Faculté du créancier à qui l’insaisissabilité d’un immeuble est inopposable d’agir sur ce bien après la clôture de la liquidation judiciaire

Le créancier auquel l’insaisissabilité légale de la résidence principale du débiteur est inopposable peut exercer son droit de poursuite sur ce bien, peu important la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif.

La thématique de l’insaisissabilité de certains des immeubles d’un entrepreneur sous procédure collective est devenue incontournable dans la matière du droit des entreprises en difficulté. Chacune des décisions rendues en ce domaine retient la plus grande attention et il ne fait aucun doute que l’arrêt sous commentaire n’échappera pas à la règle.

De quoi est-il question ?

Nous savons que l’article L. 526-1 du code de commerce instaure notamment une insaisissabilité légale de la résidence principale au bénéfice de l’entrepreneur individuel. Jouant de plein droit, l’effet de cette mesure n’en demeure pas moins relatif, car l’insaisissabilité n’est opposable qu’aux créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle du débiteur et après la date d’entrée en vigueur de la mesure (le 8 août 2015, loi n° 2015-990 du 6 août 2015). Au contraire, tous les autres créanciers – ceux dont les droits sont nés antérieurement et ceux dont la créance ne provient pas de l’activité professionnelle – échappent à l’insaisissabilité.

À cet égard, il est acquis désormais que, dans le contexte d’une procédure collective, le créancier auquel l’insaisissabilité est inopposable conserve le droit d’appréhender l’immeuble indépendamment des règles de la procédure (Com. 5 avr. 2016, n° 14-24.640 P, Dalloz actualité, 12 avr. 2016, obs. A. Lienhard ; D. 2016. 1296, note N. Borga  ; ibid. 1894, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas  ; ibid. 2017. 1388, obs. A. Leborgne  ; Rev. sociétés 2016. 393, obs. L. C. Henry  ; RTD com. 2016. 548, obs. A. Martin-Serf ).

Mais qu’en est-il après la clôture d’une liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ? Si la question se pose, c’est que l’article L. 643-11 du code de commerce édicte un principe de non reprise des poursuites individuelles des créanciers postérieurement à la clôture sauf s’ils démontrent que leur situation correspond à l’une des exceptions visées au même texte.

Autrement dit, est-ce que le créancier conservant le droit de saisir l’immeuble durant la procédure garde ce droit après la clôture ou est-il soumis à la règle de la non-reprise des poursuites individuelles ?

D’une façon inédite – d’où la publication et la large diffusion de l’arrêt – c’est à cette question que répond la Cour de cassation au sein de la décision sous commentaire.

L’affaire

En l’espèce, deux époux ont fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, laquelle a été clôturée pour insuffisance d’actif.

Dans le cadre de cette procédure, une banque – qui avait consenti aux époux un crédit pour l’acquisition de leur résidence principale – avait déclaré une créance représentant le solde du prêt consenti aux débiteurs.

Postérieurement à la clôture de la liquidation, le créancier a signifié un commandement de payer valant saisie immobilière, puis a assigné les époux à l’audience d’orientation du juge de l’exécution.

En défense, les débiteurs vont soulever l’irrecevabilité de la demande et obtiendront gain de cause tant en première instance qu’en appel.

À ce propos, les juges d’appel ont spécialement fondé l’irrecevabilité du créancier, d’une part, sur la lettre du I de l’article L. 643-11 du code de commerce disposant que « le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur » et, d’autre part, sur le fait que l’action de la banque n’entrait dans aucune des exceptions au principe de non-reprise des poursuites individuelles après la clôture prévues par le même texte.

La banque se pourvoit en cassation en faisant valoir notamment qu’un créancier auquel l’insaisissabilité d’un immeuble est inopposable peut exercer son droit de poursuite sur celui-ci indépendamment de ses droits dans la procédure collective du propriétaire de ce bien. Or, pour la demanderesse, le principe vaudrait tant pendant la procédure qu’après cette dernière !

La Haute juridiction va être séduite par l’argumentaire.

La solution

Au visa des articles L. 526-1 et L. 643-11 du code de commerce, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel.

La Haute juridiction indique qu’en raison du premier texte, le créancier auquel l’insaisissabilité de la résidence principale est inopposable peut, même postérieurement à la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, exercer son droit de poursuite sur l’immeuble, et ce, sans que le jeu du second texte y fasse obstacle.

Le principe ainsi énoncé est clair et la logique qu’il porte implacable : le créancier qui peut saisir un bien échappant à l’emprise de la procédure collective conserve ce droit après cette procédure. Très simplement, le créancier ne peut être privé d’un droit qu’il n’a jamais perdu !

Pour autant, bien que nous pensions que l’arrêt mérite l’approbation, il nous semble que la solution inverse était également possible sans être choquante. Cela étant, elle supposait de suivre une autre voie et de payer le prix d’un raisonnement peut-être trop complexe pour être accueilli.

L’indifférence de la clôture quant à la qualité pour agir du créancier

Ce serait un euphémisme de dire que l’arrêt sous commentaire était attendu. À tout le moins, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de se rapprocher de la question tranchée au sein de notre espèce, mais sans pouvoir l’appréhender véritablement.

Nous songeons notamment à un arrêt au sein duquel un créancier – à qui l’insaisissabilité d’un immeuble était inopposable – avait tenté de justifier sa poursuite postérieurement à la clôture au moyen de l’une des exceptions visées à l’article L. 643-11 du code de commerce. Précisément, le créancier entendait démontrer que s’il pouvait s’émanciper de la règle de l’interdiction de reprise des poursuites, c’est que son droit de saisir l’immeuble devait être qualifié de droit attaché à sa personne (C. com., art. L. 643-11, I, 2°). Sans surprise, la Cour de cassation avait écarté cette qualification et, partant, la possibilité pour le créancier de bénéficier de l’exception à la non reprise des poursuites (Com. 13 déc. 2017, n° 15-28.357 P, Dalloz actualité, 17 janv. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 5, et les obs.  ; ibid. 1829, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli  ; RTD com. 2018. 473, obs. A. Martin-Serf ).

Au lendemain de cet arrêt, certains auteurs s’étaient interrogés sur le point de savoir ce qu’il serait advenu si le demandeur à la cassation ne s’était pas enfermé dans l’argumentaire relatif au « droit attaché à la personne ». En filigrane, il était, surtout, déjà soutenu l’idée que si le créancier concerné pouvait saisir l’immeuble pendant la procédure, aucun obstacle ne pourrait l’empêcher de le faire après (en ce sens, not., A. Martin-Serf, préc. ; P.-M. Le Corre, note ss. Com. 13 déc. 2017, préc., Gaz. Pal., 17 avr. 2018, n° 321n1, p. 70).

Du reste, ce raisonnement a fait son chemin devant certaines juridictions du fond. À titre d’illustration, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 5 septembre 2019, avait déjà reconnu au créancier – qui ne subit pas l’insaisissabilité – le droit d’appréhender l’immeuble postérieurement à la clôture de la liquidation judiciaire malgré la lettre de l’article L. 643-11 du code de commerce (Paris, 5 sept. 2019, n° 19/01158, Gaz. Pal. 14 janv. 2020, n° 368g4, p. 60, note B. Ferrari).

C’est donc cette solution que fait aujourd’hui sienne la Cour de cassation et force est de reconnaître que la logique à l’œuvre est compréhensible (adde, une solution similaire rendue le même jour, Com. 13 déc. 2023, n° 22-16.752 FS-B+R).

En réalité, pour le créancier auquel l’insaisissabilité est inopposable, l’obstacle de la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif est seulement apparent, car la question de la qualité pour agir de ce créancier ne se pose plus, a priori, au regard des règles du droit des entreprises en difficulté (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 12e éd., Dalloz Action, 2022-2023, n° 562.156).

Autrement dit, étant donné que le créancier n’a jamais perdu, durant la procédure collective, le droit d’agir sur un bien qui échappe à l’effet réel de celle-ci, il serait illogique de lui interdire de reprendre des poursuites dont l’exercice ne lui a, en réalité, jamais été fermé (F. Pérochon et aliiEntreprises en difficulté, 11e éd., LGDJ, 2022, n° 2465).

Ce raisonnement est d’ailleurs bien connu, puisqu’il concerne, de la même façon, les créanciers postérieurs éligibles au traitement préférentiel. Ces derniers ne sont pas soumis à l’interdiction de reprise des poursuites individuelles à la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, car ils n’ont jamais perdu leur droit d’initiative individuelle durant la procédure (Com. 1er avr. 2003, n° 00-11.570).

Théoriquement, la solution ici rapportée fait donc sens.

Toujours est-il qu’une autre voie nous paraissait permise, aboutissant, en revanche, à la solution contraire ! En effet, mais sans aller jusqu’à critiquer la solution, il nous semble tout de même que l’arrêt ici rapporté fait quelque peu fi du droit personnel liant le débiteur à son créancier au-delà de sa possibilité de poursuivre une action sur le bien insaisissable.

Une autre voie était-elle permise : quid du droit personnel liant le débiteur à son créancier ?

Le point de départ de notre analyse repose sur la solution formulée au sein d’un précédent arrêt daté du 7 octobre 2020 (Com. 7 oct. 2020, n° 19-13.560 P, D. 2020. 2007  ; ibid. 2021. 1736, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli  ; Rev. sociétés 2021. 205, obs. F. Reille  ; RTD com. 2021. 189, obs. A. Martin-Serf ; adde, Com. 13 sept. 2017, n° 16-10.206 F-B+I, Dalloz actualité, 15 sept. 2017, obs. A. Lienhard ; D. 2018. 1223, obs. A. Leborgne  ; ibid. 1829, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli  ; Rev. sociétés 2017. 734, obs. P. Roussel Galle  ; RTD com. 2017. 994, obs. A. Martin-Serf ).

La Haute juridiction y a jugé que, malgré le droit de poursuite sur l’immeuble que détient le créancier auquel l’insaisissabilité est inopposable, ce dernier n’en demeure pas moins soumis au principe de l’arrêt des poursuites, ainsi qu’à l’interdiction de recevoir paiement des créances dont la naissance est antérieure au jugement d’ouverture. Par conséquent, la Haute juridiction en avait déduit que, si le créancier doit être en mesure d’exercer le droit qu’il détient sur l’immeuble en obtenant un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l’existence, le montant et l’exigibilité de sa créance, cette action ne peut pas tendre au paiement de celle-ci.

Pour certains, cet arrêt a paru formuler l’idée d’une dissociation entre l’effet réel et l’effet personnel de la procédure collective, dans la mesure où si le créancier – auquel l’insaisissabilité du bien est inopposable – échappe à la contrainte de l’effet réel de la procédure, il n’est pas pour autant soustrait à son effet personnel, car il continue de subir la règle de l’interdiction de recevoir des paiements et d’exercer des poursuites (v. par ex., N. Borga, note ss. Com. 7 oct. 2020, n° 19-13.560, préc., BJE janv. 2021, n° 118j5, p. 31).

Au lendemain de cette décision, c’était donc dire qu’il ne fallait pas confondre « l’action réelle » contre l’immeuble permise au créancier et « l’action personnelle » contre le débiteur qui demeure, dans une certaine mesure, soumise aux contraintes du droit des entreprises en difficulté.

À tout le moins, c’est précisément ce raisonnement qui nous paraît semer le trouble quant à l’arrêt sous commentaire, et ce, notamment au regard de la lettre de l’article L. 643-11 du code de commerce.

En effet, si l’on se réfère à ce texte, ce sont toutes les poursuites individuelles après la clôture de la procédure de la part des créanciers qui sont visées ; l’objectif étant d’empêcher les créanciers soumis à la discipline collective de recouvrer l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur, lequel bénéficie, par-là, d’un « droit au rebond ».

Or, il nous semble important de souligner que si le créancier – auquel l’insaisissabilité est inopposable – peut agir durant la procédure, c’est uniquement sur le fondement d’un raisonnement lié à l’effet de saisie collective des biens du débiteur. Mais, puisque cet effet disparait concomitamment à la clôture de la procédure, la justification de l’action du créancier à qui l’insaisissabilité est inopposable postérieurement à la clôture ne passe plus que par son droit de créance, laquelle pourrait donc être limitée par la lettre de l’article L. 643-11, de la même façon que ses actions « personnelles » à l’encontre du débiteur lui sont proscrites durant la procédure collective.

Pour formuler les choses autrement, certes, le créancier, à qui la mesure d’insaisissabilité est inopposable, profite, durant la procédure, des contours de l’effet réel qui lui permettent d’appréhender le bien et d’échapper aux contraintes de la procédure… Mais, d’une part, étant un créancier antérieur, il demeure soumis à certaines règles de la discipline collective comme l’interdiction de recevoir des paiements et/ou d’agir à cette fin contre le débiteur (Com. 7 oct. 2020, préc.), et d’autre part, ce créancier peut lui-même faire le choix de procéder à la déclaration de sa créance (Com. 12 juill. 2016, n° 15-17.321 FS-P+B, Dalloz actualité, 29 juill. 216, obs. A. Lienhard ; D. 2016. 1894, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas  ; Rev. sociétés 2016. 547, obs. P. Roussel Galle ).

C’est dire ici que « l’action réelle » contre l’immeuble est bien permise au créancier durant la procédure, car le bien insaisissable échappe à son effet réel, mais que cette action ne se confond pas tout à fait avec son droit personnel (de créance) qu’il détient contre le débiteur, lequel est, lui, susceptible d’être limité par certaines des contraintes du droit des entreprises en difficulté. Et dans cette optique, le principe posé par l’article L. 643-11 du code de commerce pourrait bien être l’une de ces contraintes !

Toutefois, il faut bien reconnaître que ce raisonnement aboutit à un résultat qui pourrait (pourra ?) paraître incohérent à beaucoup : le créancier peut agir durant la procédure, mais ne le peut plus postérieurement à la clôture…

Aussi peut-être que la Cour de cassation a-t-elle, plus simplement, fait le choix de la simplicité en alignant les droits dont dispose le créancier échappant à l’insaisissabilité de l’immeuble durant la procédure et postérieurement à celle-ci.

Il est difficile de lui en vouloir ! Au vrai, la solution a pour elle l’avantage d’apporter un peu de simplicité à une matière redoutablement subtile. Surtout, la remarque fait d’autant plus sens que la thématique de l’insaisissabilité dans le contexte d’une procédure collective est appelée à demeurer au centre de toutes les discussions en raison du régime de l’entrepreneur individuel en difficulté tel qu’il ressort de la loi du 14 février 2022 et qui comporte un lot important d’interrogations (F. Petit, Retour sur l’insaisissabilité des biens, RPC 2022/6. Dossier 42).

Rendez-vous donc à la prochaine décision !

 

© Lefebvre Dalloz