Exercice du droit de préemption environnemental de la SAFER
La mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées constitue le moyen privilégié pour atteindre l’objectif environnemental poursuivi par l’exercice du droit de préemption de la SAFER, mais ce moyen n’est pas impératif.
Le droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) peut être mis en œuvre dans un objectif environnemental. La loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a réécrit l’article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime afin d’en assouplir les conditions d’exercice. Ainsi, le 8° prévoit que l’objet du droit de préemption peut être « la protection de l’environnement, principalement par la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées, dans le cadre de stratégies définies par l’État, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics ou approuvées par ces personnes publiques en application du présent code ou du code de l’environnement ».
Un contentieux découlant de la volonté d’une SAFER de préempter des parcelles anciennement à usage de gravières pour y développer ses fonctions hydrologique et écologique permet à la Cour de cassation de se prononcer sur les conditions de l’exercice de ce droit telles qu’issues de cette réforme.
La mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées : moyen privilégié mais pas impératif
Au cas particulier, l’acquéreur évincé contestait la décision de la SAFER au motif qu’elle visait une fonction hydrologique et écologique, sans faire état de mise en œuvre de pratiques agricoles. La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel rejetant la demande en nullité au motif que si la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées constitue le moyen privilégié pour atteindre l’objectif environnemental poursuivi par l’exercice du droit de préemption, ce texte ne rend pas impératif l’usage de ce moyen.
En effet, l’adverbe « principalement » indique que la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées constitue le moyen qui doit être préféré pour atteindre l’objectif environnemental recherché, mais qu’il n’est pas requis. Cette formulation révèle le souci de concilier intérêt écologique et activité agricole, laquelle demeure la mission première des SAFER (J.-Cl. Rural, v° SAFER – Préemption – Objectifs. Préemption par la SAFER pour son propre compte. Champ d’application, par B. Grimonprez, fasc. 30, spéc. § 11).
La motivation de la décision de préemption
Le pourvoi critiquait également le défaut de motivation de la décision de préemption. En effet, le code rural et de la pêche maritime exige que, à peine de nullité, la SAFER justifie sa décision de préemption par « référence explicite et motivée à l’un ou à plusieurs des objectifs » définis par l’article L. 143-2 précité et la porte à la connaissance des intéressés. Par ce contrôle, les juges doivent sanctionner un éventuel détournement de pouvoirs sans pour autant apprécier l’opportunité de la mesure discutée (S. Besson, H. Bosse-Platière, S. de Los Angelès et B. Travely, JCP N 2021. 1122, obs. ss. Civ. 3e, 12 nov. 2020, n° 19-22.020). La jurisprudence impose que la motivation comporte des données concrètes, permettant de contrôler la réalité de l’objectif mentionné. La décision ne peut se limiter à se référer à l’un des objectifs légaux mais doit préciser pourquoi l’acquisition doit permettre d’atteindre le but poursuivi (Civ. 3e, 11 janv. 2024, n° 22-12.166, AJDI 2024. 216
).
En l’espèce, cette condition est jugée remplie par la Cour de cassation qui constate que l’argumentation relevée par la cour d’appel ne constitue pas des motifs types, mais des motifs expliquant l’exercice du droit de préemption par des données concrètes et objectives relatives aux propriétaires dont la cession est envisagée.
Inscription du projet dans des stratégies d’action publique
La Haute juridiction rappelle également que, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 13 octobre 2014, il n’est plus nécessaire que le droit de préemption s’exerce dans le cadre d’un projet concret et déterminé, il suffit qu’il s’inscrive dans des stratégies définies par l’État, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics ou approuvées par ces personnes publiques en application du code rural et de la pêche maritime ou du code de l’environnement.
Dans sa rédaction ancienne, le droit de préemption ne pouvait viser qu’à « la réalisation des projets de mise en valeur des paysages et de protection de l’environnement approuvés par l’État ou les collectivités locales et leurs établissements publics ». La Cour de cassation en avait déduit que son exercice supposait de s’inscrire dans un projet précis, et que l’acquisition de terres situées dans une zone naturelle d’intérêt environnemental faunistique et floristique (ZNIEFF) ne constituait pas un tel projet (Civ. 3e, 28 sept. 2011, n° 10-15.008, Dalloz actualité, 21 oct. 2011, obs. G. Forest).
Civ. 3e, 11 juill. 2024, FS-B, n° 22-22.488
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