Exception de parodie, un nouvel épisode : Tintin au pays de Hopper

L’exception de parodie doit être appréciée de façon restrictive et in concreto. Elle exige une intention humoristique évidente, de préférence comportant une certaine intensité et suppose l’identification immédiate de l’œuvre parodiée. L’œuvre parodique doit s’en distinguer sans créer un risque de confusion entre les œuvres en cause et sans appropriation du travail d’autrui. Ainsi, ne peuvent relever de cette exception les œuvres qui empruntent les ressorts d’œuvres premières pour s’attribuer le bénéfice de leur notoriété et vivre de leur rayonnement. Il ne peut jamais s’agir d’une démarche commerciale à grande échelle qui ne répond pas à la loi du genre de la parodie, nécessairement ponctuelle.

Les origines du contentieux

Un artiste peintre sculpteur et parodiste, M. Marabout, a réalisé une série de tableaux « impliquant » l’œuvre d’Hergé, plus précisément les œuvres que constituent les personnages qu’il a créés. Il y interroge notamment la vie sensuelle, amoureuse et la psychologie du personnage de Tintin, ce qui l’a déterminé à mettre en scène ce personnage si connu dans des situations inédites inspirées des toiles du peintre américain Hopper. Ses travaux ont été rendus publics dès 2014 à travers diverses expositions dont celle intitulée Tintintamarre. En mai 2015, la société Moulinsart, devenue Tintinimaginatio, particulièrement soucieuse de faire respecter ses droits portant sur les œuvres d’Hergé, et après avoir découvert la mise en vente en vente via son site Internet des peintures, lui a reproché ce qui constitue selon elle des adaptations, sans autorisation, de différents éléments extraits de l’œuvre d’Hergé.

La société Tintinimaginatio, aux côtés de laquelle est intervenue la légataire universelle des droits moraux d’Hergé, assigne M. Marabout pour contrefaçon de droits d’auteur, atteinte au droit moral et parasitisme devant le Tribunal judiciaire de Rennes . En effet, elle lui reproche spécialement, d’une part, d’avoir reproduit ou adapté les personnages de l’univers de Tintin, sans autorisation, et, d’autre part, de s’être inscrit dans le sillage d’Hergé, de s’être servi de la notoriété de ses personnages et de leur auteur, pour attirer le grand public et vendre ses toiles. Outre des mesures tendant à la réparation des préjudices subis, à la communication d’un certain nombre d’informations permettant l’évaluation de ces préjudices, la société demande l’interdiction de commercialiser et surtout la destruction de toutes les peintures arguées de contrefaçon. Une telle demande s’agissant de créations artistiques est aussi rarement sollicitée que, à mon sens, particulièrement violente, et à tout le moins disproportionnée… L’artiste revendique quant à lui, pour l’essentiel, le bénéfice de l’exception de parodie consacrée à l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle.

La décision de première instance

Le Tribunal judiciaire de Rennes (10 mai 2021, n° 17/04478, Dalloz actualité, 25 mai 2021, obs. F. Donaud ; Dalloz IP/IT 2021. 563, obs. P. Mouron ; Légipresse 2021. 434, étude P. Pérot ; Propr. intell. 2021, n° 80, p. 79, comm J.-M. Bruguière ; LEPI juill. 2021, p. 2, obs. A. Lebois ; RLDI 2021, n° 184, p. 9, note C. Latil ; Propr. industr. 2021, chron. 8, § 4, obs. J. Larrieu) fut convaincu du bien-fondé des prétentions de l’artiste. Pour lui donner gain de cause, il précise les conditions ou éléments devant être satisfaits pour que l’exception de parodie puisse être retenue. À ce titre, l’identification immédiate de l’œuvre parodiée requise est en l’espèce considérée comme manifeste. La nécessaire distinction entre l’œuvre parodique et l’œuvre parodiée est caractérisée par le choix de l’artiste d’un support différent de celui de la bande dessinée, d’une composition évoquant l’œuvre de Hopper et de la mise en scène des célèbres personnages dans des situations « habituellement inconnues et où ils apparaissent visiblement déplacés ». On notera d’ailleurs que le tribunal se réfère dans cette perspective au personnage fictif de « l’observateur même très moyennement attentif », lequel n’est pas prévu par la loi, pour constater qu’il « existe (ainsi) une distanciation suffisante avec l’œuvre prétendue contrefaite. Enfin, l’intention humoristique est, selon le tribunal, exprimée par M. Marabout, mais surtout perçu par le public, comme en attestent les nombreux témoignages dont disposent les juges : intention non seulement exprimée donc, mais aussi décelée.

Le tribunal souligne ressentir lui-aussi – ce qui est rare dans une affaire de parodie – l’intention humoristique du défendeur. Dans cette perspective, il constate « que l’œuvre austère d’Edward Hopper se trouve réinterprétée dans un sens plus animé, plus vivant par l’inclusion de personnages (et de véhicules) notamment issus de l’œuvre de B qui viennent y vivre une relation sans doute teintée d’affection et d’attirance sexuelle ». Il aurait été sans doute plus « orthodoxe », en s’interrogeant sur l’existence d’une parodie des œuvres d’Hergé (des œuvres-personnages ou des Aventures de Tintin), de ne pas se focaliser sur la réinterprétation de l’œuvre de Hopper… Le tribunal relève néanmoins plus loin que « l’effet humoristique est constitué par l’incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des œuvres de Hopper et de l’absence de présence féminine au côté de Tintin, à l’exception des personnages caricaturaux de (…), cet effet invite le spectateur à imaginer une suite qui provoque le sourire ».

Spécificités de l’appel

En appel, le sort des œuvres de Xavier Marabout fut moins heureux. On relèvera d’ailleurs s’agissant du nombre d’œuvres litigieuses – vingt-quatre en cause d’appel, quinze de plus qu’en première instance –, que le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir de l’artiste peintre, estimant que leur inclusion en cause d’appel dans le périmètre du procès ne modifie pas l’objet du litige.

En première instance furent discutées l’originalité des œuvres prétendues contrefaites ou la titularité des droits les concernant, ce qui permit d’ailleurs à la cour d’appel, comme au tribunal, d’affirmer que « les personnages originaux de bande dessinée sont protégés indépendamment de l’œuvre dans laquelle ils apparaissent » (§ 50). En cause d’appel, ces questions sont délaissées et les discussions essentielles concernent l’exception de parodie (la liberté d’expression artistique également) et la caractérisation du prétendu comportement parasitaire. Le présent commentaire se concentrera sur l’exception de parodie.

Principe d’interprétation stricte des exceptions aux droits d’auteur

La cour d’appel précise que « s’agissant d’une exception », « la parodie doit être appréciée de façon restrictive et, en toute hypothèse in concreto ». La première assertion appelle une réaction. En effet s’il est admis que les exceptions aux droits de l’auteur, comme toute exception selon l’adage « exceptio est strictissimae interpretationis », doivent être strictement interprétées –, il me semble qu’affirmer la nécessité d’une appréciation restrictive va au-delà. Comment faire produire à une exception son plein effet, ce que permet une interprétation stricte, si celle-ci est restrictive ?

Une lecture restrictive critiquable

La Cour de justice est intervenue, à plusieurs reprises, pour affirmer que si les exceptions au droit d’auteur doivent être interprétées strictement, l’effet utile de chaque exception aux droits d’auteur prévues à l’article 5 de la directive 2001/29/CE dite société de l’information, devait être préservé (v. depuis, CJUE 16 juin 2011, aff. C-462/09, Stichting de Thuiskopie c/ Opus Supplies Deutschland GmbH, pt 34, D. 2011. 1816 ; Légipresse 2011. 397 et les obs. ; RTD com. 2011. 551, obs. F. Pollaud-Dulian ; Propr. intell. 2011, n° 40, p. 316, obs. A. Lucas ; CJUE 1er déc. 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer, pt 133, D. 2012. 471, obs. J. Daleau , note N. Martial-Braz ; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli ; Légipresse 2012. 12 et les obs. ; ibid. 161, comm. J. Antippas ; RTD com. 2012. 109, obs. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 118, obs. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 120, obs. F. Pollaud-Dulian ). La Cour procède ainsi à une interprétation de chaque exception au regard de la finalité de la directive, de celle de l’article 5 qui les consacre, et de la finalité propre à chaque exception. Dans son arrêt Deckmyn, première et unique décision pour l’heure relative à l’exception de parodie (CJUE 3 sept. 2014, aff. C-201/13, D. 2014. 2097 , note B. Galopin ; Légipresse 2014. 457 et les obs. ; ibid. 604, comm. N. Blanc ; JAC 2014, n° 17, p. 10, obs. E. Scaramozzino ; RTD com. 2014. 815, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2016. 358, obs. F. Benoît-Rohmer ; Propr. intell. 2014. 393, obs. J.-M. Bruguière ; CCE 2014. Comm. 82, note C. Caron ; RIDA oct. 2014, p. 387, obs. P. Sirinelli ; JCP E 2015. 1389, n° 7, obs. A. Zollinger ; RLDI 2014/108. 3583, obs. C. Castets-Renard), la Cour a réaffirmé ce raisonnement. Elle a tout d’abord dit pour droit que la parodie constituait une notion autonome du droit de l’Union (pt 15). Elle souligne en second lieu qu’en « l’absence de toute définition, dans la directive 2001/29/CE, de la notion de parodie, la détermination de la signification et de la portée de ce terme doit être établie, selon une jurisprudence constante de la Cour, conformément au sens habituel de celui-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel il est utilisé et des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie » (pt 16). La Cour rappelle en troisième lieu le principe de l’interprétation stricte (et non restrictive) d’une exception tout en soulignant que l’interprétation de la notion de parodie doit, en tout état de cause, permettre de sauvegarder l’effet utile de l’exception ainsi établie et de respecter sa finalité (pt 23). Elle insiste en précisant notamment que le fait qu’il s’agisse d’une exception n’a pas pour conséquence de réduire – ce qui fait écho selon moi à une approche restrictive – le champ d’application de l’article 5, § 3, sous k de la directive consacrant cette exception, par des conditions qui ne ressortent ni du sens habituel du terme « parodie » dans le langage courant, ni du libellé de cette disposition. La Cour procède ainsi au rappel et à la précision des objectifs poursuivis par la directive en général (pt 25) et de la finalité des exceptions (pt 26). Si dans les autres décisions relatives aux exceptions la Cour prend soin également de préciser la finalité de l’exception litigieuse aux fins de son interprétation (v. CJUE 1er déc. 2011, aff. C-145/10, Painer, pt 133, préc. ; CJCE 1er mars 2012, aff. C-604/10, Association Premier League, pts 162-163, D. 2012. 735 ; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli ; Légipresse 2012. 207 et les obs. ; JS 2012, n° 119, p. 9, obs. G.D. ; RTD com. 2013. 739, chron. P. Gaudrat ), cette précision est ici plus implicite. Elle observe ainsi, après avoir relevé que les exceptions visent à maintenir un « juste équilibre » entre, notamment, les droits et les intérêts des auteurs, d’une part, et ceux des utilisateurs d’objets protégés, d’autre part, que l’application de l’exception de parodie doit respecter un juste équilibre entre les intérêts et les droits des titulaires et la liberté d’expression de l’utilisateur.

Lorsque la cour d’appel, dans la décision qui nous retient, juge que l’exception de parodie doit être interprétée restrictivement, il me semble qu’elle méconnait la position de la Cour de justice, comme celle de la jurisprudence française. Ni justifiée, ni opportune selon moi, une telle interprétation ne permettrait pas de respecter l’équilibre des intérêts voulu par le législateur et recherché par la définition même des exceptions. D’ailleurs, la Cour de justice invite encore au respect de cet équilibre lorsque, dans ses arrêts de grande chambre de juillet 2019. Elle y souligne que si les juges ne peuvent créer de nouvelles dérogations au droit d’auteur sur le seul fondement de la liberté d’information et donc d’expression, il appartient au législateur de garantir cet équilibre dans la définition des droits et exceptions conformément au droit de l’Union, et aux juges, dans la mise en œuvre des exceptions, de réaliser une balance des intérêts de nature à préserver la liberté d’expression lorsque celle-ci justifie l’exception légale, ce qui exclut de retenir une application restrictive (CJUE , gr. ch., 29 juill. 2019, aff. C-469/17, Funke Medien NRW GmbH, pt 71, D. 2019. 1606 ; Dalloz IP/IT 2019. 464, obs. N. Maximin ; ibid. 2020. 317, obs. A. Latil ; Légipresse 2019. 451 et les obs. ; ibid. 541, obs. V. Varet ; ibid. 2020. 69, étude C. Alleaume ; RTD com. 2020. 53, obs. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 83, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2019. 927, obs. E. Treppoz ; ibid. 2020. 324, obs. F. Benoît-Rohmer ; Propr. intell. 2019, n° 73, p. 29, obs. A. Lucas ; CCE 2020. Comm. 1, obs. C. Caron ; aff. C-476/17, Pelham GmbH, D. 2019. 1742 , note G. Querzola ; Dalloz IP/IT 2019. 465, obs. N. Maximin ; ibid. 2020. 317, obs. A. Latil ; Légipresse 2019. 452 et les obs. ; ibid. 541, obs. V. Varet ; ibid. 2020. 69, étude C. Alleaume ; RTD com. 2020. 74, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2019. 927, obs. E. Treppoz ; ibid. 2020. 324, obs. F. Benoît-Rohmer ; CCE 2019. Comm. 75, obs. C. Caron ; JCP 2019. 992, note J.-M. Bruguière ; Propr. intell. 2019, n° 73, p. 46 ; aff. C-516/17, Spiegel Online GmbH, pt 55, D. 2019. 1605 ; Dalloz IP/IT 2020. 317, obs. A. Latil ; Légipresse 2019. 451 et les obs. ; ibid. 541, obs. V. Varet ; ibid. 2020. 69, étude C. Alleaume ; ibid. 322, étude N. Mallet-Poujol ; RTD com. 2020. 83, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2019. 927, obs. E. Treppoz ; ibid. 2020. 311, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 324, obs. F. Benoît-Rohmer ).

Fondement de l’exception « de parodie »

La cour d’appel ne réaffirme pas expressément le fondement de l’exception, que le tribunal avait clairement formulé en soulignant que « l’exception de parodie est destinée à garantir la liberté d’expression des artistes, ce principe a donc valeur constitutionnelle et impose au juge de vérifier qu’il existe un juste équilibre entre cette liberté et les droits de l’auteur source de l’inspiration du parodiste » (v. aussi sur cette affirmation, Paris, 18 févr. 2011, n° 09/19272, SAS Arconsil c/ Sté de droit belge Moulinsart, Légipresse 2011. 141 et les obs. ; ibid. 142 et les obs. ; ibid. 233, comm. P. Vilbert ; CCE 2012. Comm. 1, note C. Caron ; Propr. intell. 2011, n° 39, p. 187, obs. J.-M. Bruguière). Cette justification de l’exception est unanimement admise, tant par la jurisprudence que par la doctrine. Elle a également été consacrée par l’arrêt Deckmyn, lequel souligne encore que « la parodie constitue un moyen approprié pour exprimer une opinion ».

Cette justification explique peut-être qu’une partie de l’argumentation de la défense dans notre affaire sous commentaire soit fondée sur la liberté d’expression. On peut néanmoins s’interroger sur l’opportunité de développer un tel argumentaire justifiant la reproduction ou l’adaptation des personnages d’Hergé par la seule liberté d’expression artistique. En effet, c’est par la consécration d’exceptions que la liberté d’expression est garantie en droit d’auteur. La Cour de justice, dans les arrêts de juillet 2019 précités, l’a rappelé avec force. Et si la Cour de cassation avait un temps jugé que la liberté d’expression, à elle seule, pouvait justifier une contrefaçon ou une limitation de la condamnation qui s’ensuit (Civ. 1re, 15 mai 2015, n° 13-27.391, Klasen, D. 2015. 1094, obs. A. T. ; ibid. 1672 , note A. Bensamoun et P. Sirinelli ; Légipresse 2015. 331 et les obs. ; ibid. 474, comm. V. Varet ; JAC 2015, n° 26, p. 6, obs. E. Treppoz ; ibid. 2016, n° 39, p. 28, étude E. Treppoz ; RTD com. 2015. 509, obs. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 515, obs. F. Pollaud-Dulian ; 22 juin 2017, nos 15-28.467 et 16-11.759, Dialogues des Carmélites, D. 2017. 1955 , note P. Malaurie ; Dalloz IP/IT 2017. 536, obs. J. Daleau ; Légipresse 2017. 363 et les obs. ; ibid. 438, Étude E. Treppoz ; RTD com. 2017. 891, obs. F. Pollaud-Dulian ), cette jurisprudence semble bien devoir être considérée comme remise en cause par les arrêts de 2019. Il est vrai que l’exception de parodie ne permet pas de rendre licite, en l’absence d’autorisation des titulaires de droits, toute création par laquelle l’auteur entend exercer sa liberté de création ou d’expression artistique. Mais, sauf à modifier les systèmes français et européen, il appartient au législateur, dans la loi, de définir les exceptions à un droit de propriété nécessaires à la garantie de la liberté d’expression et dont la reconnaissance permet également de sauvegarder les intérêts légitimes de l’auteur de l’œuvre « utilisée », comme l’a très clairement ré-affirmé la Cour de justice et aux juges de les mettre en œuvre de manière à garantir cette balance des intérêts. Or l’application de telles exceptions doit être appréciée in concreto.

Appréciation in concreto de la parodie

L’affirmation de la cour d’appel d’une nécessaire application in concreto de l’exception doit (à mon sens) être approuvée. La jurisprudence française, comme celle de la Cour de justice, sont bien établies en ce sens. La mise en œuvre de cette exigence apparait néanmoins, dans la décision de la Cour, appeler une discussion. En effet, si les juges prennent soin d’identifier brièvement les différentes peintures litigieuses, la décision ne révèle pas une approche in concreto, œuvre par œuvre, pour déterminer si l’une ou l’autre peut être qualifiée de parodie.

Considérer de manière globale, générale, que des peintures « mettant en scène » des personnages ou des objets issus des aventures de Tintin ne constituent pas des parodies, relève d’un raisonnement spécieux. La qualification d’une œuvre, qu’il s’agisse de son originalité, de son caractère d’œuvre dérivée ou « contrefaisant » par exemple, ou, comme ici, de son caractère parodique, suppose, notamment dans un contentieux impliquant plusieurs œuvres, d’apprécier œuvre par œuvre leurs caractéristiques.

Si la mise en perspective de chacune des œuvres litigieuses à l’aune du travail de l’artiste dans sa globalité et de sa démarche artistique est compréhensible, il est essentiel me semble-t-il, même dans un litige impliquant vingt-quatre œuvres, que chaque œuvre litigieuse soit examinée, afin de déterminer si l’auteur peut bénéficier de l’exception dite de parodie pour telle ou telle création. Peut-être la Cour n’a-t-elle pas été encouragée à le faire par les argumentations des parties, il n’en reste pas moins, qu’un tel examen s’imposait.

Exception dite de parodie

Il ne s’agit pas ici d’analyser la question de la distinction entre parodie, pastiche et caricature, et de son appréhension doctrinale ou jurisprudentielle. Il est d’un commun usage de viser « l’exception de parodie » alors que la loi française, comme la directive 2001/29/CE, comporte la mention de trois formes satiriques. Le régime applicable en cause est unique pour ces différents types de création, ce qui n’encourage pas à une fine distinction. Il n’en reste pas moins que les caractéristiques de ces trois formes diffèrent.

Sans forcément adhérer à la distinction proposée par Desbois selon lequel le pastiche concerne les arts plastiques alors que la parodie viserait les œuvres musicales, on relèvera que le « degré d’humour » pourrait notamment, ne pas caractériser de la même manière parodie, pastiche ou caricature. L’exception de pastiche du droit allemand, en cause dans l’affaire Pelham (CJUE 29 juill. 2019, aff. C-476/17, Pelham GmbH, préc.) est comprise selon la jurisprudence allemande, comme n’étant pas subordonnée à la caractérisation d’une manifestation d’humour…

Plus fondamentalement, ne serait-il pas justifié de tenir compte de ces différents termes, renvoyant à différents genres, relevant tous plus largement de la satire, pour retenir que l’exception ne vise pas seulement à permettre ce qui fait rire, sans subtilité(s), mais également ce qui interpelle, interroge, en faisant « rire ou sourire » – alternative que la jurisprudence rappelle d’ailleurs constamment –, ainsi serait licite tout utilisation d’une œuvre à des fins de satire.

L’histoire, notamment en France, révèle un réel souci, du législateur, de la jurisprudence et de la société plus généralement, de permettre librement cette dernière – la parodie, le pastiche et la caricature donc –, que ce soit à l’égard de personnes, d’œuvres ou plus largement de propos. Le législateur, en dehors de la précision de ces différents genres, n’a pas donné de définition très précise de l’exception.

Définition de l’exception

La loi française prévoit que l’auteur ne peut interdire, dès lors qu’il a divulgué son œuvre, « la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre » (CPI, art. L. 122-5, 4°). La directive 2001/29/CE ne prévoit aucune condition explicitement et se « contente » de permettre aux États membres de consacrer une exception dans le cas d’une utilisation à des fins de caricature, de parodie ou de pastiche (art. 5, § 3, sous k). La définition de cette exception, à partir des termes de la loi, et sans distinguer les genres visés en général, a donc été l’œuvre des juges et de la doctrine. Le professeur Françon, dans une étude pionnière (Questions de droit d’auteur relatives aux parodies et productions similaires, Dr. auteur 1988. 302), avait distingué l’élément moral de la parodie, constitué par l’intention humoristique, et l’élément matériel, constitué par un emprunt à l’œuvre première excluant tout risque de confusion. Cette conception, qui a été consacrée par une doctrine quasi-unanime et par les juges français, se retrouve dans la décision Deckmyn précitée de la Cour de justice. Cette dernière précise qu’« il est constant, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 48 de ses conclusions, que la parodie a pour caractéristiques essentielles, d’une part, d’évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie » (pt 20). Ces éléments constitutifs de l’exception correspondent à la seule exigence légale du respect des lois du genre.

Condition(s) de l’exception: « les lois du genre »

L’examen de la jurisprudence et de la doctrine permet de recenser essentiellement deux – ou trois – « lois du genre ». Celles-ci, sans distinction entre parodie, pastiche ou caricature, sont en général ainsi énoncées : d’une part, « la parodie » doit « faire rire ou sourire », ce qui logiquement suppose d’autre part, une « absence de confusion » entre l’œuvre première et l’œuvre (ou le corpus) parodiant, caricaturant ou pastichant. La Cour de justice de l’Union européenne, dans l’arrêt Deckmyn, énonce quant à elle trois lois selon le professeur Christophe Caron (C. Caron, Les trois lois du genre de la parodie, CCE 2019. Comm. 47, ss Civ. 1re, 22 mai 2019, n° 18-12.718).

La première est celle de l’absence de confusion entre la parodie et l’œuvre parodiée, que la Cour formule par l’exigence d’une évocation de l’œuvre existante par la parodie, « tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci ». Au titre de la seconde loi, si la jurisprudence française, essentiellement des juges du fond, exige une « intention humoristique », la Cour l’identifie dans la nécessité d’une manifestation d’humour ou une raillerie. La Cour impose aux juges nationaux de vérifier enfin, pour apprécier l’application de l’exception, que celle-ci respecte un juste équilibre entre les intérêts et les droits des titulaires et la liberté d’expression, condition qui revêt, selon le Professeur Christophe Caron, « les habits du principe de proportionnalité, décidément très en vogue en droit de la propriété intellectuelle », la parodie ne devant pas entraîner une « atteinte disproportionnée aux intérêts légitimes de l’auteur et de son ayant droit ». Ainsi identifiées, ces « lois du genre » constituent les seules conditions de l’exception de parodie.

D’une exigence surprenante d’« utilisation limitée » (de l’exception ?) par la cour d’appel. Faire sourire mais pas trop souvent … ? Incise provocatrice, en réaction à une affirmation surprenante de la cour d’appel. Cette dernière dessine une nouvelle loi du genre. Elle précise en effet dans un premier temps que « ne peuvent relever de l’exception de parodie les œuvres qui empruntent les ressorts d’œuvres premières pour s’attribuer le bénéfice de leur notoriété et vivre de leur rayonnement (…) il ne peut jamais s’agir d’une démarche commerciale à grande échelle qui ne répond pas à la loi du genre de la parodie, nécessairement ponctuelle » (§ 56, je souligne). Elle indique encore, qu’une série de 39 tableaux sur huit années (ou le fait de les avoir nommés d’une certaine manière) « ne peut pas répondre aux lois du genre qui s’entendent d’une utilisation en toute hypothèse très limitée, alors que M. Xavier Marabout en fait un véritable genre en soi, en utilisant parfois dans une même œuvre jusqu’à cinq références, personnages compris, à l’univers des “Aventures de Tintin” » (§ 62, je souligne). Les juges en concluent qu’il abuse ainsi d’une exception qui procède, avant tout, de la liberté d’expression. Mais, de deux choses l’une, soit l’exception s’applique, puisque l’auteur poursuivi en abuse, donc la condition de caractère « limité » ou « ponctuel » ne tient pas, soit l’exception n’a pas vocation à s’appliquer faute d’utilisation « limitée » et alors on ne peut en abuser…

Quoi qu’il en soit, cette nouvelle loi du genre interroge. L’exigence serait celle du caractère ponctuel de la parodie. Autrement dit, la parodie supposerait que son auteur ne réalise pas de parodies, à l’égard d’une ou plusieurs œuvres, en nombre ou dans la durée. La Cour vise en effet le nombre de tableaux, le nombre d’années et la qualité revendiquée de parodiste pour exclure le bénéfice de l’exception sur le fondement de cette « loi du genre ». Mais une telle exigence n’est consacrée, à notre connaissance, ni par la jurisprudence, ni par la doctrine, pas plus en France que dans d’autres pays de l’Union. La Cour souligne que M. Marabout fait de la parodie « un véritable genre en soi » … L’artiste se revendique en effet comme parodiste. Mais lui refuser de ce fait le bénéfice, pour telle ou telle de ses œuvres, de l’exception de parodie n’a guère de sens si l’on raisonne rigoureusement pour déterminer si l’exception peut ou non s’appliquer. En effet, un examen œuvre par œuvre est requis. Or la cour d’appel raisonne ici au regard de l’activité créatrice de l’artiste « dans son ensemble », sur plusieurs années, de son « genre », de son style, de la définition de son art, pour lui refuser le bénéfice de l’exception… Cette nouvelle loi du genre est également formulée en terme d’ « utilisation très limitée ». La cour d’appel semble considérer qu’une utilisation parodique de « nombreux » personnages-œuvres dans une œuvre revendiquée comme parodie n’est pas « limitée », et que donc elle ne répond pas aux « lois du genre »… Outre le fait que les tableaux en cause ne parodient qu’un ou deux, tout au plus trois, personnages impliqués dans les Aventures de Tintin, il semble qu’il s’agirait là encore d’une nouvelle « loi du genre », que n’implique pas la considération de la raison d’être, de la caractérisation du genre satirique. Cette « loi du genre » évoque davantage, surtout lue à l’aune de la référence à la notoriété faite par la cour d’appel, l’idée de parasitisme, que l’on apprécie au regard de l’ensemble des comportements d’un opérateur économique. Ce parasitisme est exclu par le bénéfice de l’exception, dont il appartient au juge d’apprécier l’application au préalable lorsqu’elle est revendiquée, sans ajouter une condition. Autrement dit, le juge doit vérifier les éléments, intentionnel et matériel, de l’exception.

De l’élément intentionnel ou de la condition d’intention humoristique : une délicate appréciation

Ni la jurisprudence, ni la doctrine, ne se risque à définir l’humour. Et parce que son appréciation est délicate, les juges requiert souvent une « intention humoristique évidente » (v. Paris, 21 sept. 2012, n° 10/11630).

La cour d’appel, conformément à la “tradition”, entend vérifier cette « intention humoristique évidente » qui selon elle doit « de préférence » comporter « une certaine intensité ». Elle relève, sans aucun doute par allusion à l’affaire de la Bicyclette bleue (Civ. 1re, 4 févr. 1992, n° 90-21.630, Trust Company Bank (Sté) c/ Deforges (Mme), D. 1992. 182 , note P.-Y. Gautier , cassant Paris, 21 nov. 1990, D. 1991. 85, obs. P.-Y. Gautier ), que « si un sourire suffit, en revanche, la simple recherche d’une complicité amusée avec le lecteur ou le spectateur ne suffit pas, ni un simple clin d’œil en direction du public ou un choc visuel » (§ 61). Elle évoque encore que « ses tableaux, qui dévoilent en réalité d’une intention artistique, peuvent donner lieu à sourire (plus qu’à rire, au demeurant) ou introduire une complicité amusée avec le spectateur » (§ 54). Pour la Cour, il est évident que l’auteur n’a eu aucune intention humoristique. Mais avoir une intention artistique, ce qui est évident lorsque l’on est un artiste et que l’on peint me semble-t-il, n’exclue pas l’intention humoristique, ou, pour reprendre les termes de la Cour de justice, « une manifestation d’humour ou une raillerie ». La cour d’appel souligne encore que « le seul fait, pour M. Xavier Marabout, d’introduire dans ses œuvres, d’ailleurs sans outrance, des éléments puissants de sensualité (femmes callipyges, présence d’un sex shop) ou disruptifs (tatouage de Tintin, Dupond qui fume, Tintin qui fume, dépressif, anxieux, fragilisé, lecteur d’un magazine gay ou encore qui boit une bière) ne peut pas être considéré comme procédant d’une intention humoristique, a fortiori lorsqu’il le propose, ainsi qu’il l’indique lui-même, en manière d’hommage à un dessinateur ayant marqué son adolescence » (§ 60). Mais souhaiter faire sourire, tout en interpellant ou pour interpeller, tout en rendant aussi hommage, est-ce exclusif d’une intention humoristique ?

Élément intentionnel

De l’intention humoristique ou plus largement satirique. Selon la jurisprudence, et notamment la Cour d’appel de Paris (18 févr. 2011, n° 09/19272, Légipresse 2011. 141 et les obs. ; ibid. 142 et les obs. ; ibid. 233, comm. P. Vilbert ), « le propos parodique doit être perçu sans difficulté ce qui suppose à la fois une référence non équivoque à l’œuvre parodiée et une distanciation recherchée qui vise à travestir ou à subvertir l’œuvre dans une forme humoristique, avec le dessein de moquer, de tourner en dérision pour faire rire ou sourire ». Il est fréquent, dans les décisions relatives à l’exception dite de parodie, que le juge fasse référence au « rire ou sourire ». Si tel doit être le but de l’auteur d’un pastiche, d’une parodie ou d’une caricature, il n’est pas exclusif d’une finalité critique, ce que soulignent un certain nombre de décisions. Sourire n’est pas rire (aux éclats). La satire n’est pas forcément hilarante… Et il ne s’agit pas toujours que de rire ou sourire. On notera d’ailleurs que les juges du fond ont plusieurs fois développé une conception compréhensive de l’exception. Ainsi, en 2007, le Tribunal de grande instance de Paris indiquait que la parodie « est un travestissement de l’œuvre première à des fins d’humour, d’hommage ou de critique ». Plusieurs décisions ont admis le bénéfice de cette exception en présence de propos critiques (Versailles, 17 mars 1994, Agent judiciaire du Trésor c/ Philip Morris (Sté), D. 1995. 56 , obs. C. Colombet ; Riom, 15 sept. 1994, CFDT des industries chimiques du Puy-de-Dôme c/ Compagnie générale des établissements Michelin, D. 1995. 429 , note B. Edelman ), ou lorsque l’auteur « retourne totalement le sens (d’une œuvre-chanson) pour en faire de manière humoristique un hommage à la mémoire de son interprète » (Paris, 11 mai 1993, RTD com. 1993. 510, obs. A. Françon . Pour cette dernière affaire, l’appréciation par les juges de « la manière humoristique » peut être discutée, comme dans d’autres contentieux. Mais, selon le professeur Caron (art. préc.), comme pour une partie de la doctrine, ces décisions « font surtout prévaloir la liberté d’expression et, pour ce faire, n’ont pas d’autre choix que d’interpréter largement la seule exception pouvant être utilisée, à savoir la parodie, quitte à la dénaturer ». Retenir qu’une « intention de fond », pour reprendre l’expression des juges du fond, puisse ne pas être uniquement humoristique, ne me parait pas nécessairement dénaturer l’exception. Il me parait possible de considérer que les juges donnent ainsi à l’exception destinée à permettre les créations relevant du genre satirique, tout son sens, même si, bien sûr, dans tel ou tel contentieux, on pourra discuter de leur appréciation souveraine de l’élément intentionnel de la parodie, du caractère ou de l’effet comique, humoristique. La nécessaire garantie de l’effet utile de cette exception est affirmée par la Cour de justice, dans sa décision Deckmyn, comme souligné supra. En définissant l’exception par référence à une « manifestation d’humour ou une raillerie », la Cour ne limite pas le bénéfice de l’exception aux formes d’expression dont la seule finalité est le rire. Par ailleurs, la définition européenne de la parodie, telle qu’elle est inscrite dans la directive, vise, comme dans certaines décisions françaises antérieures, une utilisation à des fins de caricature, parodie ou pastiche, sans limiter a priori à l’hypothèse d’une parodie, pastiche ou caricature de l’œuvre préexistante en elle-même. L’humour, la raillerie, le comique, peuvent être au service d’une réflexion, d’une critique… La Cour de cassation française s’inscrit dans la droite ligne de cette jurisprudence pour affirmer que l’exception de parodie a vocation à s’appliquer en présence d’une « métaphore humoristique » caractérisant un « usage parodique » (Civ. 1re, 22 mai 2019, n° 18-12.718, D. 2019. 1166 ; Légipresse 2019. 335 et les obs. ; ibid. 555, étude K. Biondi ; ibid. 2020. 69, étude C. Alleaume ; CCE 2019. Comm. 47, note C. Caron ; RLDI oct. 2019, n° 163, p. 21, obs. P. Mouron). La Cour de cassation, à la suite de la Cour de justice, considère ainsi que le bénéfice de l’exception de parodie n’est pas limité à la « moquerie » (ou critique humoristique) de l’œuvre préexistante en elle-même.

Une question d’appréciation souveraine des juges du fond

Dans l’affaire de la Marianne jugée par la Cour de cassation en 2019, d’aucuns ont émis des doutes sur le caractère parodique de l’usage de l’œuvre préexistante, le buste de la Marianne, pour un photomontage qui ne provoquait pas vraiment le rire ou le sourire. Mais la Cour le dit très clairement, il s’agit d’une appréciation souveraine des juges du fond : « dans l’exercice de son pouvoir souverain, la cour d’appel a estimé que la reproduction partielle de celle-ci, figurant le buste de Marianne, immergé, constituait une métaphore humoristique du naufrage prétendu de la République, destiné à illustrer le propos de l’article, peu important le caractère sérieux de celui-ci ». Au regard de ses décisions, peu nombreuses en réalité, en matière de parodie, la Cour de cassation semble bien exercer un contrôle limité.

On notera que l’appréciation de l’intention est bien souvent réalisée au regard de la volonté exprimée par l’auteur de la prétendue parodie, mais également du caractère parodique ou non de la nouvelle création, révélé par sa réception par le public. L’absence de tout personnage fictif de référence, à l’image de « l’observateur averti », de « l’homme du métier » ou du « consommateur moyen » ailleurs, auquel se référer pour apprécier l’intention ou le caractère parodique d’une création peut ainsi interroger. Il a été remarqué plus haut que le Tribunal judiciaire de Rennes, dans la présente affaire, faisait référence à « l’observateur même très moyennement attentif ». La cour d’appel, quant à elle, se réfère expressément à cette réception par le public des œuvres litigieuses. Mais elle introduit ce faisant distinction entre intention et effet humoristique de manière étonnante : « Si ses tableaux, qui dévoilent en réalité d’une intention artistique, peuvent donner lieu à sourire (plus qu’à rire, au demeurant) ou introduire une complicité amusée avec le spectateur, ainsi que cela ressort des attestations produites par M. Xavier Marabout, il ne s’agit jamais là que de l’effet produit, d’ailleurs assez légitime, ce qui ne signifie pas pour autant que l’intimé ait cherché à provoquer dans un esprit de raillerie, fût-ce seulement de gentille moquerie » (§ 61). Sans savoir ce que peut signifier la légitimité d’un effet produit, on peut s’interroger sur la possible confusion par la cour d’appel entre « l’effet produit » sur le public et « l’effet humoristique » visé dans l’argumentation du défendeur puis par le tribunal, autrement dit effet humoristique recherché, ainsi que sur la pertinence de la considération de l’effet produit.

La distinction entre l’intention et l’effet produit. Et l’effet humoristique alors ? L’avocat général Villalòn, dans l’affaire Deckmyn, soulignait dans ses conclusions qu’« en définitive, la parodie vise un effet déterminé, presque comme conséquence nécessaire du remaniement d’une œuvre antérieure. C’est cette réception sélective, pour l’appeler ainsi, qui doit, en tant que telle, produire un certain effet sur les destinataires, au risque de se solder par un échec total » (Concl. présentées le 22 mai 2014, de l’arrêt  C-201/13, pt 67). Lorsque l’on évoque ainsi l’effet visé de la parodie, on ne fait pas référence à l’effet produit par la parodie. Dans tous les cas, de l’examen de la jurisprudence française, il ressort que le rire ou le sourire provoqué peut constituer une manifestation de l’intention humoristique ou satirique. Mais son absence ne remet pas en cause, en soi, l’intention humoristique de l’auteur.

Selon la cour d’appel, le sourire provoqué et démontré, nommé « effet produit », ne prouve pas la recherche, autrement dit l’intention de faire sourire. Elle affirme que les mises en situation choisies par M. Marabout ne peuvent pas être considérées comme procédant d’une intention humoristique. Elle admet néanmoins qu’elles provoquent les sourires du public et que leur auteur a exprimé son intention humoristique.

Alors comment un auteur peut-il établir son intention satirique ? La revendiquer est sans doute nécessaire ou signifiant (et le défendeur a expliqué sa démarche, son intention d’interroger en faisant sourire) mais ne suffit sans doute pas. L’auteur peut donc (doit ?) caractériser la forme humoristique, soit les éléments de son œuvre destinés à provoquer le sourire ou le rire. Le défendeur y procède en expliquant le caractère et l’effet humoristique de ses œuvres. En effet, l’auteur des prétendues parodies explique « que le caractère humoristique de (ses) œuvres (…) découle du décalage entre l’univers d’Hergé, le personnage de Tintin et sa vie sentimentale » ou encore que l’effet humoristique résulte « du renversement des situations dans lesquelles Tintin est habituellement mis en scène » (§ 57). Peut-être la Cour admet-elle d’ailleurs ce caractère en soulignant que l’effet produit est « légitime ». Le Tribunal de Rennes a également considéré « l’effet humoristique est constitué par l’incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des œuvres d’Hergé et de l’absence de présence féminine au côté de Tintin, à l’exception des personnages caricaturaux de Bianca Castafiore et Irma, cet effet invite le spectateur à imaginer une suite qui provoque le sourire ». L’effet produit, attesté par les pièces produites, est mis en avant par le défendeur pour soutenir sa prétention. Pour apprécier ce caractère ou cet effet humoristique recherché, les juges pourraient (devraient ?) se référer à un personnage de fiction, à l’image de « l’observateur averti », « l’homme du métier », qu’identifie le tribunal, pour apprécier la distanciation nécessaire (condition d’absence de confusion) avec l’œuvre prétendue contrefaite. En effet, celui-ci se réfère à « l’observateur même très moyennement attentif », pour apprécier l’absence de confusion. L’inexistence d’un tel personnage fictif, précisément identifié par la jurisprudence ou la doctrine pour apprécier le caractère humoristique, la forme humoristique, ou « l’usage parodique » pour reprendre les termes de la Cour de cassation dans l’affaire de la Marianne précitée, peut être interrogé, et regretté par certains. Il pourrait éviter, comme dans le cas d’espèce, qu’une juridiction affirme sans explication ou justification l’absence d’intention humoristique.

Une seconde condition, l’absence de confusion

Dans le présent contentieux, la distanciation nécessaire de l’œuvre arguée parodique, de l’œuvre parodiée, autrement dit l’absence de confusion, élément matériel de la parodie, est retenue sans difficulté et ne sera donc pas l’objet d’une analyse approfondie. Le Tribunal de Rennes relevait à cet égard la différence de supports, une composition qui évoque également l’œuvre de Hopper, les situations inédites dans lesquelles se trouvent les personnages (Tintin dans une situation de désarroi ou avec des femmes par exemple) et la signature des tableaux par le peintre. Les « différences perceptibles » par rapport à l’œuvre parodiée, telles qu’exigées par la Cour de justice dans l’affaire Deckmyn sont caractérisées et suffisent à écarter tout risque de confusion. La cour d’appel est également convaincue de la vérification de l’élément matériel de la parodie. Elle juge en effet que le critère de l’absence de risque de confusion avec l’œuvre empruntée est manifestement rempli par les œuvres de M. Xavier Marabout qui fusionnent deux univers radicalement opposés « celui, austère et posé » (appréciation souveraine qui peut ne pas être partagée…), « d’Hopper, et celui, joyeux et dynamique, de Tintin. Le décor principal est celui d’Hopper et les personnages de Tintin y sont installés, tels des intrus, dans des postures suffisamment différentes de celles de la bande dessinée pour permettre au spectateur d’identifier immédiatement qu’il ne se trouve plus dans une œuvre d’Hergé. La large signature de M. Xavier Marabout et le titre donné à chaque œuvre ajoute à l’absence de risque d’équivoque ». On comprend mal alors pourquoi la cour d’appel ajoute que « pour autant, même réinterprétés dans leur forme, les personnages empruntés restent aisément reconnaissables, y compris de dos ou de trois-quarts, ainsi que Tintin est curieusement le plus souvent représenté, dans une façon que M. Xavier Marabout ne peut toutefois pas qualifier de seulement “suggestive” ».

Un syllogisme inversé ?

La conviction d’un parasitisme répréhensible. La cour d’appel semble avoir été convaincue par l’idée que M. Marabout s’est volontairement saisi des personnages d’Hergé pour créer, mais principalement et surtout, pour « vendre ses toiles ». Elle affirme d’ailleurs qu’« il est évident que, si une personne est intéressée par une toile de M. Marabout, c’est d’abord et avant tout parce qu’elle contient des ingrédients de l’univers de Tintin ! », même si les juges relèvent que son travail « doit d’abord être reconnu pour sa qualité incontestable ». Sa décision est émaillée de références à la notoriété d’Hergé, auteur des personnages « parodiés », à la démarche jugée commerciale de l’artiste. Il ne s’agit pas pour M. Marabout, selon la Cour, de parodier, mais de se glisser dans le sillon de la notoriété d’Hergé. Cette appréciation suggère deux remarques. La première est la différence qui apparait entre l’utilisation des personnages créés par Hergé dans les œuvres de M. Marabout et celle, pour ne prendre qu’un exemple, d’un artiste qui réalise un buste de Tintin en utilisant la technique de la sérigraphie et celle du marouflage (Aix-en-Provence, 24 Nov. 2022, n° 2022/793, la Cour relevant d’ailleurs l’absence d’interpellation par l’auteur de l’œuvre seconde). La seconde est plus générale : la décision de la cour d’appel n’exclut-elle pas toute possibilité de parodier des personnages connus ? La jurisprudence a pourtant déjà souligné que la notoriété des œuvres n’exclut pas leur parodie…

Une exception de parodie à considérer à sa juste mesure

Pour résumer ou en substance, n’est-il pas en quelque sorte deux conceptions possibles de l’exception dite de parodie ? Soit on considère que cette exception a vocation à permettre une forme d’expression parodique, satirique, qui n’exclut pas la subtilité des moyens mis en œuvre pour faire rire ou sourire et surtout qui n’exclut la forme humoristique à des fins de critique, d’interpellation… Soit, pour caricaturer, on réserve le bénéfice de cette exception à la transformation burlesque qui provoque nécessairement un rire, sans grande subtilité. L’alternative dessinée est certes un peu manichéenne, mais elle vise à interroger. En considération des exceptions aujourd’hui consacrée, il est possible d’appeler à une lecture finalisée des exceptions pour garantir la réalisation de leurs objectifs.

Au final, quid de la qualification d’adaptation ?

Il est intéressant de se pencher sur la qualification d’adaptation de telle ou telle œuvre du défendeur, comme revendiquée par la demanderesse. Il n’est pas question ici de revenir en détail sur la définition de l’adaptation, d’ailleurs quelque peu délaissée par la doctrine, mais de s’interroger pour aller plus loin. Une adaptation a pu être considérée comme une « transposition » de l’œuvre dans un genre différent. Elle a pu être distinguée, légalement, de la transformation, ou, doctrinalement, de la variation. Mais même en retenant une définition compréhensive de l’adaptation, ce qui parait devoir être si l’on considère la décision de la Cour de cassation dans l’affaire des Misérables de Victor Hugo (Civ. 1re, 30 janv. 2007, n° 04-15.543, D. 2007. 920 , note S. Choisy ; ibid. 497, obs. J. Daleau ; JAC 2016, n° 39, p. 22, étude J.-M. Bruguière ; RTD com. 2007. 354, obs. F. Pollaud-Dulian ), on peut s’interroger sur la qualification d’adaptation « simple » ici des personnages d’Hergé (et a fortiori des œuvres d’Hergé, si l’on considère les bandes dessinées en tant que telles). En effet, transposer un personnage-œuvre dans un genre différent, en modifiant ses caractéristiques intrinsèques, en le représentant dans des situations qu’il n’a jamais connues, en le plaçant dans un univers que son auteur n’a jamais imaginé, pour interpeller de manière humoristique sur des aspects non existants de ce personnage tel que crée par l’auteur premier peut-il s’analyser en une « simple » adaptation, sans dénaturer la notion ? Lorsque la forme de l’adaptation est « amusante », « comique », « humoristique » et destinée à interpeller, s’agit-il d’une adaptation « pure et simple » ou d’une adaptation parodique ? La question, qui à mon sens n’appelle pas de réponse évidente, ne mérite-t-elle pas d’être posée ?

Quoi qu’il en soit, la possibilité d’un pourvoi en cassation existe. Mais si un tel recours est attendu par les professionnels du droit, pour éventuellement trouver des réponses aux questions que posent un tel contentieux et la décision de la cour d’appel, il engage particulièrement l’auteur qui souhaiterait faire valoir ses droits et le caractère parodique de ses œuvres… Or le contrôle limité de la Cour de cassation de l’appréciation souveraine par les juges du fond de l’élément intentionnel pourrait, entre autres, limiter les velléités du défendeur… Affaire à suivre donc.

 

Rennes, 4 juin 2024, n° 21/04257

© Lefebvre Dalloz