Exclusion du droit de préemption du locataire commercial : notion de « cession globale »

Le droit de préférence accordé au locataire par l’article L. 145-46-1 du code de commerce, en cas de vente de l’immeuble loué, n’est pas applicable en cas de cession globale d’un immeuble comprenant un seul local commercial, même si les locaux non loués sont secondaires.

Droit de préemption ou droit de préférence du locataire

L’article L. 145-46-1 du code de commerce, créé par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, accorde au locataire d’un local commercial ou artisanal un droit de préférence (ou de « préemption », les deux termes étant synonymes) lorsque le bailleur vend le local loué.

Ce droit de préférence ne concerne toutefois pas les locaux industriels (Civ. 3e, 29 juin 2023, n° 22-16.034 P, Dalloz actualité, 10 juill. 2023, obs. Y. Rouquet ; D. 2023. 1309 ; ibid. 1897, édito. D. Guével ; ibid. 2258, chron. M.-L. Aldigé, B. Djikpa, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda ; AJDI 2023. 762 , obs. J.-P. Blatter ; RCJPP 2024, n° 03, p. 52, chron. S. Gonon et E. Morgantini ; Administrer 8-9/2023. 24, note J.-D. Barbier).

Mais, même lorsqu’il s’agit d’un local à usage commercial ou artisanal, le texte comporte un certain nombre d’exceptions. Notamment, le droit de préférence n’est pas applicable en cas de « cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux » (Civ. 3e, 17 mai 2018, n° 17-16.113, Dalloz actualité, 24 mai 2018, obs. Y. Rouquet ; D. 2018. 1070 ; AJDI 2018. 605 , obs. J.-P. Blatter ; ibid. 578, étude P. Viudès et F. Roussel ; RTD com. 2018. 605, obs. F. Kendérian ; Rev. prat. rec. 2/2020. 43, chron. É. Morgantini).

Dans les deux arrêts commentés, la Cour de cassation précise l’étendue de cette exception.

Cession globale d’un immeuble comprenant un seul local commercial

Dans l’affaire n° 23-17.604, le propriétaire avait vendu l’ensemble immobilier, dans lequel il n’y avait qu’un seul locataire commerçant.

Celui-ci soutenait devant la Cour de cassation que le texte, visant la cession globale d’un immeuble comprenant « des locaux commerciaux », ne s’appliquait pas lorsqu’il n’y avait qu’un seul local commercial

Certes, le législateur, pour être plus précis, aurait pu viser la cession globale d’un immeuble comprenant « un ou plusieurs » locaux commerciaux, mais la Cour de cassation se charge d’ajouter cette précision.

Elle décide que le droit de préférence est exclu en cas de cession globale d’un immeuble dont une partie seulement est louée, même s’il n’y a qu’un seul local commercial.

Assiette du droit de préemption

La Cour de cassation précise que le droit de préemption est limité aux locaux loués. Elle décide que le texte « ne confère pas au locataire commercial un droit d’acquérir en priorité au-delà de l’assiette du bail qui lui a été consentie ».

Elle avait précédemment jugé, à propos d’une clause contractuelle accordant au locataire un droit de préemption, que ce droit ne saurait conduire à imposer au propriétaire de diviser son bien en vue de le céder à des personnes distinctes (Civ. 3e, 9 avr. 2014, n° 13-13.949, Dalloz actualité, 18 avr. 2014, obs. Y. Rouquet ; D. 2014. 926 ; ibid. 2015. 529, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; RTD civ. 2014. 647, obs. H. Barbier ).

Le propriétaire a le droit le plus absolu de vendre en une seule fois, à un seul acquéreur, tout ou partie de sa propriété. Dès lors que la vente n’est pas limitée à l’assiette des locaux loués, le locataire commerçant ne dispose d’aucun droit de préemption.

Caractère éventuellement accessoire des parties non louées

À l’appui de son pourvoi, le locataire faisait également valoir que les surfaces non louées étaient en fait des surfaces accessoires au local commercial, puisqu’il s’agissait uniquement d’un terrain à usage de parking.

Dans le second arrêt commenté (aff. n° 23-19.292), le locataire faisait également valoir que les locaux non loués, inclus dans la vente globale, étaient en fait des accessoires, puisqu’il s’agissait de locaux à usage de cave et de box.

Ils soutenaient donc qu’en réalité, la vente portait bien sur les locaux loués, les surfaces annexes, simples accessoires, ne permettant pas d’exclure le droit de préemption du locataire. En quelque sorte, l’accessoire devrait suivre le principal.

Une argumentation similaire avait déjà été développée, dans une affaire où la différence entre l’assiette du bail commercial et l’assiette de la vente était constituée par des combles, au demeurant inaccessibles, le locataire ayant fait valoir que ces combles constituaient seulement « un accessoire indivisible et négligeable » des locaux loués. Mais la Cour de cassation n’avait pas statué dès lors que le moyen présenté devant elle était mélangé de fait et de droit (Civ. 3e, 30 juin 2021, n° 20-11.893, AJDI 2022. 195 , obs. Mehdy Abbas Khayli ; Rev. prat. rec. 2022. 35, chron. E. Morgantini et P. Rubellin ).

La Cour de cassation se prononce dans les deux arrêts présentement commentés. Elle n’entre pas dans l’examen de l’importance ou du caractère accessoire ou secondaire des locaux non loués inclus dans la vente globale. Elle décide dans les deux dossiers que, dès lors que les locaux loués ne constituent qu’une partie des lots objet de la vente, le droit de préférence est exclu.

En cas de vente globale d’un ensemble immobilier, il n’y a pas lieu de procéder à de quelconques comparaisons entre les surfaces louées et les surfaces non louées, ni de rechercher si les unes ou les autres sont principales, accessoires, secondaires, voire indivisibles.

 

Civ. 3e, 19 juin 2025, FS-B, n° 23-17.604

Civ. 3e, 19 juin 2025, FS-B, n° 23-19.292

par Jehan-Denis Barbier et Séverine Valade, Avocats à la Cour, Barbier Associés

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