FAED et FNAEG à l’épreuve du droit de l’Union
Le droit de l’Union européenne implique que la collecte de données biométriques et génétiques nécessite la réunion de suffisamment d’éléments de preuves de l’implication de la personne concernée et de caractériser la nécessité absolue de ces opérations, laquelle s’apprécie au regard de l’objectif poursuivi par la collecte des données sensibles et de l’absence d’un autre moyen aussi efficace pour atteindre cet objectif.
À la suite de menaces de commettre un incendie dans les locaux d’un journal régional, M. A. A. refuse, lors de sa garde à vue, les opérations signalétiques et de prélèvement ADN. Poursuivi notamment pour refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques et refus de se soumettre à un prélèvement biologique, il est condamné à des peines d’emprisonnement avec sursis.
Il se pourvoit alors en cassation, soutenant que la collecte des données biométriques et génétiques, fondement des incriminations, est contraire à la directive (UE) 2016/680 du 27 avril 2016, telle qu’interprétée par la Cour de justice (CJUE 26 janv. 2023, aff. C-205/21, Dalloz actualité, 8 févr. 2023, obs. C. Crichton ; AJDA 2023. 491, chron. P. Bonneville, C. Gänser et A. Iljic
; D. 2023. 177
) et à l’article 493 du code de procédure pénale.
Si l’actualité jurisprudentielle concernant les fichiers de police est régulière concernant la question de l’habilitation des personnels pouvant y accéder (Crim. 3 avr. 2024, n° 23-85.513, Dalloz actualité, 30 avr. 2024, obs. B. Durieu ; D. 2024. 679
; 23 mai 2023, n° 22-83.462, Dalloz actualité, 7 juin 2023, obs. Scherer ; AJ pénal 2023. 392, note D. Pamart
; 12 avr. 2023, n° 22-85.944, Dalloz actualité, 23 mai 2023, obs. M. Pirrotta ; AJ pénal 2023. 247 et les obs.
), c’est ici l’alimentation du fichier qui est contestée.
L’intéressé était poursuivi pour avoir refusé de se soumettre au relevé de ses empreintes afin d’alimenter le Fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) et au prélèvement destiné à être analysé pour alimenter le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Afin d’assurer l’alimentation de ces fichiers, le code de procédure pénale prévoit que le refus de se soumettre à ces opérations est puni d’un an d’emprisonnement (art. 55-1 pour le FAED et 706-56 pour le FNAEG) et d’une peine d’amende.
Avant d’examiner les mérites de l’argumentation proposée, quelques rappels concernant ces fichiers et le contrôle classique auxquels ils sont traditionnellement soumis apparaissent utiles.
Le contrôle classique de conventionnalité
Le FAED et FNAEG, une conventionnalité et une constitutionnalité désormais stabilisées
Comme d’autres fichiers, le FAED et le FNAEG ont été contestés comme portant une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Collecter et mémoriser des données relatives à la vie privée dans un fichier constitue une ingérence au sens de cet article (CEDH, gr. ch., 4 mai 2000, Rotaru c/ Roumanie, n° 28341/95, AJDA 2000. 1006, chron. J.-F. Flauss
; D. 2001. 1988
, obs. A. Lepage
), et les traitements de données à caractère personnel destinés à permettre aux autorités de conduire une enquête contre leur titulaire ou à recueillir des moyens de preuve dans le cadre d’une procédure judiciaire entrent donc dans son champ d’application (CEDH 2 sept. 2010, Uzun c/ Allemagne, n° 35623/05, §§ 51-52, Dalloz actualité, 20 sept. 2010, obs. S. Lavric ; D. 2011. 724, note H. Matsopoulou
; RSC 2011. 217, obs. D. Roets
; Dr. pénal 2011. Chron. 3, obs. E. Dreyer ; 17 oct. 2019, Lopez Ribalda et autres c/ Espagne, nos 1874/13 et 8567/13, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen
; D. 2019. 2039, et les obs.
; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
; AJ pénal 2019. 604, obs. P. Buffon
; Dr. soc. 2021. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly
; RDT 2020. 122, obs. B. Dabosville
; Légipresse 2020. 64, étude G. Loiseau
; RTD civ. 2019. 815, obs. J.-P. Marguénaud
).
Un relevé d’empreintes digitales ou un prélèvement biologique étant une donnée à caractère personnel, le FAED et le FNAEG doivent prévenir toute conservation générale et indifférenciée de leur donnée et en empêcher une utilisation non conforme aux garanties prévues par l’article 8 (CEDH, gr. ch., 4 déc. 2008, S. et Marper c/ Royaume-Uni, nos 30562/04 et 30566/04, Dalloz actualité, 17 déc. 2008, obs. M. Léna ; AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss
; D. 2010. 604, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat
; AJ pénal 2009. 81, obs. G. Roussel
; RFDA 2009. 741, étude S. Peyrou-Pistouley
; RSC 2009. 182, obs. J.-P. Marguénaud
).
Si, concernant le FAED, la France a été condamnée en raison de garanties insuffisantes (CEDH 18 avr. 2013, M. K. c/ France, n° 19522/09, Dalloz actualité, 14 mai 2013, obs. M. Léna ; D. 2013. 1067, et les obs.
; ibid. 2014. 843, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat
; RSC 2013. 666, obs. D. Roets
), les modifications apportées en 2015 (Décr. n° 2015-1580 du 2 déc. 2015), qui excluent les contraventions et prévoient l’effacement des données en cas de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement, ont remédié aux critiques concernant sa conventionnalité.
Le FNAEG a également fait l’objet d’une condamnation (CEDH 22 juin 2017, n° 8806/12, Aycaguer c/ France, AJDA 2017. 1311
; ibid. 1768, chron. L. Burgorgue-Larsen
; D. 2017. 1363, et les obs.
; AJ pénal 2017. 391, note V. Gautron
), en raison de la durée de conservation des données et de la procédure de leur effacement. Là encore, les modifications apportées à son régime depuis cette condamnation (Décr. n° 2021-1402 du 29 oct. 2021) font que sa conventionnalité est désormais acquise (Crim. 8 déc. 2021, n° 20-84.201, Dalloz actualité, 15 déc. 2021, obs. M. Dominati ; D. 2021. 2234
; ibid. 2022. 808, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat
; AJ pénal 2022. 42, obs. J. Chapelle
).
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a déclaré le FNAEG conforme à la Constitution (Cons. const. 16 sept. 2010, n° 2010-25 QPC, Dalloz actualité, 28 sept. 2010, obs. M. Léna ; D. 2012. 308, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat
; AJ pénal 2010. 545
, étude J. Danet
; 12 nov. 2010, n° 2010-61 QPC).
À ce jour, le régime de ces fichiers ne constitue donc pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée tel qu’il est énoncé par l’article 8 de la Convention européenne. Cependant, cette conformité de principe n’emporte pas de facto une conventionnalité des incriminations de refus de se soumettre au relevé ou au prélèvement.
Une conventionnalité qui ne dispense pas d’un contrôle de proportionnalité
La chambre criminelle relève qu’une condamnation pour refus de se soumettre au prélèvement biologique dans le cadre du FNAEG ne porte pas atteinte au droit au respect de l’intimité de la vie privée, puisqu’il existe une possibilité, en cas d’enregistrement de son empreinte, d’en demander l’effacement (Crim. 15 janv. 2019, n° 17-87.185, Dalloz actualité, 6 févr. 2019, obs. M. Récotillet ; D. 2019. 130
; ibid. 725, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat
; AJ pénal 2019. 163, obs. P. Reviron
). Il en va de même s’agissant du FAED.
Cependant, la conformité de principe des incriminations des articles 55-1 et 706-56 du code de procédure pénale avec le respect de l’intimité de la vie privée « n’exclut pas que son application soit écartée lorsque, à l’occasion de son contrôle de proportionnalité, le juge du fond retient qu’au cas d’espèce, la condamnation pour refus de se soumettre au [relevé signalétique et prélèvement biologique] constituerait une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée » (Crim. 29 mars 2023, n° 22-83.458, Dalloz actualité, 18 avr. 2023, obs. T. Besse ; D. 2023. 1546, chron. L. Ascensi, M. Fouquet, B. Joly, L. Guerrini et P. Mallard
; Légipresse 2023. 200 et les obs.
; RSC 2023. 415, obs. D. Zerouki et E. Rubi-Cavagna
; RTD com. 2023. 463, obs. L. Saenko
). C’est à une appréciation in concreto que doit se livrer la juridiction saisie d’une de ces infractions.
Il se peut donc qu’une poursuite sur ces fondements, bien que parfaitement conventionnelle, soit disproportionnée et aboutisse à une relaxe. Peut être conscient du peu de chance de succès sur le terrain du contrôle de conventionnalité, au vu des infractions en cause et de la personnalité du prévenu, ce dernier a essayé d’orienter le débat sur celui de la conformité au droit de l’Union qui pouvait sembler plus exigeant.
La tentation du contrôle de conformité
La directive (UE) 2016-680 et son interprétation par la Cour de justice européenne
Les traitements des données personnelles en matière d’enquête pénale relèvent d’une directive spéciale (Dir. [UE] 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avr. 2016) dont la transposition est intervenue par modification de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Par un arrêt du 26 janvier 2023 (CJUE 26 janv. 2023, aff. C-205/21, préc.), la Cour de justice proscrit toute législation nationale qui prévoit la collecte systématique de données biologiques de toute personne mise en cause pour une infraction dès lors qu’il n’est pas démontré une absolue nécessité.
On peut se féliciter que la chambre criminelle ait examiné de façon globale la situation des deux fichiers et ait échappé à deux écueils.
Tout d’abord, celui de remettre en question l’applicabilité de cette jurisprudence, qui concerne l’application du droit bulgare relatif à un prélèvement forcé, à notre espèce, qui porte sur la pénalisation d’un refus de prélèvement. La chambre criminelle a justement dépassé cette distinction apparente. Outre le fait que le FAED permet, sous certaines conditions, un prélèvement forcé, ce n’est pas la protection de l’intégrité corporelle qui est en cause, mais les données personnelles dont la collecte peut porter atteinte à la vie privée. Si la collecte d’une donnée personnelle apparaît illégitime en considération de la protection de l’atteinte à la vie privée, il n’apparaîtrait pas plus juste de sanctionner le refus de son prélèvement que d’autoriser un prélèvement forcé.
Ensuite, celui de se retrancher derrière le périmètre infractionnel différent entre ces deux traitements, comme nous le verrons plus loin, pour aboutir à une solution différente selon le fichier concerné.
Au contraire, la Cour a saisi l’opportunité qui lui était offerte d’unifier le régime des deux fichiers en matière de contrôle de conformité.
La Cour de justice exige que les données soient traitées de manière licite et loyale, ce qui ne fait pas débat concernant ces traitements pourvus d’une reconnaissance textuelle précise (réglementaire pour le FAED, législative pour le FNAEG). De même, leur conformité à l’article 8 de la directive est solide, leur finalité étant notamment la recherche et l’identification des auteurs d’infractions.
Le point le plus intéressant de la jurisprudence de la Cour de justice concerne l’exigence d’une « nécessité absolue » concernant les traitements de données génétiques ou biométriques.
Un contrôle concret de la nécessité absolue
Sans oublier que notre espèce concerne une personne par définition présumée innocente dans la procédure ayant conduit au refus de relevé et de prélèvement, nous pouvons noter que la chambre criminelle retient deux critères permettant de vérifier l’absolue nécessité du relevé ou du prélèvement :
- L’existence de suffisamment d’éléments de preuves de l’implication de la personne concernée dans l’infraction. Ce qui est visé, c’est l’absence de collecte systématique prévue par une législation nationale.
Le FNAEG ne concerne que des personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles ont commis une infraction de l’article 706-55 du code de procédure pénale. Cette condition semble donc d’autant plus remplie que cela ne vise que des infractions d’une gravité particulière.
La question pouvait se poser différemment concernant le FAED qui concerne plus d’infractions et de personnes puisqu’il vise celles à l’encontre desquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis un crime ou un délit. Cela représente apparemment une exigence inférieure à celle du FNAEG. Cependant, comme le souligne l’avocate générale Virion-Barrial dans ses conclusions, cette notion, parfaitement connue du code de procédure pénale notamment en ce qui concerne la garde à vue ou les écoutes téléphoniques, est soumise au contrôle exigeant et concret de la Cour de cassation. Enfin, on peut souligner que si, pour le prélèvement, les textes ne parlent que de « raisons plausibles », il est exigé l’existence « d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable » la commission d’une infraction (Décr. n° 87-249 du 8 avr. 1987, art. 2, 3°) pour que les données prélevées soient enregistrées dans le FAED.
- La nécessité absolue s’apprécie au regard de l’objectif poursuivi par la collecte des données sensibles et de l’absence d’un autre moyen aussi efficace pour atteindre cet objectif. La Cour de justice exige une vérification concrète de l’absolue nécessité de la collecte des données pour la réalisation des objectifs du fichier, mais également qu’il n’existe pas d’autres moyens constituant une ingérence de moindre gravité pour les atteindre. Les relevés et prélèvements ne semblent donc pas pouvoir être automatiques dans le cadre de la procédure concernée puisque, par définition, il existe suffisamment d’éléments probants de l’implication de la personne. Cela peut, en revanche, être nécessaire dans le cadre d’autres procédures en fonction de différents critères.
Pour apprécier l’absolue nécessité, la chambre criminelle, reprenant la position de la Cour de justice, invite à se référer à la nature et à la gravité de l’infraction, aux circonstances particulières de celle-ci, au lien éventuel entre cette infraction et d’autres procédures en cours, ainsi qu’aux antécédents judiciaires ou au profil individuel de la personne.
La cour d’appel avait relevé de manière détaillée les raisons rendant vraisemblable la commission de l’infraction, mais également l’existence du risque de nouvelles infractions. Elle avait en outre souligné que les prélèvements en cause étaient le moyen le plus efficace d’identifier les auteurs mais aussi, le cas échéant, d’innocenter le prévenu. De plus, elle avait pris en compte le contexte de commission des faits, s’agissant de pressions exercées sur un organe de presse, ainsi que les antécédents judiciaires et le profil du prévenu matérialisant un risque de réitération. Constatant que les juges du fond faisaient expressément référence à la jurisprudence de la Cour de justice et avaient concrètement motivé la nécessité absolue du prélèvement, ce qui justifiait la culpabilité des refus de relevés et de prélèvements, la Cour de cassation a logiquement rejeté le pourvoi.
Changer le contrôle de conventionnalité par un contrôle de conformité pour que rien ne change ?
Après le contrôle de conventionnalité, la période est à présent au contrôle de conformité au droit de l’Union concernant les fichiers pénaux. Cette exigence apparaît-elle fondamentalement différente du contrôle classique de conventionnalité ? Nous n’en sommes pas persuadés. Exiger que l’objectif du fichier en cause relève du champ d’application de la directive (prévention et détection des infractions pénales, d’enquête et de poursuite de ces infractions, exécution des sanctions pénales) est similaire au contrôle classique de conventionnalité qui exige un « but légitime ».
Reste donc à savoir si la notion de « nécessité absolue » diffère du contrôle conventionnel de proportionnalité. La proportionnalité d’une atteinte à l’intimité de la vie privée causée par un acte d’enquête doit, tout comme le contrôle de conformité à la directive, être apprécié in concreto. Même si cela n’a jamais été énoncé clairement, peut-on considérer qu’un acte portant atteinte à l’intimité de la vie privée est proportionnel s’il est possible d’atteindre le même objectif par une ingérence de moindre gravité ?
Crim. 4 avr. 2024, F-B, n° 23-84.520
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