Expropriation : nouveau point de départ du délai accordé à l’appelant pour conclure
Le délai de trois mois accordé à l’appelant, à peine de caducité, pour adresser au greffe son mémoire d’appel et les documents qu’il entend produire, court à compter de l’expédition de la déclaration d’appel par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
Par l’arrêt de censure rapporté, la Cour de cassation opère un revirement, en matière d’expropriation, quant au point de départ du délai accordé à l’appelant pour conclure.
Désormais, elle juge qu’« en matière d’expropriation, le délai de trois mois accordé à l’appelant, à peine de caducité, pour adresser au greffe son mémoire d’appel et les documents qu’il entend produire, court à compter de l’expédition de la déclaration d’appel par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ».
Au cas particulier, une société exerce son activité sur une parcelle ayant fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique conduisant à la cession de la parcelle au profit d’un concessionnaire en charge de l’opération d’aménagement de la ZAC créée.
Par la suite, le juge de l’expropriation a été saisi afin de faire fixer l’indemnité d’éviction commerciale à revenir à la société expropriée.
Non satisfaite du jugement rendu en première instance, cette dernière a interjeté appel suivant déclaration expédiée le 15 juillet, reçue le 17 juillet 2020, et a conclu, le 16 octobre 2020, à l’infirmation du jugement.
La Cour d’appel de Versailles a déclaré la déclaration d’appel caduque au motif que l’appelante n’avait pas respecté le délai de trois mois après sa déclaration d’appel pour régulariser ses écritures.
La société expropriée s’est donc pourvue en cassation se prévalant que le délai ayant commencé à courir à compter de la réception de la déclaration, le 17 juillet 2020, les écritures régularisées le 16 octobre 2020 l’ont été en temps utile.
L’ancien régime applicable
Antérieurement, la Cour de cassation jugeait que le délai accordé à l’appelant pour adresser son mémoire et ses pièces au greffe de la Cour d’appel courait à compter de la date de réception, par le greffe, de l’appel formé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (Civ. 3e, 20 oct. 1981, n° 80-70.328 P ; 11 mai 2006, n° 05-70.020 P, Torcheux c/ Saedel (Sté), AJDI 2007. 401
, obs. A. Lévy
; RDI 2007. 341, obs. C. Morel
; 22 juin 2023, n° 22-15.569, AJDI 2023. 613
).
Il s’agissait d’un régime propre à la matière, puisque la procédure d’appel en matière d’expropriation était sans représentation obligatoire et avec des délais préfix pour le dépôt des mémoires.
Le nouveau régime issu du revirement
Depuis le 1er janvier 2020, la représentation par avocat est devenue obligatoire dans le cadre de la procédure d’appel en matière d’expropriation.
En effet, le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a modifié le régime d’appel en matière d’expropriation de telle sorte que les parties sont tenues de constituer avocat également en appel selon les dispositions de l’article R. 311-27 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
L’article R. 311-26 du même code précisait déjà que « À peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel ».
Toutefois, en matière de procédure d’appel avec représentation obligatoire, la computation du délai de trois mois offert à l’appelant pour adresser ses écritures se fait à partir du jour de l’expédition de la déclaration d’appel lorsque celle-ci est établie sur support papier et adressée au greffe par lettre recommandée avec accusé de réception (v. en matière prud’homale, par ex., Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-24.107, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 87
).
De sorte qu’il y avait une différence de jurisprudence quant au point de départ du délai de conclusions, alors que les textes sont similaires (l’art. R. 311-26 c. expr. reprend les termes de l’art. 908 c. pr. civ.).
C’est donc dans un « objectif d’harmonisation et de simplification des charges procédurales pesant sur les parties » que la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence.
Elle juge désormais que « le délai de trois mois accordé à l’appelant, à peine de caducité, pour adresser au greffe son mémoire d’appel et les documents qu’il entend produire, court à compter de l’expédition de la déclaration d’appel par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ».
Un revirement qui ne pouvait être anticipé
L’arrêt commenté ne pouvait être anticipé au regard des précédents jurisprudentiels et notamment de l’arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2023 (Civ. 3e, 22 juin 2023, n° 22-15.569, AJDI 2023. 613
) aux termes duquel la Cour précisait que le délai pour conclure débutait à partir de la date de réception par le greffe de la déclaration d’appel.
En l’espèce, la procédure d’appel a été introduite après le 1er janvier 2020, soit à une époque où la nouvelle procédure était applicable et où le nouveau point de départ du délai préfix de dépôt du mémoire d’appel aurait dû être appliqué.
Le litige portait également sur la computation du délai du délai de trois mois et son point de départ. L’appelant, société expropriée, s’était vu opposer la caducité de sa déclaration d’appel pour avoir conclu plus de trois mois après la déclaration d’appel reçu par le greffe de la cour d’appel. Elle faisait valoir que le greffe avait émis un accusé de réception de la déclaration d’appel comportant une date erronée de réception, ce qui l’avait induite en erreur. Elle soutenait qu’il fallait retenir comme point de départ la date mentionnée dans l’accusé de réception émis par le greffe, ce que la cour d’appel a rejeté et ce qui a été confirmé par la Cour de cassation ensuite.
À l’occasion de ce pourvoi, la Cour de cassation n’avait nullement fait mention de cet objectif d’harmonisation des procédures d’appel alors qu’il importait peu, dans cette affaire, qu’elle mentionne comme point de départ l’expédition de la déclaration d’appel puisque la caducité de la déclaration d’appel était déjà acquise avec la réception comme point de départ.
En ce sens, le revirement issu de l’arrêt commenté ne pouvait effectivement pas être anticipé par les conseils, puisque la Cour de cassation avait retenu comme point de départ du délai pour remettre ses écritures le jour de la réception de la déclaration d’appel.
Aussi, l’application immédiate de cette nouvelle règle de procédure devrait aboutir à la caducité de nombreuses procédures d’appel pour non-respect du délai préfix du dépôt des conclusions d’appelant.
En particulier dans l’instance en cours, la Cour d’appel de Versailles avait prononcé la caducité de la déclaration d’appel en anticipant ce revirement et jugeant que le jour d’expédition devait être considéré comme point de départ du délai pour le dépôt des écritures.
La Cour de cassation considère au contraire que l’application immédiate de ce revirement aboutirait à priver la société expropriée, qui n’a pu raisonnablement anticiper ce revirement de jurisprudence, d’un procès équitable, au sens de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, en lui interdisant l’accès au juge.
Elle précise donc que cette nouvelle règle procédurale ne lui est pas applicable et censure ainsi l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles qui a fait application de ce nouveau régime aux faits.
Le nouveau point de départ du délai de dépôt des conclusions ne s’applique pas aux procédures d’appel en cours mais sera opposé logiquement dans toutes les nouvelles procédures d’appel enregistrées après le 4 juillet 2024.
La solution de la Cour de cassation préserve ainsi un certain nombre de recours du risque de caducité de la déclaration d’appel.
Civ. 3e, 4 juill. 2024, FS-B, n° 23-16.019
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