Exigibilité de la créance du vendeur et point de départ de prescription

Dans un arrêt rendu le 14 juin 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation revient sur le point de départ de la prescription en matière de vente commerciale quand la facture mentionne la date d’exigibilité fixée par le vendeur lui-même.

Les arrêts sur le point de départ de la prescription de l’article 2224 du code civil continuent d’être au cœur de l’actualité de la Cour de cassation (v. réc., Com. 29 mars 2023, n° 21-23.104 F-B, Dalloz actualité, 7 avr. 2023, obs. C. Hélaine ; sur l’art. 2225 du code civil, v. Civ. 1re, 14 juin 2023, FS-B, n° 22-17.520, à paraître au Dalloz actualité ; D. 2023. 1180 ). Le nombre de décisions rendues sur la question publiées au Bulletin est extrêmement important, ce qui signe – s’il fallait le rappeler – le retentissement pratique des interprétations de ce point de départ dit « glissant ». En résulte une jurisprudence parfois difficile d’approche et source d’une certaine incertitude dans la détermination du point de départ de la prescription quinquennale de droit commun. La chambre commerciale a rendu le 14 juin 2023 une décision venant ajouter une nouvelle partie à cette grande fresque jurisprudentielle dans le contentieux de la vente commerciale qui implique une prescription également quinquennale régie par l’article L. 110-4 du code de commerce. L’affaire concernée a pour trame de fond le droit des transports de marchandises.

À l’origine du pourvoi, on retrouve une société ayant vendu à une autre 22,5 tonnes de harengs surgelés. La société venderesse confie l’acheminement des marchandises à un commissionnaire de transport qui confie à son tour le transport de la Pologne vers la France à une société lituanienne. La marchandise est remise par erreur à une autre société que l’acquéreur des harengs surgelés le 24 avril 2023. Le 19 avril, la société acquéreuse refuse de payer la facture émise par le vendeur faute d’avoir réceptionné les produits promis. Le commissionnaire de transport indemnise la société venderesse et assigne en vertu d’un acte subrogatoire du 15 avril 2016 la société lituanienne de transport devant une juridiction lituanienne. Le juge lituanien retient la responsabilité du transporteur. Le 20 avril 2018, la société de transport lituanienne et son assureur estiment être subrogés dans les droits du vendeur de la marchandise et assignent l’acquéreur des harengs surgelés qui, coïncidence, avait acquis le fonds de commerce de la société ayant reçu les marchandises par erreur, pour régler la facture du 19 avril 2013 et, à titre subsidiaire, pour revendiquer les produits livrés par erreur. La cour d’appel saisie du litige observe que la facture émise mentionne au titre du paiement la mention « due date : 19.04.13 ». Elle considère que la créance du vendeur devait être exigible à cette date et fixe donc le point de départ de la prescription au 19 avril 2013 pour retenir, par conséquent, que l’action était irrecevable car prescrite au jour de l’assignation introductive du 20 avril 2018 (à un jour près, donc).

Les sociétés lituaniennes se pourvoient en cassation, reprochant à ce raisonnement un défaut de base légale. Ce cas d’ouverture n’est pas consommé, selon la chambre commerciale, à en lire l’arrêt rendu le 14 juin 2023.

Détermination de la date d’exigibilité

Toute la question reposait donc sur l’incertitude autour de la date d’exigibilité de l’obligation de l’acheteur convenue entre les parties. En cause d’appel, celles-ci ne contestaient pas que le point de départ de l’article 2224 du code civil était nécessairement fixé à la date d’exigibilité, et ce même en présence d’une prescription fondée sur l’article L. 110-4 du code de commerce. Comme le relève l’arrêt au paragraphe n° 9, c’est sur le moment précis de cette date que des désaccords subsistaient de manière importante. Nous sommes face à une véritable interrogation du contenu contractuel puisqu’en tout état de cause, c’est aux parties de déterminer dans leur convention de vente à quel moment l’obligation de l’acheteur devient exigible. La source de la difficulté provenait de cette mention « due date : 19.04.13 » portée sur la facture qui ne suffisait pas, pour les demandeurs au pourvoi, à pouvoir déterminer l’exigibilité avec précision. Ils avançaient qu’il n’y avait pas d’accord des parties sur cette mention précise.

Le manquement de l’arrêt reproché, à savoir un défaut de base légale, n’avait qu’assez peu de chances de prospérer, et ce par l’application de l’article L. 441-3 du code de commerce, qui prévoit que la facture mentionne la date à laquelle le règlement doit intervenir. Il n’aura pas échappé au lecteur que les mots « due date » signifient en anglais « date d’échéance », rendant la mention suffisamment claire pour éviter d’émettre des doutes importants. On pourrait remarquer qu’il est étonnant d’avoir indiqué « due date » et d’avoir intégré une écriture de la date formalisée aux standards français et non aux standards anglais (en écrivant « due date : 04/19/13 », par ex.). Mais cette argumentation n’est guère déterminante. Le vendeur a émis sa facture en intégrant cette date, l’assureur subrogé ne peut donc pas dans son action remettre en question ce point, « rien n’interdisant aux parties de prévoir le paiement du prix avant la remise de la marchandise », comme le rappellent les juges du fond dans l’arrêt frappé du pourvoi. Ceci aurait pu conduire à un déplacement du point de départ de la prescription, mais c’est ici toutes les limites de la subrogation personnelle : la société de transport et celle l’assurant ne sont pas parties au contrat de vente, ils ne font que prendre les habits juridiques du vendeur grâce à la subrogation. Il leur est fort malaisé de pouvoir argumenter sur le terrain de la rencontre des volontés d’un contrat auquel ils n’ont pas participé initialement. C’est ce qui explique toute cette discussion qui peut sembler assez vaine.

La solution est garante d’une lecture rigoureuse des textes concernés.

Un respect des principes des articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil

L’arrêt rendu le 14 juin 2023 vient parfaitement respecter l’économie de l’article 2224 du code civil et son point de départ glissant dans la mesure où à la date portée sur la facture, les parties savent précisément que l’exigibilité est consommée. Par conséquent, ils connaissent les faits leur permettant d’exercer leurs actions respectives pour utiliser la terminologie de cet article. La solution se retrouve donc dans la droite lignée d’une interprétation littérale du texte respectueuse de son esprit dans le même temps, à savoir permettre d’éviter que la prescription puisse commencer à courir contre une personne n’ayant pas connaissance des faits lui permettant d’exercer ses droits.

Il faut accentuer la possibilité de dérogation contractuelle qui aurait pu exister dans cette situation. Les parties initiales à la vente des harengs surgelés auraient pu prévoir dans leur contenu contractuel une date d’exigibilité antérieure à la date de livraison des produits. Ceci aurait permis d’éviter le débat sur la détermination de cette date et aurait invité à une fixation du point de départ plus aisée que dans le cas d’espèce à une date fixée au contrat et non sur la facture. Mais la situation est, en pratique, très fréquente et cette mention, pomme de discorde de l’arrêt commenté, peut se décliner en différents avatars (par ex., une date tamponnée au jour de la livraison avec indiqué « date d’échéance », une mention manuscrite, etc.) selon les pratiques des partenaires économiques considérés.

Il semblerait donc que la décision sujette aujourd’hui à notre analyse ne vienne donc pas apporter de nouveaux enseignements sur la prescription extinctive. Sa publication au Bulletin s’explique certainement par cette question de détermination de la date d’échéance qui posait difficulté. En ce sens, la pratique doit donc être consciente des difficultés qui peuvent exister à ce sujet et prévoir le cas échéant des palliatifs pour éviter de tels contentieux longs et coûteux.

 

© Lefebvre Dalloz