Fin de la grève des scénaristes américains : quand l’union fait la force

La grève des scénaristes américains a agité tout Hollywood pendant plusieurs mois, et est devenue une des grèves majeures de cette industrie. Après 146 jours, cette dernière prend fin avec de nombreuses évolutions positives : revalorisation des minimums salariaux, encadrement de l’utilisation de l’intelligence artificielle ou encore imposition d’un minimum d’employés et de durées d’engagement minimum.

Le 2 mai 2023, la Writers Guild of America (WGA), représentant 11 500 scénaristes, entrait en grève. La WGA est composée de deux syndicats indépendants, The Writers Guild of America, East et The Writers Guild of America, West, qui agissent conjointement dans certains domaines. Cet ordre de grève concernait toutes les entreprises signataires du Minimum Basic Agreement (MBA), un accord collectif déterminant les règles applicables aux scénaristes de la WGA, par exemple la rémunération.

Après 146 jours de grève, cette dernière s’est terminée le 27 septembre, à la suite d’un accord conclu avec l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP). L’AMPTP est une association commerciale représentant 350 sociétés de production télévisuelle et cinématographique américaines dans le cadre de négociations collectives avec les syndicats de l’industrie du divertissement.

L’accord a ensuite été soumis au vote des membres de la WGA, et a été accepté par 99% des votants (Meredith Stiehm et Lisa Takeuchi Cullen2023 MBA Ratified, WGA Contract 2023, 9 oct. 2023). Cet accord est destiné à couvrir la période du 25 septembre 2023 au 1er mai 2026.

Une grève historique

Il s’agit ici d’une grève historique de par plusieurs aspects. Tout d’abord, cette grève représente la plus grande interruption de la production télévisuelle et cinématographique américaine depuis la pandémie de covid-19 en 2020.

De plus, c’est la première fois que la WGA ordonne une nouvelle grève depuis l’historique grève de 2007, laquelle avait duré 100 jours. Cette grève est également concomitante, depuis juillet 2023, avec une grève organisée par la SAG-AFTRA, un syndicat représentant les acteurs, qui elle, n’est toujours pas finie. La grève des acteurs américains partage des revendications similaires avec la grève des scénaristes, notamment concernant l’usage de l’intelligence artificielle.

Outre son importance symbolique, la grève des scénaristes a également eu des impacts non négligeables sur la production télévisuelle et cinématographique américaine. En effet, de nombreux films, séries ou encore talk-shows ont dû être mis en pause ou ont été retardés. Également, certains avancent des conséquences économiques importantes pour l’économie californienne (v. à ce propos, les estimations de K. Klowden, Milken Institute, Hollywood strikes take $5bn bite out of California economyFinancial Times, 2 sept. 2023).

Les revendications

Les revendications du syndicat s’articulaient autour de nombreux axes, tels que la revalorisation des minimums salariaux, l’encadrement de l’usage de l’intelligence artificielle, une équipe d’écriture minimale et une durée d’engagement minimum sur les séries et également de nombreuses questions sur le streaming comme la mise en place d’une rémunération d’exploitation basée sur l’audience (pour une explication détaillée des revendications, v. D. Goulette, Grève à Hollywood  : décryptage des revendications et enjeux juridiques pour les scénaristes américains, Dalloz actualité, 24 mai 2023).

En effet, l’impact du développement du streaming a été un point très important de ce mouvement de grève. Il a été observé un changement de l’environnement dans lequel les scénaristes évoluent, en partie bouleversé à cause de l’avènement du streaming. Cela aurait impacté négativement la rémunération des scénaristes.

D’après la WGA, le pourcentage de scénaristes de télévision travaillant pour le minimum salarial est passé d’un tiers en 2013-2014 à près de la moitié de l’ensemble des scénaristes en 2021-2022 (v. à ce propos, WGA, Writers are not keeping up, 14 mars 2023).

Les termes de l’accord final

L’accord conclu entre les deux parties est présenté comme un accord historique et une victoire importante. Il s’agit d’un accord conséquent de plus de 90 pages (v. à ce propos, Memorandum of agreement for the 2023 WGA theatrical and television agreement (MOA), 25 sept. 2023). Un résumé de l’accord est également présent sur le site de la WGA (v. à ce propos, WGA, Summary of the 2023 WGA MBA). Nous aborderons ci-dessous les termes de l’accord final concernant les revendications les plus importantes.

Augmentation des minimums salariaux

Tout d’abord, l’une des revendications principales de cette grève concernait les revenus minimums salariaux perçus par les scénaristes. Suite aux négociations, la plupart des minimums salariaux ont augmenté de 5 % le 25 septembre 2023, puis augmenteront encore de 4 % le 2 mai 2024 et de 3,5 % le 2 mai 2025 (p. 4, WGA Proposal n° 1, MOA). Certains minimums salariaux et taux font l’objet d’une moindre augmentation, généralement autour de 3 % par an. D’autres taux quant à eux n’augmenteront qu’une seule fois ou n’augmenteront pas pendant toute la durée de l’accord, cela étant le résultat de modèles établis dans l’industrie.

Également, une augmentation du taux de cotisations pour les soins de santé et pour les retraites a été actée par l’accord final.

Encadrement de l’intelligence artificielle générative

Un autre cheval de bataille important des scénaristes était l’encadrement de l’utilisation de l’intelligence artificielle. Leurs demandes s’articulaient principalement autour de trois axes. Si certaines demandes ont été accordées, d’autres n’ont pas réussi à être incorporées telles quelles à l’accord (WGA Proposal n° 29, MOA, art. 72, p. 68).

Ainsi, il a été conclu que l’utilisation d’IA générative n’est pas permise pour écrire ou réécrire du matériel/contenu littéraire. Également, le contenu généré par un système d’IA ne peut être considéré comme du matériel source dans le cadre de l’accord.

Cela signifie que le contenu généré par un système d’IA ne peut pas être utilisé pour porter atteinte au crédit d’un écrivain ou à ses droits.

De plus, un scénariste peut utiliser un système d’IA dans le cadre de ses services si la société y consent et à condition que le scénariste respecte les politiques mises en place par la société. Toutefois, une société ne peut exiger d’un scénariste qu’il utilise un système d’IA dans le cadre de ses services. La société peut également rejeter l’utilisation d’un système d’IA, notamment en cas de doute sur la possibilité de bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur pour le contenu produit ou pour sa capacité à exploiter le contenu.

Il est aussi prévu que la société doit informer le rédacteur si les documents qui lui sont remis ont été générés par un système d’IA ou comportent des éléments générés par un système d’IA.

Enfin, l’une des grandes demandes de la WGA était d’interdire l’utilisation de matériel couvert par la convention collective MBA pour entraîner un système d’IA. Ce à quoi l’AMPTP avait répondu négativement, n’accordant que la possibilité de faire des réunions pour discuter des avancées technologiques. C’est ce qui a été retenu par l’accord, ce dernier prévoyant des réunions, au moins semi-annuelles, entre les compagnies de production signataires de l’accord et la Writers Guild, pendant la durée de l’accord pour discuter et passer en revue l’utilisation prévue des IA génératives dans le développement et la production de films.

Concernant l’utilisation de matériel pour entraîner un système d’IA, il n’existe pas d’interdiction pour les studios d’utiliser des scripts qui leur appartiennent pour entraîner des systèmes d’intelligence artificielle. Certains y voient alors ici une opportunité pour les studios de continuer à exploiter les systèmes d’IA dans la conception de scénarios, et que par conséquent, les mesures prises sont insuffisantes (v. à ce propos, D. Richardson, Hollywood’s AI issues are far from settled after writers’ labor deal with studios, CNBC, 16 oct. 2023).

Toutefois, une avancée peut être notée car une stipulation de l’accord prévoit que la WGA se réserve le droit de déclarer que l’exploitation du matériel des auteurs pour entraîner l’IA est interdite par le MBA ou par d’autres lois.

Revendications sur le streaming : residuals concernant le streaming à l’étranger et residuals basées sur l’audience en streaming

Les nombreuses questions liées au développement du streaming étaient également des revendications importantes de cette grève. La WGA a obtenu plusieurs avancées concernant les conditions d’exploitation de la vidéo à la demande par abonnement à gros budget. Par ce terme, on désigne des plateformes telles que Netflix ou Disney+.

L’une des avancées majeures réalisée par l’accord est la création de nouvelles residuals, que l’on peut assimiler à des rémunérations d’exploitations ultérieures.

Ainsi, une nouvelle residual pour le contenu disponible sur les plateformes de vidéo à la demande par abonnement à gros budget basé sur l’audience est désormais prévue. Les séries et films réalisés pour des plateformes de vidéo à la demande par abonnement à gros budget qui sont visionnés par 20 % ou plus des abonnés nationaux du service dans les 90 premiers jours de leur sortie, ou dans les 90 premiers jours de toute année d’exploitation ultérieure, obtiennent une prime égale à 50 % du residual fixe national et étranger, les vues étant calculées en heures de streaming national de la saison ou du film divisées par la durée du film ou de la série.

De plus, l’accord a réussi à négocier un changement du calcul des residuals concernant le streaming à l’étranger. Désormais, les montants des residuals pour les plateformes de vidéo à la demande par abonnement à gros budget seront déterminés grâce au nombre d’abonnés étrangers de la plateforme pour les plateformes disponibles dans le monde entier. En pratique, cela implique donc une augmentation conséquente du residual concernant le streaming à l’étranger.

Une prime pour les scénarios pilotes et de secours (les scripts « back-up ») est prévue, s’élevant à 150 % pour le pilote et à 115 % pour le script de secours. Elle s’appliquera désormais aux programmes réalisés pour des plateformes de vidéo à la demande par abonnement à gros budget.

De plus, la transparence sur les données des plateformes de vidéo à la demande par abonnement à gros budget est également renforcée. Les plateformes doivent fournir à la WGA, sous réserve d’un accord de confidentialité, le nombre total d’heures diffusées, tant au niveau national qu’international, de programmes destinés aux plateformes de vidéo à la demande autoproduits à budget élevé. Il est fait référence ici aux séries originales que certaines plateformes peuvent produire.

Une victoire importante : l’imposition d’équipes d’écriture minimale et de durées d’engagement minimum sur les séries

Enfin, l’une des victoires majeures de cette grève et qui se traduit dans les termes de l’accord est l’introduction du concept de personnel minimum et d’engagement dudit personnel pour des durées minimum.

En effet, les ateliers de développement (ou « pre-greenlight rooms ») et les ateliers d’écriture habituels pour les séries télévisées et les plateformes de vidéo à la demande par abonnement à gros budget bénéficiant d’un budget élevé seront désormais soumis à des obligations concernant le nombre minimum de scénaristes qui doivent être embauchés et la durée de leur emploi.

Par exemple, concernant les ateliers de développement, une fois que trois scénaristes sont réunis avant la commande d’une série, au moins trois scénaristes-producteurs (y compris le showrunner) sont assurés d’être employés pendant dix semaines consécutives.

Pour les ateliers en production (post-greenlight rooms), les exigences concernant le nombre de scénaristes dépendent du nombre d’épisodes commandés, à moins qu’un seul scénariste ne soit engagé pour écrire tous les épisodes (par ex., sur des séries telles que Big Little Lies). Par conséquent, une série de six épisodes ou moins devra employer au moins trois scénaristes, une série de sept à douze épisodes par saison devra compter cinq scénaristes et une série de treize ou plus d’épisodes bénéficiera de six scénaristes.

Concernant la durée minimale de travail du personnel, elle doit être garantie d’au moins vingt semaines ou durant toute la période de l’atelier de production si cette dernière est plus courte. D’autres exigences sont également présentes dans les termes de l’accord, notamment concernant les scénaristes en production (v. à ce propos, p. 24 du MOA).

Les stipulations relatives à l’imposition d’équipes d’écriture minimale entreront en vigueur après le 1er décembre 2023 et celles relatives à l’imposition d’une durée d’engagement minimum sur les séries entreront en vigueur le 1er novembre 2023.

Cet accord historique prouve bien que lors de négociations, l’union fait la force. Il reste à voir si des garanties d’une aussi grande importance pourront être accordées aux acteurs américains, surtout après la révélation selon laquelle Meta aurait payé des acteurs pour entraîner ses modèles d’IA pendant leur grève historique…

 

© Lefebvre Dalloz