Expertise de gestion vs expertise in futurum : vers la fin de la coexistence pacifique ?
Dans un arrêt publié au Bulletin du 11 septembre 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse, pour fausse application, l’arrêt d’une cour d’appel qui avait ordonné une mesure d’expertise sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et non sur celui de l’article L. 225.231 du code de commerce, relatif à l’expertise de gestion. Un possible infléchissement de sa jurisprudence dont la portée reste à mesurer.
 
                            La chambre commerciale de la Cour de cassation vient-elle de réduire le territoire de l’empire de l’article 145 du code de procédure civile ? La question se pose avec cet arrêt publié au Bulletin de la Cour, au travers duquel elle semble redessiner les frontières entre l’article 145 du code de procédure civile et l’article L. 225-231 du code de commerce relatif à l’expertise de gestion (l’auteur remercie vivement la Cour de cassation pour la communication du rapport du conseiller rapporteur et de l’avis de l’avocat général).
À l’origine du litige, plusieurs actionnaires minoritaires de la société anonyme de droit français Esso, représentant ensemble 2,8 % du capital social, ont saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre sur fondement de l’article 145 du code de procédure civile. En substance, ils soupçonnent l’actionnaire majoritaire de la société Esso, la société Exxon Mobil Corporation détenant 82,89 % des actions de la société, de bénéficier d’avantages indus et contraires à l’intérêt social de la société Esso.
Ils reprochent aux dirigeants de la société Esso une gestion opaque des conventions réglementées au sens de l’article L. 225-38 du code de commerce, ainsi qu’un manque de transparence quant à la classification des différentes conventions conclues par la société. Les actionnaires minoritaires sollicitaient la nomination d’un expert judiciaire sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile afin de recenser les conventions conclues entre la société et le groupe de l’actionnaire majoritaire Exxon Mobil Corporation et, en résumé, d’analyser l’intérêt pour la société Esso desdites conventions.
Par ordonnance du 21 décembre 2021, le Tribunal de commerce de Nanterre a rejeté cette demande d’expertise pour absence de motif légitime, critiquant au passage le caractère disproportionné de la mesure sollicitée. Par arrêt du 20 octobre 2022 à la motivation détaillée, la Cour d’appel de Versailles a infirmé l’ordonnance du premier juge en retenant l’existence d’un motif légitime des actionnaires minoritaires à obtenir l’expertise sollicitée, quoique réduite dans son périmètre par rapport à la demande.
La Haute Juridiction casse l’arrêt de la cour d’appel, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, au motif qu’« en statuant ainsi, alors que les mesures ordonnées ne visaient, en réalité, qu’à fournir aux actionnaires minoritaires demandeurs des informations sur des opérations de gestion, relevant comme telles du mécanisme prévu à l’article L. 225-231 du code de commerce, et non à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, la cour d’appel a violé, par fausse application, le texte susvisé ».
Afin de comprendre l’intérêt et la portée de cet arrêt au fondement qui intrigue, il convient au préalable de rappeler l’historique des relations entre l’expertise in futurum du code de procédure civile et l’expertise de gestion du code de commerce.
La coexistence pacifique de l’expertise in futurum et de l’expertise de gestion
Bien qu’ayant des régimes nettement différents, l’expertise in futurum et l’expertise de gestion coexistent de longue date sous le regard bienveillant de la Cour de cassation.
Une différence de régime…
L’article 145 du code de procédure civile est un texte majeur dans la pratique actuelle du contentieux civil, certains y voyant même un « colosse de la procédure » (R. Perrot, Mesures d’instruction préventives : le « suivi », RTD civ. 1995. 679  ). Il permet au requérant d’obtenir du juge, sur requête ou en référé, un très large éventail de mesures destinées à nourrir un litige ultérieur qu’il envisage d’introduire, dont l’expertise n’est qu’une des composantes. Le texte est de portée générale et est susceptible de s’appliquer en toute matière relevant du code de procédure civile.
). Il permet au requérant d’obtenir du juge, sur requête ou en référé, un très large éventail de mesures destinées à nourrir un litige ultérieur qu’il envisage d’introduire, dont l’expertise n’est qu’une des composantes. Le texte est de portée générale et est susceptible de s’appliquer en toute matière relevant du code de procédure civile.
Vaste, le domaine des mesures d’instruction in futurum n’est cependant pas sans limites. Afin d’obtenir l’octroi d’une mesure sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, le demandeur doit :
- s’il choisit la voie de la requête, détailler soigneusement les circonstances qui exigent qu’il soit dérogé au contradictoire (Civ. 2e, 23 nov. 1994, n° 92-17.774 P ; 11 févr. 2010, n° 09-11.342 P, D. 2010. 2102, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et S. Grignon Dumoulin  ; ibid. 2011. 265, obs. N. Fricero ; ibid. 2011. 265, obs. N. Fricero ) ; ) ;
- justifier qu’aucun procès au fond n’oppose les mêmes parties sur le même litige (Civ. 2e, 9 sept. 2021, n° 19-24.869 ; 30 sept. 2021, n° 19-26.018 P, Dalloz actualité, 20 oct. 2021, obs. C. Auché ; D. 2021. 1818  ; ibid. 2022. 431, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; ibid. 2022. 431, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Rev. prat. rec. 2021. 5, chron. E. Jullien et C. Simon ; Rev. prat. rec. 2021. 5, chron. E. Jullien et C. Simon ; ;
- démontrer l’existence d’un motif légitime à recueillir des preuves, caractérisé notamment par « l’existence d’un litige plausible, crédible, bien qu’éventuel et futur, dont le contenu et le fondement seraient cernés, approximativement au moins, et sur lesquels pourrait influer le résultat de l’expertise à ordonner » (Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-22.619 P) ;
- établir, si le motif légitime est démontré, que la mesure sollicitée est légalement admissible, le juge devant effectuer un contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve du demandeur et les intérêts du défendeur (pour de plus amples développements sur les critères du recours à l’art. 145 c. pr. civ., J.-Cl. Procédures Formulaires, v° Mesures d’instruction in futurum, fasc. 10, par O. Hocher, et not., §§ 34 à 58, pour le caractère légalement admissible des mesures).
L’expertise de gestion, prévue à l’article L. 225-231 du code de commerce (pour les sociétés anonymes), est spécifique au droit des sociétés. Son régime diffère en de nombreux points de celui de l’expertise in futurum (pour une présentation complète de l’expertise de gestion, v. Rép. sociétés, v° Expertise de gestion (sociétés), par L. Godon ; sur les différentes de régime entre expertise de gestion et expertise in futurum, v. Rev. sociétés 2003. 223, note I. Urbain-Parléani  ; RTD com. 2020. 879, obs. J. Moury
 ; RTD com. 2020. 879, obs. J. Moury  , note ss. Com. 24 juin 2020, n° 18-17.104) :
, note ss. Com. 24 juin 2020, n° 18-17.104) :
- l’expertise de gestion est une action ciblée : elle ne peut viser que des actes de gestion émanant de certains organes de la société et ne peut porter sur la totalité de la gestion de l’entreprise, quand l’expertise in futurum ne connaît a priori de limite que celle du caractère légalement admissible des mesures ;
- le code de commerce organise une phase préalable de questions écrites au dirigeant, ce qui explique sans doute que l’expertise de gestion ne peut qu’être ordonnée en référé tandis que les mesures d’instruction in futurum peuvent l’être sur requête comme en référé ;
- l’expertise de gestion est limitée à certains types de sociétés, lorsque le code de commerce le prévoit, tandis que l’article 145 du code de procédure civile peut s’appliquer à toute personne morale. De même, l’article L. 225-231 du code de commerce prévoit, pour la recevabilité du demandeur à l’expertise de gestion, un seuil de 5 % de détention du capital social (10 % pour les SARL en vertu de l’art. L. 225-37 c. com.), condition qui ne s’applique pas à l’expertise in futurum (le juge ne pouvant pas débouter le demandeur se fondant sur l’art. 145 c. pr. civ. au motif qu’il ne remplit pas la condition de détention du capital, Com. 7 déc. 1981, n° 80-11.853) ;
- le rapport de l’expert, nommé au titre d’une expertise de gestion, aura une large diffusion : demandeur, ministère public, comité d’entreprise, commissaire aux comptes et, selon le cas, conseil d’administration ou directoire et conseil de surveillance. Le rapport d’expertise in futurum n’est, lui, diffusé qu’aux parties à la procédure ;
- enfin, bien que le demandeur à l’expertise de gestion doive démontrer une présomption d’irrégularités (Com. 22 mars 1988, n° 86-17.040) ou un risque d’atteinte à l’intérêt social (Com. 10 déc. 2013, n° 12-24.232, Rev. sociétés 2014. 565, note E. Schlumberger  ), il n’a pas à démontrer la probabilité d’un contentieux à intervenir (pour une espèce dans laquelle les demandeurs étaient prescrits pour une éventuelle action en responsabilité mais ont été jugés recevables à solliciter une expertise de gestion, Com. 15 juill. 1987, n° 86-13.644). À l’inverse, la démonstration d’un litige potentiel est un élément central dans la demande d’expertise in futurum (le demandeur ne peut obtenir une mesure d’instruction in futurum si l’action envisagée est manifestement prescrite, Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-24.757 ; Civ. 1re, 6 juin 2018, n° 17-17.438, Dalloz actualité, 26 juin 2018, obs. N. Kilgus ; D. 2018. 2166 ), il n’a pas à démontrer la probabilité d’un contentieux à intervenir (pour une espèce dans laquelle les demandeurs étaient prescrits pour une éventuelle action en responsabilité mais ont été jugés recevables à solliciter une expertise de gestion, Com. 15 juill. 1987, n° 86-13.644). À l’inverse, la démonstration d’un litige potentiel est un élément central dans la demande d’expertise in futurum (le demandeur ne peut obtenir une mesure d’instruction in futurum si l’action envisagée est manifestement prescrite, Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-24.757 ; Civ. 1re, 6 juin 2018, n° 17-17.438, Dalloz actualité, 26 juin 2018, obs. N. Kilgus ; D. 2018. 2166 , note C. Grimaldi , note C. Grimaldi ; ibid. 2039, chron. C. Barel, S. Canas, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, S. Gargoullaud, R. Le Cotty, J. Mouty-Tardieu et C. Roth ; ibid. 2039, chron. C. Barel, S. Canas, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, S. Gargoullaud, R. Le Cotty, J. Mouty-Tardieu et C. Roth ; AJ contrat 2018. 377 ; AJ contrat 2018. 377 , obs. D. Mainguy , obs. D. Mainguy ; RTD civ. 2018. 919, obs. P. Jourdain ; RTD civ. 2018. 919, obs. P. Jourdain ; ibid. 931, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 931, obs. P.-Y. Gautier ). ).
… qui n’empêche pas une coexistence pacifique
Comme l’écrit un auteur, « les deux expertises sont en effet susceptibles d’aboutir au même résultat : un rapport d’expertise sur des opérations de gestion » (Q. Némoz-Rajot, Expertise de gestion et expertise in futurum : une complémentarité réaffirmée, JCP E 2020. 1521). Ainsi, l’existence de deux mécanismes permettant d’aboutir à la même finalité mais soumis à des régimes différents aurait pu conduire à l’exclusion du mécanisme plus général au profit de la voie spécifique au droit des sociétés.
Telle n’était pas jusqu’à présent la position de la Cour de cassation, respectant ainsi la tradition de grande autonomie de l’article 145 du code de procédure civile. La Cour de cassation a jugé de manière nette qu’« une mesure d’instruction ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne revêt aucun caractère subsidiaire par rapport à l’expertise de gestion prévue par l’article L. 225-231 du code de commerce » (Com. 18 oct. 2011, n° 10-18.989, Dalloz actualité, 2 nov. 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2011. 2596, obs. A. Lienhard  ; ibid. 2012. 2826, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon
 ; ibid. 2012. 2826, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon  ; RTD com. 2011. 766, obs. B. Dondero et P. Le Cannu
 ; RTD com. 2011. 766, obs. B. Dondero et P. Le Cannu  ). La chambre commerciale soulignait ici que l’ouverture de la voie de l’expertise de gestion pour le demandeur ne le prive en aucune façon d’emprunter celle de l’expertise in futurum.
). La chambre commerciale soulignait ici que l’ouverture de la voie de l’expertise de gestion pour le demandeur ne le prive en aucune façon d’emprunter celle de l’expertise in futurum.
La Cour de cassation a même énoncé, à deux reprises et dans la même affaire, qu’une expertise de gestion précédemment ordonnée sur le fondement de l’article L. 225-231 du code de commerce ne fait pas obstacle à ce qu’une expertise soit ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile (Civ. 2e, 15 sept. 2015, n° 13-25.275, Rev. sociétés 2015. 667, obs. S. Prévost  ; Com. 24 juin 2020, n° 18-17.104, RTD com. 2020. 879, obs. J. Moury
 ; Com. 24 juin 2020, n° 18-17.104, RTD com. 2020. 879, obs. J. Moury  ; JCP E 2020. 1521, note Q. Némoz-Rajot).
 ; JCP E 2020. 1521, note Q. Némoz-Rajot).
Coexistaient donc deux articles aux régimes différents, pouvant aboutir in fine au même résultat. Certains auteurs ont regretté « le danger de contournement des articles L. 223-37 ou L. 225-231 par un article 145 ici quelque peu dévoyé » (J. Moury, préc.) quand d’autres y voyaient une alternative bienvenue pour l’information des actionnaires minoritaires (I. Urbain-Parléani, L’expertise de gestion et l’expertise in futurum, Rev. sociétés 2003. 223  ). Il était également souligné que les deux types d’expertise avaient des finalités bien distinctes, l’expertise in futurum ayant une fonction probatoire, quand l’expertise de gestion aurait une fonction informationnelle (I. Urbain-Parléani, préc. ; S. Prévost, préc. ; Rép. sociétés, v° Expertise de gestion (sociétés), par L. Godon, § 13).
). Il était également souligné que les deux types d’expertise avaient des finalités bien distinctes, l’expertise in futurum ayant une fonction probatoire, quand l’expertise de gestion aurait une fonction informationnelle (I. Urbain-Parléani, préc. ; S. Prévost, préc. ; Rép. sociétés, v° Expertise de gestion (sociétés), par L. Godon, § 13).
Vers un bouleversement des rapports entre l’article 145 du code de procédure civile et l’article L. 225-231 du code de commerce ?
C’est en cet état du droit positif que la chambre commerciale de la Cour de cassation vient casser l’arrêt attaqué, pour fausse application de l’article 145 du code de procédure civile au détriment de l’article L. 225-231 du code de commerce.
Louis Boré énonce que la fausse application de la règle de droit, cas d’ouverture à cassation, « suppose que celle-ci a été appliquée à une situation de fait qu’elle ne devait pas régir. Généralement, cette situation de fait a été faussement qualifiée, ce qui a conduit le juge à lui appliquer une loi autre que celle qui la régissait » (J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz Action, 2023/2024, § 72.08).
De fait, si la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel pour fausse application de l’article 145 du code de procédure civile, c’est qu’elle estime que l’article L. 225-231 du code de commerce aurait dû trouver application au cas d’espèce. Il est difficile de ne pas y voir une remise en cause du libre choix de l’actionnaire minoritaire quant au fondement de son action.
L’attendu de l’arrêt de cassation laisse à penser qu’elle se fonde sur la distinction de finalités des deux expertises pour justifier la cassation, puisqu’elle énonce que « les mesures ordonnées ne visaient, en réalité, qu’à fournir aux actionnaires minoritaires demandeurs des informations sur des informations de gestion, relevant comme telles du mécanisme prévu à l’article L. 225-231 du code de commerce, et non à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. ». En somme, puisque les actionnaires minoritaires ne cherchaient qu’à s’informer et n’avaient pas de réelle intention d’intenter un procès ultérieurement, la voie de l’article 145 ne pouvait être empruntée.
Plusieurs interrogations subsistent néanmoins.
En premier lieu, la fausse application par la cour d’appel de l’article 145 du code de procédure civile signifie qu’elle aurait dû analyser l’affaire sous le prisme de l’expertise de gestion de l’article L. 225-231 du code de commerce. Le pouvait-elle seulement ? Les faits de l’espèce montrent en effet que les actionnaires minoritaires réunis ne pesaient que pour 2,8 % du capital, quand l’article L. 225-231 exige une détention minimale de 5 %. La cour d’appel n’aurait donc pas pu, a priori, creuser cette voie.
En deuxième lieu, ni l’avis de l’avocat général ni le rapport du conseiller ni le pourvoi ne semblent critiquer l’arrêt de la cour d’appel sur ce fondement. Le pourvoi soulevait de manière classique le défaut de motif légitime des demandeurs à solliciter l’expertise, en l’absence de caractérisation suffisante du litige potentiel, ou l’illégalité de la mesure par son caractère disproportionné et attentatoire au secret des affaires. L’avocat général sollicitait d’ailleurs la cassation de l’arrêt au motif d’un périmètre beaucoup trop large de la mesure ordonnée et, partant, de son caractère non légalement admissible. Les débats devant la cour d’appel ne semblent au demeurant jamais avoir abordé la dichotomie expertise de gestion/expertise in futurum.
En dernier lieu et surtout, la Cour de cassation reproche en filigrane à la cour d’appel de ne pas avoir caractérisé de litige potentiel ouvrant la voie de l’article 145 du code de procédure civile. Or l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles indique pourtant clairement que les demandeurs envisagent « d’intenter une action ut singuli en responsabilité pour le compte de la société contre ses dirigeants (art. L. 225-252 c. com.) » ; intention jugée suffisamment sérieuse par la cour qui considère qu’ils justifient bien « d’indices plausibles de griefs qu’ils pourront développer dans le cadre d’un procès futur en responsabilité contre les dirigeants ». La cour d’appel avait donc bien analysé la demande au prisme du « litige potentiel » de l’article 145 du code de procédure civile.
La portée à conférer à cet arrêt est donc incertaine. La Cour de cassation a-t-elle simplement considéré qu’un litige en germe était totalement exclu en l’espèce, privant les demandeurs de motif légitime à demander une mesure d’instruction in futurum ? Dans cette hypothèse, la coexistence des deux voies offertes à l’actionnaire minoritaire ne serait pas réellement remise en cause.
La Haute Juridiction souhaite-t-elle en réalité reprendre la distinction de finalités des deux expertises, probatoire et informationnelle, pour en ciseler les contours et contenir l’expansion de l’article 145 du code de procédure civile ? Le cas échéant, la distinction devra nécessairement être affinée pour permettre au demandeur de choisir sereinement la voie idoine. La tâche pourrait être ardue puisqu’à première vue celui qui cherche à étayer un soupçon pour prouver son droit cherche également à s’informer, tandis que celui qui cherche à s’informer car il présume une irrégularité de gestion peut trouver la preuve de son droit à agir en justice.
La Cour d’appel de Paris, saisie sur renvoi, délivrera de premiers enseignements.