Fixation du prix d’un bail à loyer variable et office du juge

En présence d’une clause de loyer variable, le juge, saisi d’une demande en fixation du prix du bail renouvelé, ne peut déclarer irrecevable une telle demande, mais doit l’examiner au fond. Même en l’absence de clause expresse de recours au juge des loyers commerciaux, celui-ci doit rechercher la volonté des parties de recourir à une fixation judiciaire, soit dans le contrat, soit dans des éléments extrinsèques.

Par cet arrêt longuement motivé et très didactique (et qui figurera à son Rapport), la Cour de cassation veut manifestement préciser sa conception de l’office du juge en présence d’une clause de loyer variable.

Office du juge

L’intérêt de l’arrêt commenté porte sur deux points.

D’une part, la Cour de cassation décide que le juge peut toujours être saisi d’une demande de fixation, même en présence d’une clause de loyer variable. La demande n’est pas irrecevable.

D’autre part, elle décide que le juge peut fixer le loyer (ou plus précisément, semble-t-il, le loyer minimum garanti) même en l’absence de stipulation expresse des parties sur ce point. Dans le silence de la convention, le juge peut rechercher l’intention des parties de recourir à une fixation judiciaire soit dans le contrat, soit dans des éléments extrinsèques.

Fin de non-recevoir ou défense au fond

L’article R. 145-23 du code de commerce est applicable, même lorsque le bail comporte un loyer variable. Selon ce texte : « Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire ».

Le deuxième alinéa précise que le tribunal judiciaire peut également statuer sur la fixation du loyer, lorsqu’il en est saisi accessoirement à une autre demande.

Ainsi le juge peut toujours être saisi d’une contestation relative à la fixation du prix d’un bail à loyer variable.

L’action est recevable.

La Cour de cassation précise dans son arrêt que le droit d’accès au juge, consacré par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales est ainsi respecté.

Le juge, saisi d’une demande recevable, quelles que soient les clauses du bail, statuera au fond.

Soit il fixera le loyer. Soit il déboutera le demandeur, s’il estime que la convention des parties exclut toute fixation judiciaire.

La Cour de cassation considère que tout dépend de l’intention des parties et des clauses du bail.

Typologie des clauses

Examinons plusieurs types de clauses, pour voir où se situe la clause de loyer variable.

Première hypothèse : le bail, qui n’est pas un bail à loyer variable, ne comporte aucune clause particulière concernant le loyer du bail renouvelé. Le juge peut évidemment être saisi et il fixera le loyer dans les conditions prévues par le statut des baux commerciaux.

Deuxième hypothèse : le bail, qui comporte un loyer périodique classique, présente un certain nombre de stipulations concernant le loyer de renouvellement. Par exemple, les parties ont défini par avance, dans une clause particulière, la surface pondérée devant servir au calcul de la valeur locative (Civ. 3e, 9 avr. 2013, n° 12-15.002, Larue frères (Sté) c/ Eurodif (Sté), AJDI 2014. 196 , obs. H. Heugas-Darraspen ; Gaz. Pal. 3 août 2013, p. 36, note J.-D. Barbier). Ou bien, une clause du bail prévoit que le loyer de renouvellement sera calculé en fonction des prix du marché (TGI Paris 30 janv. 2012, n° 10/02225, Gaz. Pal. 30 juin 2012, p. 9, note J.-D. Barbier). Ou encore, les parties ont prévu que l’accroissement de la surface des locaux résultant de travaux réalisés par le preneur ne sera pas pris en compte pour l’estimation de la valeur locative (Civ. 3e, 15 mai 2008, n° 07-14.113, Gaz. Pal. 8 juill. 2008, p. 28).

Dans tous ces cas, le juge pourra fixer le loyer du bail renouvelé, mais en tenant compte des stipulations particulières de la convention des parties.

On peut toutefois se demander dans quelle limite les clauses particulières peuvent déroger au statut des baux commerciaux sans que la mission institutionnelle du juge soit dévoyée (sur cette question, v. note J.-D. Barbier ss. TGI Paris, 30 janv. 2012, préc.).

Troisième hypothèse : certaines clauses peuvent être exclusives de toute appréciation par le juge, les modalités de calcul du loyer du bail renouvelé étant entièrement fixées par avance par les parties. Ainsi, a été jugée valable la clause par laquelle les parties se sont mises d’accord pour retenir une surface de 151 m², un prix de 1 100 F/m² et une augmentation de 6,6 % par an (Civ. 3e, 10 mars 2004, n° 02-14.998, Sud Loire distribution (Sté) c/ Jardiflor (Sté), D. 2004. 2221 , note S. Werthe Talon ; ibid. 878, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2005. 1090, obs. L. Rozès ; RTD com. 2005. 256, obs. J. Monéger ; Gaz. Pal. 30 sept. 2004, p. 29, note P.-H. Brault, Administrer 5/2004.19, note J.-D. Barbier).

Dans ce cas, le juge doit-il fixer le prix conformément au calcul figurant dans la convention des parties ou doit-il les débouter ? La mission du juge peut-elle être réduite à celle d’un comptable, chargé de faire une multiplication ? Lorsque le législateur a limité les augmentations à 10 % l’an, à l’article L. 145-34 du code de commerce, la Cour de cassation a estimé qu’il n’entrait pas dans la mission du juge de procéder à ce type de calcul, qui permet pourtant de fixer le loyer exigible la première année du renouvellement (Civ. 3e, 9 mars 2018, n° 17-70.040, Dalloz actualité, 16 mars 2018, obs. Y. Rouquet ; D. 2018. 614 ; ibid. 1328, chron. A.-L. Méano, V. Georget et A.-L. Collomp ; ibid. 1511, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2018. 603 , obs. J.-P. Blatter ; Administrer 7/2018. 28, note J.- D. Barbier ; Gaz. Pal. 17 juill. 2018, p. 61, note C.-É. Brault).

Autre exemple : les parties ont pu convenir de recourir à des experts pour estimer la valeur locative et la Cour de cassation a jugé que de telles clauses désignant des mandataires communs, non des arbitres, donnent « à l’estimation des experts un caractère contractuel, au même titre que si elle avait été directement arrêtée par les parties » (Com. 8 mai 1961, D. 1961. 454 ; Civ. 3e, 4 mars 1998, n° 96-16.671, M. et Mme Melleret c/ M. et Mme Laurent-Pinsonnet., AJDI 1998. 620 ; ibid. 621, obs. J.-P. Blatter ; RDI 1998. 429, obs. F. Collart-Dutilleul et J. Derruppé ; RTD com. 1998. 578, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Administrer mai 1998. 29, note B. Boccara). Là encore, le juge doit-il fixer le loyer conformément à l’estimation des experts mandataires communs, ou bien doit-il débouter ?

Enfin, dernière hypothèse : le bail comporte une clause d’arbitrage. Dans ce cas, la demande formée devant le juge des loyers commerciaux serait irrecevable (v. J.-P. Blatter, La fixation du loyer par arbitrage lors de la révision ou du renouvellement, AJDI 1998. 172 ).

Place de la clause de loyer variable dans cette typologie

La Cour de cassation rappelle que la jurisprudence a évolué. Alors qu’autrefois, elle décidait que la clause de loyer variable échappait au statut des baux commerciaux, elle admet, depuis ses arrêts des 3 novembre 2016 et 29 novembre 2018, que la clause de loyer variable n’est pas incompatible avec le statut des baux commerciaux et que le juge peut dans certains cas fixer le loyer minimum garanti (Civ. 3e, 3 nov. 2016, n° 15-16.826 et n° 15-16.827, Dalloz actualité, 9 nov. 2016, obs. Y. Rouquet ; D. 2016. 2280 ; ibid. 2017. 1572, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2017. 36 , obs. F. Planckeel ; ibid. 817, étude B.-H. Dumortier ; RTD civ. 2017. 204, obs. P. Théry ; Administrer 11/2016. 36, note J.-D. Barbier ; à propos de ces deux arrêts, v. aussi, J.-P. Blatter, AJDI 2016. 805 ; ibid. 2017. 901 ; Civ. 3e, 29 nov. 2018, n° 17-27.798, Dalloz actualité, 19 déc. 2018, obs. M. Ghiglino ; D. 2018. 2359 ; ibid. 2019. 1511, obs. M.-P. Dumont ; AJDI 2019. 532 , obs. J.-P. Blatter ; Gaz. Pal. 19 mars 2019, p. 70, note C.-É. Brault ; v. aussi, J.-D. Barbier, Le loyer commercial entre désordre contractuel et ordre public, Gaz. Pal. 14 mars 2017, p. 53 ; Loyer variable, derniers rebondissements ? Gaz. Pal. 16 juill. 2019, p. 51).

Ainsi, avant l’évolution jurisprudentielle de 2016, la clause de loyer variable avait une place à part : elle se situait en dehors du statut des baux commerciaux. Le bail restait soumis au statut, mais le loyer y échappait totalement.

Désormais, la Cour suprême estime que deux cas peuvent se présenter :

  • soit la clause de loyer variable est traitée comme une clause particulière, au même titre que celles visées dans la deuxième hypothèse de la typologie ci-dessus évoquée. Le juge pourra fixer le loyer en tenant compte de la part variable ;
  • soit les parties ont exclu toute fixation judiciaire « à la valeur locative », et l’on se situerait alors dans la troisième hypothèse de la typologie ci-dessus. Le loyer serait totalement déterminé par la clause de loyer variable, sans que le juge puisse modifier quoi que ce soit.

Tout dépendrait de la volonté des parties.

La volonté des parties

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation rappelle que les parties peuvent exclure une fixation judiciaire à la valeur locative. Cela confirme la jurisprudence précitée : toutes les conventions sont valables, dès lors que le loyer de renouvellement n’est pas d’ordre public.

La Cour de cassation ajoute que, en présence d’un bail à loyer variable, le juge des loyers commerciaux « ne peut déterminer (sic) qu’une somme fixe et ne peut modifier la clause de loyer variable ». Le juge peut seulement fixer un loyer, mais ne peut pas fixer le pourcentage sur le chiffre d’affaires.

La Cour de cassation ajoute que la clause de loyer variable serait nécessairement « reconduite dans le bail renouvelé ». On présume, même à défaut de stipulation particulière concernant le loyer de renouvellement, que les parties entendent maintenir un loyer binaire dans le bail renouvelé.

Pour bien appréhender l’intention des parties, la Cour de cassation pose un principe et une exception.

Le principe et l’exception

La Haute juridiction estime que, si les parties conviennent d’une clause de loyer variable, elles « manifestent ainsi, en principe, une volonté d’exclure une fixation judiciaire du prix du bail renouvelé à la valeur locative ». Selon cette jurisprudence, il faut donc admettre que le silence des parties, quant au loyer de renouvellement, implique leur accord pour maintenir la clause de loyer variable inchangée, sans que le juge ne puisse rien modifier.

C’est donc par exception à ce principe que le juge pourra intervenir pour fixer soit le loyer minimum garanti, soit un loyer statutaire normal, mais seulement s’il résulte du contrat ou d’éléments extrinsèques que les parties l’ont souhaité.

Cette exception ne devrait pas être trop exceptionnelle, car la Cour ouvre largement la voie à la fixation judiciaire, quelles que soient les clauses du bail, en admettant que la volonté des parties puisse être tacite.

Conclusion : compatibilité de la clause de loyer variable avec le statut

Cette jurisprudence confirme donc que la clause de loyer variable est compatible avec les règles du statut des baux commerciaux concernant la fixation du loyer.

Sa portée sera certainement importante, notamment pour permettre les révisions légales des baux à loyer variable.

Cette jurisprudence ouvre manifestement la voie à des demandes de révision, d’ordre public, même en présence d’une clause de loyer variable (v. J.-D. Barbier, études préc.). Une clause de loyer variable, pas plus qu’une clause fixant par avance et forfaitairement le prix du bail, ne peut interdire la révision triennale d’ordre public (Civ. 3e, 30 janv. 2002, n° 00-15.202, Centre commercial Croix Dampierre (SCI) c/ Centre automobile Croix Dampierre (CACD), AJDI 2002. 288 , obs. M.-P. Dumont ; Administrer 4/2002. 26, note J.-D. Barbier).

 

Civ. 3e, 30 mai 2024, FS-B+R, n° 22-16.447

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