2025 réside probablement, d’une part, dans l’appropriation par la chambre commerciale du contenu de cette position, ce qui n’avait pas été le cas au sein d’un arrêt publié au Bulletin ces dernières années. D’autre part, et peut-être surtout, l’orientation choisie permet de prolonger le raisonnement à propos d’un cautionnement personnel et non au sujet d’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’autrui. Les amateurs de motivation enrichie auraient, sans doute, apprécié un développement avec citation du précédent (plus précisément au point n° 7, préc.). La technique aurait déployé tous ses effets utilement pour lier les décisions entre elles et assurer un bon chaînage du raisonnement entre les différentes formations de la Cour. Ce n’est, finalement, que pur détail.

Revenons-en au fond. Au lendemain de l’arrêt du 9 mars 2017, la doctrine a réceptionné favorablement une telle position s’agissant d’un cautionnement dit « hypothécaire ». Les uns voient, en effet, dans la solution choisie la construction d’un régime de l’exception de nullité de plus en plus solide (M. Mekki, D. 2018. 371 s., spéc. IV, A ) tandis que, sur le fond, l’inscription hypothécaire mobilise le droit que le contrat fait naître empêchant toute utilisation de ladite exception en pareille situation (v. approbatif en ce sens, H. Barbier, RTD civ. 2017. 649 ). Comme le relève le professeur Stéphane Piedelièvre, l’inscription n’est en effet pas liée à la formation de la sûreté mais seulement à sa mise en jeu (S. Piedelièvre, JCP N 2017. 1173, spéc. n° 2). D’autres auteurs ont pu encore noter que « l’inscription renvoie à la perfection de l’acte davantage qu’à son exécution » (P. Simler et P. Delebecque, JCP N 2017. 1175, spéc. n° 19) tout en précisant que la décision s’impose dans une approche fonctionnelle du commencement d’exécution (en ce sens, v. égal., J.-B. Seube, Defrénois 14 sept. 2017. 37).

Comme le notent la plupart des auteurs, c’est la dynamique de l’exception de nullité qui fonde cette orientation. Cependant, doit-on adopter ces réflexions à l’aune d’une sûreté purement personnelle à l’instar du cautionnement de l’espèce ? En inscrivant une hypothèque, la banque a bien commencé à exécuter le cautionnement dont elle est créancière, et ce, même si l’inscription n’était que provisoire ; ce qui n’est pas l’occasion d’une précision à ce sujet dans l’arrêt commenté, ce que l’on peut éventuellement regretter. En procédant de la sorte, elle utilise en effet le droit dont elle est créancière pour en sécuriser le recouvrement. L’établissement bancaire commence donc à exécuter la sûreté personnelle en faisant adjonction d’une sûreté réelle. La solution paraît heureuse sur ce plan même si le cheminement intellectuel est légèrement plus complexe que dans l’arrêt du 9 mars 2017.

Reste à se questionner sur la bilatéralisation du commencement d’exécution.

Une bilatéralisation confirmée

À la suite de ces développements, on pourrait s’interroger sur la personne initiatrice du commencement d’exécution. Après tout, c’est la banque qui en est ici à l’origine avec l’inscription hypothécaire prise sur certains biens de sa caution personnelle. Elle scelle donc, ce faisant, le destin de l’exception de nullité qu’allait utiliser quelques mois plus tard la caution défenderesse au procès intenté par les soins du créancier demandeur à l’action. D’où l’importance capitale de l’incise de la solution étudiée aujourd’hui. Ce commencement d’exécution est reconnu « indépendamment de la personne qui l’effectue » (pt n° 7, nous soulignons). Sévère, la solution n’en reste pas moins très fidèle à la jurisprudence précédemment citée qui avait déjà bilatéralisé l’exception de nullité en droit ancien.

On peut utilement rappeler qu’il y a quelques années, nous avions croisé dans ces colonnes un arrêt ayant justement précisé que « le commencement d’exécution du mandat devait être apprécié indépendamment de la partie qui l’avait effectué » (Civ. 1re, 12 nov. 2020, n° 19-19.481, pt n° 6, nous soulignons, Dalloz actualité, 27 nov. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 2287 ). L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a d’ailleurs entériné une conception fonctionnelle du commencement d’exécution. En évoquant seulement un contrat « qui n’a reçu aucune exécution », l’article 1185 nouveau du code civil n’opère pas de distinction (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, op. cit., p. 661, n° 569). Or, là où la loi ne distingue pas, il convient de ne pas distinguer.

Ceci laisse songeur sur la potentielle utilisation du commencement d’exécution par l’une des parties à sa guise et, surtout, dans son intérêt. Comme le relèvent les Professeurs Gaël Chantepie et Mathias Latina, « il suffit donc à un contractant de mauvaise foi de commencer à exécuter le contrat, ne fût-ce que très partiellement, pour priver son cocontractant de l’exception de nullité ! » (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 3e éd., Dalloz, 2024, p. 515, n° 489). La stratégie de la banque au sein de l’arrêt étudié était par conséquent très pertinente. En faisant procéder à une inscription hypothécaire provisoire, elle a privé purement et simplement sa caution d’invoquer la nullité à titre d’exception d’un éventuel défaut de la mention manuscrite. La seule solution viable pour le garant personnel aurait été d’agir en nullité dans le délai quinquennal d’action. On ne saurait, d’ailleurs, pas vraiment juger la banque de mauvaise foi puisqu’elle ne fait que d’utiliser les mécanismes légaux à sa disposition.

Voici, en somme, un bien bel arrêt de droit des obligations mais également de droit des sûretés. La pratique doit toujours surveiller la nullité que peut utiliser le cocontractant. Quand celui-ci n’agit pas par voie d’action, mieux vaut sécuriser le procès futur en commençant l’exécution, ce qui privera nécessairement la partie défenderesse de sa possibilité d’user de l’exception de nullité. En droit des sûretés, ceci passe, par exemple, par prendre une inscription hypothécaire même provisoire sur l’un des biens immeubles de la caution.

 

Com. 17 sept. 2025, F-B, n° 24-11.619

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseille

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