Extension du domaine des actions en nullité au cours de l’enquête : les saisies de droit commun
La Cour de cassation reconnaît l’existence d’un recours contre les saisies patrimoniales de droit commun dès la phase d’enquête, sur le fondement de l’article 802-2 du code de procédure pénale.
L’article 802-2 du code de procédure pénale est une disposition qui permet de demander au juge des libertés et de la détention l’annulation d’une perquisition dans un délai compris entre six mois et un an, à condition que l’occupant des lieux visités n’ait pas été poursuivi devant une juridiction d’instruction ou de jugement. Par conséquent, ce recours ne peut être exercé qu’en phase d’enquête ou après un classement sans suite. L’article 802-2 est un article récent : il a été créé par la loi du 23 mars 2019 (Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice). L’idée est venue du Conseil d’État, qui estimait que l’introduction de ce recours était un moyen de mettre le code de procédure pénale en conformité avec les exigences constitutionnelles et conventionnelles du droit à un recours juridictionnel effectif (CE, avis, 12 avr. 2018, n° 394535, § 73).
En dépit de son potentiel, la disposition est mal-aimée : les délais dans lesquels le recours est enfermé et les incertitudes sur l’autorité de la décision rendue par le juge de l’instruction inspirent de la défiance aux praticiens, qui l’utilisent peu (S. Trifkovic, L’action en nullité au cours de l’enquête de police judiciaire, AJ pénal 2021. 192
). La présente décision est de nature à changer cet état de fait, car elle entraîne l’ouverture de nouvelles actions en nullité au cours de l’enquête.
Dans le cadre d’une enquête préliminaire, des agents des douanes habilités du service d’enquêtes judiciaires des finances ont saisi une Porsche à l’occasion d’une perquisition. Un juge des libertés et de la détention a été saisi d’une requête en annulation de la perquisition et de restitution du véhicule saisi. À ce stade de la procédure, aucune juridiction d’instruction ou de jugement n’a été saisie de l’affaire au fond. La requête en annulation s’inscrit donc dans le cadre de l’article 802-2 du code de procédure pénale. Elle a été rejetée par une ordonnance du 17 mars 2022. Le requérant a interjeté appel, mais la chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance. Pour contester cette décision, le pourvoi a fait valoir que les agents des douanes avaient agi en méconnaissance de règles de compétence prévues par l’article 28-1 du code de procédure pénale et que la juridiction n’avait pas apprécié l’existence d’indices de commission d’une infraction de nature à justifier le maintien de la saisie.
Compétence des agents des douanes habilités du service d’enquêtes judiciaires des finances
En principe, la compétence des agents des douanes et leurs pouvoirs d’investigation sont déterminés par le code des douanes. Par exception, ils peuvent être requis par le procureur de la République pour effectuer des enquêtes de police judiciaire, selon des modalités décrites à l’article 28-1 du code de procédure pénale. La ratio legis de cette disposition est de favoriser la coopération des douaniers avec les officiers de police judiciaire français et les agents des douanes étrangers, qui disposent souvent de prérogatives de police judiciaire. Cette possibilité reste strictement encadrée : il faut que l’agent ait été personnellement habilité, qu’il soit requis d’ouvrir une enquête par le procureur de la République ou de conduire des investigations par commission rogatoire du juge d’instruction, et les recherches ne peuvent porter que sur une des infractions listées par le texte. C’est cette exigence qui est rappelée par le pourvoi : selon lui, la perquisition et la saisie étaient reliées à des faits d’abus de bien sociaux. Or, l’abus de bien social ne figure pas à l’article 28-1 du code de procédure pénale, et aucun lien de connexité entre les faits et une des infractions visées par le texte n’a été établi.
Selon la jurisprudence, il est indispensable que les réquisitions du procureur visent expressément une infraction relevant de la compétence des agents des douanes agissant en enquête de police judiciaire (Crim. 13 sept. 2023, n° 22-83.669, Dalloz actualité, 4 oct. 2023, obs. A. Roques ; Rev. sociétés 2023. 699, note H. Matsopoulou
; RTD com. 2023. 977, obs. B. Bouloc
). En l’espèce, ce ne sont pas les réquisitions du procureur qui étaient remises en question, mais l’autorisation d’effectuer une perquisition délivrée par le juge des libertés. La divergence entre la chambre de l’instruction et le pourvoi résidait dans l’appréciation des infractions visées par l’ordonnance. Alors que le requérant estimait que seuls des faits d’abus de biens sociaux avaient été retenus, la juridiction du second degré a remarqué que l’autorisation avait été motivée en référence à un contexte de fraude fiscale, escroquerie à la TVA et blanchiment de ces délits.
Constatant la porosité entre l’abus de biens sociaux et ces différents délits, la chambre criminelle a estimé que le président de la chambre de l’instruction avait correctement motivé sa décision.
Contrôle de la régularité des saisies de droit commun par le juge des libertés
Selon le pourvoi, la chambre de l’instruction aurait dû annuler la perquisition litigieuse et la saisie du véhicule, car il n’existait aucun indice de la participation du mis en cause aux infractions recherchées au jour où les actes ont été réalisés. Sur ce point, la Cour de cassation se retranche derrière l’appréciation souveraine des juges du fond, qui ont bien caractérisé l’existence d’indices de commission d’une infraction de nature à justifier la saisie. Mais avant de parvenir à cette conclusion, la chambre criminelle a justifié le contrôle de la régularité de la mesure, ce qui n’avait pas la force de l’évidence.
En effet, le texte de l’article 802-2 du code de procédure pénale, qui régit la procédure ayant conduit au recours devant la Cour de cassation, permet seulement de demander l’annulation de perquisitions. En principe, l’annulation d’une perquisition entraîne celle des saisies subséquentes, et donc la restitution des biens saisis. En revanche, si la perquisition était régulière, le recours semblait inefficace, car la lettre de l’article 802-2 ne permet pas de contester la saisie isolément. Par conséquent, seules deux solutions s’offraient à la personne qui voulait récupérer le bien : attendre que le recours en annulation lui soit ouvert en phase d’information judiciaire ou de jugement, ou demander la restitution du bien au procureur de la République (C. pr. pén., art. 41-4) sans que l’irrégularité de la saisie ne puisse être utilement invoquée (Crim. 2 juill. 1992, n° 91-85.065 P).
Ce constat ne vaut pas pour toutes les saisies. En effet, pour les saisies spéciales, c’est-à-dire des saisies servant à anticiper une confiscation et portant sur des biens particuliers (C. pr. pén., art. 706-141), des recours sont prévus par le code de procédure pénale. Ainsi, la Cour de cassation relève qu’il est possible d’interjeter appel de la décision du juge des libertés ordonnant une saisie de patrimoine (C. pr. pén., art. 706-148, al. 2), une saisie immobilière (C. pr. pén., art. 706-150, al. 2), une saisie de bien incorporel (C. pr. pén., art. 706-153, al. 2) ou une saisie sans dépossession (C. pr. pén., art. 706-158). Constatant donc une disparité des garanties procédurales et des recours qui peuvent être formés contre les saisies dès la phase d’enquête, la chambre criminelle a alors décidé de permettre le contrôle de la régularité d’une saisie per se dans le cadre du recours visé à l’article 802-2 du code de procédure pénale.
Par conséquent, l’article 802-2 permet désormais de demander l’annulation des perquisitions et des saisies subséquentes, mais aussi des saisies de manière autonome. Dans ce cadre, il revient au juge des libertés et de la détention de s’assurer de l’existence d’indices de commission de l’infraction justifiant la mesure et du caractère confiscable du bien. En revanche, la Cour de cassation limite l’ouverture de ce recours aux seules saisies de biens dont la confiscation est prévue par l’article 131-21 du code pénal, ce qui exclut les saisies probatoires.
Contestation de la seule ouverture du recours aux saisies patrimoniales
Bien que cet arrêt représente un élargissement important du périmètre du recours visé à l’article 802-2 du code de procédure pénale, on peut regretter que la Cour de cassation limite la portée de sa décision aux saisies de droit commun servant à anticiper une peine de confiscation. La restriction est justifiée par la comparaison avec les saisies spéciales, qui n’est pourtant pas entièrement pertinente. En effet, la chambre criminelle compare un appel contre l’ordonnance autorisant une saisie spéciale à une requête en annulation d’une saisie de droit commun. Or, l’office du juge n’est pas le même dans le cadre de ces deux recours. Il aurait été plus pertinent de se référer à des textes permettant tant de contrôler l’autorisation de procéder à une saisie que le déroulement des opérations. Ces textes existent, ce sont ceux qui autorisent des fonctionnaires et agents spécialement habilités à constater certaines infractions à réaliser des visites domiciliaires : les agents de l’administration fiscale (LPF, art. L. 16 B), les inspecteurs de santé publique (CSP, art. L. 1421-2-1, VI), les agents du CNES (Loi n° 2008-518 du 3 juin 2008, art. 7-1)… Ces textes prévoient expressément que le premier président de la cour d’appel connaît des recours contre les ordonnances du juge des libertés autorisant les visites domiciliaires et des recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie autorisées par le juge des libertés. Or, les saisies qui peuvent être contestées dans ce cadre ne peuvent être que des saisies probatoires.
La comparaison avec les recours en annulation contre les saisies probatoires réalisées par certains agents de l’administration a d’autant plus de sens que la Cour de cassation mentionne la décision Ravon c/ France (CEDH 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon c/ France, D. 2008. 1054
; Rev. sociétés 2008. 658, note B. Bouloc
; RSC 2008. 598, note H. Matsopoulou
) pour motiver son arrêt. Dans cette décision, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la législation française méconnaissait le droit à un procès équitable en ne reconnaissant pas un recours juridictionnel effectif contre les visites domiciliaires menées par les agents de l’administration fiscale. La portée de l’arrêt Ravon ne se limite donc pas aux saisies patrimoniales. Il faudrait donc aussi reconnaître la possibilité de demander l’annulation d’une saisie probatoire dès l’enquête de police judiciaire. La jurisprudence du Conseil constitutionnel conforte cette thèse. Dans une série de décisions, le juge constitutionnel a estimé qu’il manquait des recours juridictionnels contre des opérations de visite et de saisie, notamment les saisies de navires utilisés pour commettre des infractions en matière de pêche maritime (Cons. const. 21 mars 2014, n° 2014-375 QPC, D. 2014. 730
; ibid. 1844, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin
; ibid. 2015. 1457, obs. L. Gay et A. Mangiavillano
) ainsi que les visites domiciliaires, les perquisitions et les saisies dans les lieux de travail (Cons. const. 4 avr. 2014, n° 2014-387 QPC, D. 2014. 829
; ibid. 2015. 1457, obs. L. Gay et A. Mangiavillano
; Dr. soc. 2014. 948, chron. R. Salomon
; RSC 2014. 361, obs. A. Cerf-Hollender
), sans faire de distinction entre finalité probatoire ou patrimoniale de la saisie.
L’article 802-2 devrait donc permettre de contester toutes les saisies diligentées sur les fondements des articles 56 et 76 du code de procédure pénale, et l’examen de la régularité de la saisie suppose tant de contrôler les conditions permettant la saisie que le déroulement des opérations. Reste à déterminer l’articulation de ce recours avec ceux qui existent pour les saisies spéciales et les visites domiciliaires menées par des agents de l’administration. En faisant référence à un niveau équivalent de garanties procédurales, la Cour de cassation sous-entend qu’il s’agit de recours qui ne peuvent pas se cumuler. On peut regretter un certain éparpillement des recours et de nombreuses divergences de régimes. Elles demeurent toutefois justifiées, en raison de la nature différente des contentieux, du nombre d’affaires et des risques inhérents à l’annulation d’une saisie probatoire.
Crim. 5 juin 2024, FS-B, n° 22-87.443
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