Fin de vie : le début de la fin pour la loi Claeys-Leonetti ?

Plusieurs travaux autour de la fin de vie sont parus : rapport parlementaire sur l’évaluation de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, rapport de la Convention Citoyenne sur la fin de vie, conclusions de l’Ordre national des médecins sur la fin de vie et le rôle du médecin.

L’évolution de la législation relative à la fin de vie en faveur d’une ouverture vers l’aide active à mourir n’est pas vraiment une surprise, au moins depuis que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a recommandé, dans un rapport rendu public le 10 avril 2018, la reconnaissance d’un droit à demander au médecin une sédation profonde et continue « explicitement létale », autrement dit la consécration d’une aide active médicale à la mort (Avis CESE, 10 avr. 2018, Fin de vie : la France à l’heure des choix). Surtout, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a lui-même rendu public, le 13 septembre 2022, un avis sur les questions éthiques relatives à la fin de vie par lequel, malgré des opinions dissidentes en son sein, il a émis plusieurs propositions tendant à ouvrir « une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir » incluant l’assistance médicale au suicide et l’euthanasie, du moins, dans un premier temps, pour des personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital serait engagé à moyen terme (Avis CCNE n° 139, 8 sept. 2022).

Un rapport parlementaire du 29 mars 2023 sur l’évaluation de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (loi dite Claeys-Leonetti) n’a sans doute pas eu comme objet principal une telle ouverture. Il met surtout en avant que la principale difficulté est moins celle du cadre juridique instauré par la loi Claeys-Leonetti que celle des moyens mobilisés pour assurer la garantie des droits qu’elle a créés. Les rapporteurs ont pu relever à cet égard une très grande lassitude face au constat réitéré d’une offre de soins palliative largement insuffisante et de la pénurie croissante de professionnels de santé. « Tant que le développement des soins palliatifs ne constituera pas une véritable priorité et que les moyens qui y sont consacrés n’auront pas été considérablement augmentés, les droits consacrés par les différentes lois sur la fin de vie ne pourront pas être pleinement effectifs ». Le rapport souligne en outre que le cadre juridique actuel institué par la loi Claeys-Leonetti répond à la grande majorité des situations et que, dans la plupart des cas, les personnes en fin de vie ne demandent plus à mourir lorsqu’elles sont prises en charge et accompagnées de manière adéquate. Cela dit, et bien qu’il recommande diverses mesures, notamment pour garantir un meilleur accès aux soins palliatifs, une meilleure connaissance des directives anticipées et une plus grande effectivité de la pratique de la sédation profonde et continue, le rapport débouche néanmoins sur cette conclusion que le cadre législatif actuel n’apporte pas de réponses à toutes les situations de fin de vie, en particulier lorsque le pronostic vital n’est pas engagé à court terme. Selon les rapporteurs, « bien que minoritaires, ces situations méritent sans doute notre attention et il est crucial que le législateur, à la suite de la Convention citoyenne, débatte et se positionne prochainement sur cette question ».

Telles sont précisément les conclusions du rapport final d’avril 2023 de la Convention Citoyenne sur la fin de vie organisée, à la demande du Président de la République, par le CESE, (lui-même auteur d’un rapport sur le sujet : précit.). Tout en reflétant de nombreuses nuances chez les 184 citoyens tirés au sort, une position commune se dégage en faveur d’un objectif : renforcer de manière significative le budget dédié aux prochains plans de soins palliatifs et de fin de vie, dont la finalité doit être « de contribuer à améliorer la qualité du soin, l’accompagnement des personnes, la culture des soins palliatifs, et de favoriser son développement dans les unités de soin, les équipes mobiles et dans l’ensemble des services de santé ». Mais la conclusion qui restera dans les esprits, largement relayée par les médias, est celle d’une ouverture souhaitée par la convention citoyenne, à une majorité de 76 %, vers une légalisation de l’aide active à mourir.

Cependant, dans ce mouvement favorable à une légalisation de l’assistance médicale au suicide et de l’euthanasie, une position tranche : celle de l’Ordre national des médecins. Une position ô combien importante et dont le législateur ne pourra guère faire l’économie car la fin de vie, si elle concerne les personnes susceptibles de la demander, passe aussi par ceux chargés, au sein du corps médical, de la mettre en œuvre. Le 1er avril 2023, l’assemblée générale de l’Ordre national des médecins a rendu public le résultat de neuf mois de consultations de l’ensemble des conseils départementaux et régionaux de l’Ordre sur la question de la fin de vie et de l’aide médicale à mourir. Les conclusions ne surprendront pas si l’on considère les devoirs du médecin. D’abord, la nécessité est rappelée de développer les soins palliatifs et d’améliorer la connaissance de l’actuelle réglementation. Ensuite, si la loi devait changer, l’Ordre des médecins entend faire valoir d’ores et déjà qu’il est hostile à la participation d’un médecin à une euthanasie : « le médecin ne pouvant délibérément provoquer la mort par l’administration d’un produit létal ». Dans l’éventualité où une assistance médicale au suicide serait légalisée, la sollicitation du corps médical ne pourrait être envisagée que sous réserve du respect de certaines exigences, en particulier la reconnaissance d’une clause de conscience. Enfin, une conclusion intéressante à relever : une défaveur à l’encontre d’une procédure d’aide active à mourir pour les mineurs et les personnes hors d’état de manifester leur volonté.

 

© Lefebvre Dalloz