Flux mais reflux du coemploi dans un réseau de distribution intégré : les jeux sont faits !
Hors l’existence d’un lien de subordination, une société ne peut être qualifiée de coemployeur, à l’égard du personnel employé par une autre, que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre elles et l’état de domination économique que peuvent engendrer leur relation commerciale, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.
 
                            Réseaux de distribution et coemploi sociétaire. – Au-delà des groupes de sociétés, le coemploi sociétaire peut être reconnu, dans un réseau de distribution, si un chef de réseau s’immisce totalement dans la gestion économique et sociale des membres. Tel est l’enseignement fondamental de l’arrêt Française des jeux de la Cour de cassation du 9 octobre 2024. Les réseaux de distribution intégrés soulèvent des difficultés en raison de la forte dépendance économique pesant sur les membres du réseau, celle-ci offrant, en droit et en fait, un pouvoir du chef de réseau sur l’exploitation de l’activité économique desdits membres (G. J. Virassamy, Les contrats de dépendance : essai sur les activités professionnelles exercées dans une dépendance économique, LGDJ, 1986 ; F. de Boüard, La dépendance économique née d’un contrat, préf. G. Viney, LGDJ, Institut A. Tunc, 2007). Certains réseaux reposent même sur une intégration économique légalement prévue, comme celui de la Française des jeux (FDJ) ainsi que celui des dépositaires et diffuseurs de presse.
Réseau FDJ. – La société FDJ, détenue majoritairement par l’État, bénéficie d’un monopole d’État sur les jeux de loterie et les jeux de paris sportifs en points de vente et en charge de leur exploitation. L’attribution de droits exclusifs à une seule société protège la santé et l’ordre public en luttant, notamment, contre le risque de jeu excessif et la fraude, par un circuit contrôlé et une progression limitée du nombre de jeux proposés et de points de vente (CE 14 avr. 2023, nos 436434 et 436439, AJDA 2023. 751  ; Légipresse 2023. 270 et les obs.
 ; Légipresse 2023. 270 et les obs.  ). La société dispose d’un réseau pour la commercialisation de ses produits, organisé autour d’intermédiaires qui assurent la distribution auprès de détaillants agréés : points presse, débitants de tabac, débits de boisson… Ces intermédiaires ont pour mission de distribuer les produits de la FDJ auprès des détaillants, dans un secteur géographique déterminé exclusif, moyennant un droit à commissions sur les sommes provenant des ventes. Ils prospectent les détaillants situés dans leur secteur géographique, recouvrent les mises collectées par ces détaillants auprès des joueurs et reversent les sommes ainsi perçues à société FDJ. Jusqu’en 2015, ils avaient le statut de courtiers-mandataires, personnes physiques ou morales. Depuis 2015, la société FDJ et les intermédiaires sont liés par un contrat de prestation de service. Afin de protéger les membres de réseau de leur état de dépendance économique, la jurisprudence a analysé traditionnellement la relation contractuelle comme un mandat d’intérêt commun (Com. 19 oct. 2022, n° 21-13.293 ; Civ. 1re, 25 févr. 2003, n° 99-20.147 ; 2 déc. 1997, n° 95-15.015, RTD com. 1998. 665, obs. B. Bouloc
). La société dispose d’un réseau pour la commercialisation de ses produits, organisé autour d’intermédiaires qui assurent la distribution auprès de détaillants agréés : points presse, débitants de tabac, débits de boisson… Ces intermédiaires ont pour mission de distribuer les produits de la FDJ auprès des détaillants, dans un secteur géographique déterminé exclusif, moyennant un droit à commissions sur les sommes provenant des ventes. Ils prospectent les détaillants situés dans leur secteur géographique, recouvrent les mises collectées par ces détaillants auprès des joueurs et reversent les sommes ainsi perçues à société FDJ. Jusqu’en 2015, ils avaient le statut de courtiers-mandataires, personnes physiques ou morales. Depuis 2015, la société FDJ et les intermédiaires sont liés par un contrat de prestation de service. Afin de protéger les membres de réseau de leur état de dépendance économique, la jurisprudence a analysé traditionnellement la relation contractuelle comme un mandat d’intérêt commun (Com. 19 oct. 2022, n° 21-13.293 ; Civ. 1re, 25 févr. 2003, n° 99-20.147 ; 2 déc. 1997, n° 95-15.015, RTD com. 1998. 665, obs. B. Bouloc  ; v. P. Grignon, Le concept d’intérêt commun dans le droit de la distribution, in Mélanges M. Cabrillac, 1999, Litec, p. 127). Une situation similaire se retrouve en matière de distribution de presse pour laquelle la loi impose le groupage et la distribution des publications par une société coopérative de presse bénéficiant d’un monopole de fait, tel que Prestaliss, ex-NMPP (E. Cadou, La distribution de la presse. Étude des contrats conclus dans le cadre de la loi du 2 avril 1947, préf. J. Ghestin, LGDJ, 1998 ; Com. 20 févr. 2007, n° 05-18.444, D. 2007. 867, obs. X. Delpech
 ; v. P. Grignon, Le concept d’intérêt commun dans le droit de la distribution, in Mélanges M. Cabrillac, 1999, Litec, p. 127). Une situation similaire se retrouve en matière de distribution de presse pour laquelle la loi impose le groupage et la distribution des publications par une société coopérative de presse bénéficiant d’un monopole de fait, tel que Prestaliss, ex-NMPP (E. Cadou, La distribution de la presse. Étude des contrats conclus dans le cadre de la loi du 2 avril 1947, préf. J. Ghestin, LGDJ, 1998 ; Com. 20 févr. 2007, n° 05-18.444, D. 2007. 867, obs. X. Delpech  ; RTD com. 2007. 590, obs. B. Bouloc
 ; RTD com. 2007. 590, obs. B. Bouloc  ; 29 févr. 2000 P).
 ; 29 févr. 2000 P).
Données. – Les faits de l’arrêt commenté sont singuliers. Plusieurs salariés, aux qualifications professionnelles diverses, ont été embauchés par un membre du réseau FDJ, alors entrepreneur individuel personnel physique. À la suite de son décès, les contrats de travail ont été repris par le GIE Région centre auquel appartenait l’ancien employeur dans l’attente d’un repreneur. Le 15 octobre 2012, les contrats ont été transférés à une société repreneuse et une des salariés a été, le 2 juillet 2014, licenciée pour motif économique ; puis, dans le cadre d’une réorganisation du réseau décidée par la FDJ, les salariés ont été transférés à une autre société exploitante pour être licenciés pour motif économique, certains le 13 juillet 2016, d’autres le 4 janvier 2018. La FDJ et les deux sociétés exploitantes successives ont été mises en cause dans le cadre d’une instance prud’hommale en contestation de la rupture des contrats de travail. Pour les salariés, la FDJ avait la qualité d’employeur ou de coemployeur, avec les sociétés exploitantes, à leur endroit. Déboutés en appel, ils ont formé un pourvoi en cassation.
La question posée était de donc savoir si, dans le cadre d’un réseau de distribution, la qualité de coemployeur, à l’égard des salariés des membres du réseau, peut être reconnue contre la société dirigeant ledit réseau et, dans l’affirmative, sous quelles conditions.
La Cour de cassation saisit l’occasion qui lui est offerte pour rendre un nouvel attendu de principe élargissant le domaine du coemploi au-delà des groupes de sociétés, tout en confirmant les critères restrictifs retenus par son arrêt du 25 novembre 2020 (Soc. 25 nov. 2020, n° 18-13.769, Dalloz actualité, 11 déc. 2020, obs. L. de Montvalon ; D. 2020. 2348  ; ibid. 2021. 1152, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
 ; ibid. 2021. 1152, obs. S. Vernac et Y. Ferkane  ; Dr. soc. 2021. 367, obs. D. Baugard
 ; Dr. soc. 2021. 367, obs. D. Baugard  ; RDT 2020. 749, obs. M. Kocher et S. Vernac
 ; RDT 2020. 749, obs. M. Kocher et S. Vernac  ; BJT 2021. 21, note G. Duchange ; SSL 8 janv. 2021, note G. Auzero ; BJS 2021. 25, note F. Barbièri ; 25 nov. 2020, n° 18-13.771, D. 2020. 2348
 ; BJT 2021. 21, note G. Duchange ; SSL 8 janv. 2021, note G. Auzero ; BJS 2021. 25, note F. Barbièri ; 25 nov. 2020, n° 18-13.771, D. 2020. 2348  ; ibid. 2021. 370, chron. S. Ala, M.-P. Lanoue et A. Prache
 ; ibid. 2021. 370, chron. S. Ala, M.-P. Lanoue et A. Prache  ; Dr. soc. 2021. 182, obs. J. Mouly
 ; Dr. soc. 2021. 182, obs. J. Mouly  ; 25 nov. 2020, n° 18-13.770 ; v. Y. Pagnerre, Le reflux du coemploi, toujours vivant mais un peu plus mort, JCP S 2021. 1019) : « hors l’existence d’un lien de subordination, une société ne peut être qualifiée de coemployeur, à l’égard du personnel employé par une autre société, que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre elles et l’état de domination économique que peuvent engendrer leur relation commerciale, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière ».
 ; 25 nov. 2020, n° 18-13.770 ; v. Y. Pagnerre, Le reflux du coemploi, toujours vivant mais un peu plus mort, JCP S 2021. 1019) : « hors l’existence d’un lien de subordination, une société ne peut être qualifiée de coemployeur, à l’égard du personnel employé par une autre société, que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre elles et l’état de domination économique que peuvent engendrer leur relation commerciale, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière ».
L’extension du domaine du coemploi sociétaire
Double fondement. – Le salarié est en droit de démontrer que l’employeur désigné par son contrat n’est pas son unique employeur en mobilisant deux fondements. L’approche classique n’est autre que la démonstration d’un lien de subordination à l’endroit d’un autre employeur. De même, de longue date, la Cour de cassation ne s’est pas arrêtée à la démonstration d’un multiple lien de subordination pour rechercher, dans les montages sociétaires et contractuels, le véritable employeur de salariés ayant contracté avec des sociétés ou des filiales fantoches en retenant une approche économique (Y. Pagnerre, Regard historique sur le co-emploi, Dr. soc. 2016. 550  ).
).
Dans un groupe de sociétés. – L’approche économique née « de l’immixtion d’un tiers dans la gestion de la société employeur, est essentiellement invoquée au sein d’un groupe de sociétés et n’a jamais été reconnue par la chambre sociale en dehors d’une telle configuration », selon le conseiller Baricou dans son rapport sur l’arrêt du 9 octobre 2024 (Rapport du conseiller Baricou, p. 8). Aux termes de sa dernière jurisprudence, la Cour de cassation décide que « hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière » (Soc. 25 nov. 2020, préc.). Si l’on contemple la jurisprudence rendue en matière commerciale, c’est aussi dans le cadre d’un groupe de sociétés que se pose majoritairement la question de la qualité de « cocontractant de fait » reconnue à la société mère en raison de la fictivité de sa filiale, d’une confusion des patrimoines ou d’une immixtion dans l’exécution du contrat de nature à créer une apparence trompeuse (Cass., ass. plén., 9 oct. 2006, n° 06-11.056, D. 2006. 2933  , note D. Houtcieff
, note D. Houtcieff  ; ibid. 2525, obs. X. Delpech
 ; ibid. 2525, obs. X. Delpech  ; ibid. 2007. 753, obs. D. R. Martin et H. Synvet
 ; ibid. 2007. 753, obs. D. R. Martin et H. Synvet  ; RDI 2007. 408, obs. H. Heugas-Darraspen
 ; RDI 2007. 408, obs. H. Heugas-Darraspen  ; RTD civ. 2007. 115, obs. J. Mestre et B. Fages
 ; RTD civ. 2007. 115, obs. J. Mestre et B. Fages  ; ibid. 145, obs. P.-Y. Gautier
 ; ibid. 145, obs. P.-Y. Gautier  ; ibid. 148, obs. P.-Y. Gautier
 ; ibid. 148, obs. P.-Y. Gautier  ; RTD com. 2007. 207, obs. D. Legeais
 ; RTD com. 2007. 207, obs. D. Legeais  ; Com. 3 févr. 2015, n° 13-24.895, Dalloz actualité, 11 mars 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 374
 ; Com. 3 févr. 2015, n° 13-24.895, Dalloz actualité, 11 mars 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 374  ; ibid. 2401, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau
 ; ibid. 2401, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau  ; RTD civ. 2015. 388, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2015. 388, obs. H. Barbier  ; 9 nov. 2022, n° 20-22.063, D. 2023. 164
 ; 9 nov. 2022, n° 20-22.063, D. 2023. 164  , note B. Dondero
, note B. Dondero  ; Rev. sociétés 2023. 227, note J.-F. Hamelin
 ; Rev. sociétés 2023. 227, note J.-F. Hamelin  ; RTD civ. 2023. 96, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2023. 96, obs. H. Barbier  ).
).
Hors d’un groupe de sociétés. – Le même conseiller ajoute, dans son rapport, cependant que « la chambre n’a toutefois pas restreint l’examen des situations de coemploi aux seuls groupes de sociétés, acceptant, par exemple, de l’envisager – puis de l’exclure – dans les relations entre une entreprise et une association dépendante de celle-ci en raison des subventions qu’elle lui versait » (Soc. 4 mars 2015, n° 13-26.772 ; 3 déc. 2014, n° 13-20.053). Le conseiller cite, par une interprétation a contrario, un arrêt du 29 septembre 2021 par lequel « la chambre sociale a écarté une situation de coemploi, revendiquée par les salariés non pas en raison de l’appartenance de leur employeur à un groupe de société[s] mais aux liens qu’il entretenait avec la société Apple à laquelle il était lié par un contrat de distribution » (Rapport du conseiller Baricou, préc., p. 9 ; Soc. 29 sept. 2021, n° 20-14.939). Et un auteur de commenter sous cet arrêt que : « Dans un arrêt du 27 mai 2021, la Cour d’appel de Rouen accepte pourtant de qualifier une situation de coemploi sociétaire au regard des liens (trop) étroits unissant deux associations (Rouen, 27 mai 2021, n° 18/04264). Il pourrait en être de même lorsque, par exemple, une relation entre un donneur d’ordre et un sous-traitant relève d’une anormalité manifeste. Si cela n’était pas le cas dans le cadre de l’exécution du contrat de distribution liant les sociétés Apple à l’employeur, une telle situation est susceptible d’exister et de donner lieu à un contentieux mené par des salariés soucieux de trouver un débiteur solvable. Dans cette hypothèse, le coemploi sociétaire devrait s’imposer sans que l’absence de situation de groupe ne constitue un critère pertinent d’exclusion » (Q. Chatelier, Sans causalité, point de responsabilité !, JSL, n° 529, 4 nov. 2021 ; v. aussi, E. Peskine, Réseaux d’entreprises et droit du travail, préf. A. Lyon-Caen, LGDJ, 2008, nos 200 s.).
Précédents. – Outre ces pertinentes remarques, il est possible d’ajouter que la question a déjà été posée de manière indirecte lorsque des actions en requalification de contrats de franchise ou de gérant-mandataires en contrat de travail ont été intentées. Dans un arrêt du 8 juin 2010 (Soc. 8 juin 2010, n° 08-44.965, Dalloz actualité, 21 juin 2010, obs. S. Maillard ; D. 2011. 540, obs. D. Ferrier  ), une société Galaxie était propriétaire d’un certain nombre d’hôtels exploités en direct ou en franchise, sous l’enseigne B&B ; elle avait confié la direction de ces hôtels à des sociétés commerciales et signé avec leurs gérants des « contrats de gérance-mandat » ; les gérants-mandataires et leurs conjoints (ayant un statut de salarié) ont agi en reconnaissance de la qualité d’employeur du chef de réseau. La Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel ayant décidé que « les gérants-mandataires et leurs épouses ou compagnes [salariés des sociétés créées par les gérants-mandataires] étaient liés », à la société B&B, « par un contrat de travail » car « ces personnes travaillaient sous l’autorité et le contrôle direct de la société B&B ». De jure, les gérants des hôtels, avec lesquels la société B&B avait contracté, se sont vu reconnaître la qualité de salariés de cette dernière, celle-ci emportant automatiquement la qualité de salarié de B&B pour le personnel des sociétés mandataires. Il n’était pas question d’une qualification de coemploi, mais de celle d’employeur unique (réel) attribuée chef de réseau en raison de son immixtion totale dans la gestion des membres du réseau.
), une société Galaxie était propriétaire d’un certain nombre d’hôtels exploités en direct ou en franchise, sous l’enseigne B&B ; elle avait confié la direction de ces hôtels à des sociétés commerciales et signé avec leurs gérants des « contrats de gérance-mandat » ; les gérants-mandataires et leurs conjoints (ayant un statut de salarié) ont agi en reconnaissance de la qualité d’employeur du chef de réseau. La Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel ayant décidé que « les gérants-mandataires et leurs épouses ou compagnes [salariés des sociétés créées par les gérants-mandataires] étaient liés », à la société B&B, « par un contrat de travail » car « ces personnes travaillaient sous l’autorité et le contrôle direct de la société B&B ». De jure, les gérants des hôtels, avec lesquels la société B&B avait contracté, se sont vu reconnaître la qualité de salariés de cette dernière, celle-ci emportant automatiquement la qualité de salarié de B&B pour le personnel des sociétés mandataires. Il n’était pas question d’une qualification de coemploi, mais de celle d’employeur unique (réel) attribuée chef de réseau en raison de son immixtion totale dans la gestion des membres du réseau.
Mieux, afin de percer l’écran de la personnalité morale et de reconnaître la qualité d’employeur de la société exploitant le réseau de distribution au profit des gérants, associés et salariés de la société membre du réseau, la Cour de cassation n’a pas hésité à déclarer, dans deux arrêts Fiventis du 18 janvier 2012 et du 12 décembre 2012, que, d’une part, « la société Fiventis avait, selon les stipulations du contrat de franchise, imposé à M. X… des obligations détaillées et applicables de bout en bout dans les relations avec les clients, renforcées ensuite par des instructions tout aussi détaillées, que, transformé en simple agent d’exécution, l’intéressé ne disposait d’aucune autonomie et qu’en résiliant le contrat, la société avait fait usage de son pouvoir de sanction », si bien que « les sociétés JPB conseils et JPB courtage avaient un caractère fictif, que M. X… se trouvait dans un lien de subordination à l’égard de la société Fiventis, caractérisant un contrat de travail » (Soc. 18 janv. 2012, n° 10-16.342, D. 2013. 732, obs. D. Ferrier  ) et, d’autre part, que « la cour d’appel n’a pas violé les dispositions de l’article L. 1221-1 du code du travail en appréciant souverainement l’existence d’une fraude de la société Fiventis tendant notamment à éluder sa qualité d’employeur de Mme Y… en créant l’apparence d’un autre employeur de celle-ci » (Soc. 12 déc. 2012, n° 11-23.030). Cette solution n’est pas sans rappeler celle rendue en matière de sous-traitance ; des salariés d’un sous-traitant, le donneur d’ordre a été considéré « comme le véritable employeur […] parce que le sous-traitant ne serait en réalité qu’un salarié de l’entreprise qualifié de sous-entrepreneur pour faire échec à l’application de la législation » (Civ. 2e, 19 mai 1960 P ; CE 1er juin 2011, n° 332036, AJDA 2011. 1759
) et, d’autre part, que « la cour d’appel n’a pas violé les dispositions de l’article L. 1221-1 du code du travail en appréciant souverainement l’existence d’une fraude de la société Fiventis tendant notamment à éluder sa qualité d’employeur de Mme Y… en créant l’apparence d’un autre employeur de celle-ci » (Soc. 12 déc. 2012, n° 11-23.030). Cette solution n’est pas sans rappeler celle rendue en matière de sous-traitance ; des salariés d’un sous-traitant, le donneur d’ordre a été considéré « comme le véritable employeur […] parce que le sous-traitant ne serait en réalité qu’un salarié de l’entreprise qualifié de sous-entrepreneur pour faire échec à l’application de la législation » (Civ. 2e, 19 mai 1960 P ; CE 1er juin 2011, n° 332036, AJDA 2011. 1759  ).
).
Employeur unique ou coemployeurs ? – Ces précédents mettent l’accent sur la qualification de véritable employeur unique à l’endroit de la société cheffe du réseau de distribution ; la société membre du réseau est jugée « fictive » ou frauduleuse, s’effaçant totalement du rapport de droit. Mais, s’il est possible de reconnaître la qualité d’employeur réel et unique à un chef de réseau au profit des salariés des sociétés membres du réseau, aucun argument justifie d’écarter la faculté de reconnaître la qualité de coemployeur. En effet, « la recherche et la reconnaissance d’un coemployeur n’a pas pour fonction première d’indemniser un préjudice, mais constitue une "technique d’imputation d’obligations légales" », « par l’adjonction d’un autre débiteur » (Rapport annuel de la Cour de cassation 2020, p. 125). Au demeurant originellement, la Cour de cassation a toujours admis l’existence d’une pluralité d’employeurs en cas de fraude en raison de la « fictivité » de la qualité de l’employeur contractuel (Soc. 11 févr. 1970, nos 69-40.051 et 69-40.167 P), afin de rechercher « le véritable employeur » factuel, selon l’expression consacrée en jurisprudence (Soc. 1er juin 1978, n° 77-10.182 P ; Soc. 21 janv. 1987, nos 84-15.367 et 85-11.340 P).
La solution de la Cour de cassation est donc pleinement justifiée, le conseiller reprenant la position retenue par les juges du fond : « Rien n’exclut la possibilité d’un coemploi entre sociétés n’appartenant pas à un groupe de sociétés dès lors que l’une s’immiscerait de manière permanente dans la gestion économique et sociale d’une autre, aboutissant à sa perte totale d’autonomie » (Rapport du conseiller Baricou, p. 11). L’arrêt commenté procède alors à une réécriture judicieuse de sa solution de principe écartant la référence au groupe de sociétés et visant la « relation commerciale » liant les sociétés.
L’appréciation restrictive du coemploi sociétaire
Mort-vivant. – Comme l’a souligné un auteur, « le coemploi demeure donc dans la catégorie des morts-vivants, mais tout de même un peu plus du côté des morts qu’avant » (G. Duchange, BJT 2021. 21, préc.). La Cour de cassation ne condamne que l’abus de personnalité morale, lorsque la société mère ne respecte pas l’écran de la personnalité juridique des filiales, ou encore la violation de l’autonomie juridique de son cocontractant dans une relation commerciale, excédant par le biais de clauses ou pratiques abusives l’objet normal d’une telle relation. L’interprétation littérale des arrêts du 25 novembre 2020 et du 9 octobre 2024 est éclairante.
L’immixtion est l’action de « s’introduire indûment dans ce qui est du ressort d’autrui » (Trésor de la langue française, v° Immiscer ; G. Cornu, Vocabulaire juridique, 13e éd., PUF, 2020, v° Immixtion). L’adjectif « permanent » implique que cette immixtion soit établie « de manière durable et continue, sans interruption ni modification » (Trésor de la langue française, v° Permanent). A contrario, toute immixtion changeante, intermittente, temporaire exclut le coemploi. Gérer, c’est « assurer, en tant que responsable, le fonctionnement de ce service, dont on assume la direction, l’impulsion, le contrôle » (Trésor de la langue française, v° Gérer, Administrer). La « gestion sociale » vise l’« organisation de tous les problèmes touchant au personnel (paie, fiscalité, carrières, régimes sociaux, embauches) » ; la gestion économique englobe les aspects comptables, financiers, industriels, commerciaux, stratégiques. La perte est le « fait d’être privé momentanément ou définitivement, en partie ou totalement, d’une chose ou d’une qualité dont on avait la jouissance ou la possession » (Trésor de la langue française, v° Perte) ; elle doit, en l’occurrence, être totale, c’est-à-dire concerner ou affecter « l’ensemble, l’intégralité des parties, des éléments » (Trésor de la langue française, v° Total) ; elle porte sur l’autonomie, la filiale étant privée de la « faculté de se déterminer par soi-même, de choisir, d’agir librement » (Trésor de la langue française, v° Autonomie). L’immixtion dans un rapport contractuel ne suffit pas ; l’immixtion individuelle n’est autre qu’un double lien de subordination (Soc. 5 juin 2019, n° 18-11.797). L’immixtion sociétaire visée est globale et collective. Dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation le 25 novembre 2020, la cour d’appel avait retenu une situation de coemploi caractérisée, selon elle, par le mode de gestion des ressources humaines au moment de la cessation de l’activité, le financement de la procédure de licenciement économique, des conventions de trésorerie et d’assistance moyennant rémunération, la prise de décisions commerciales et sociales dans l’exercice de la présidence de la société et des reprises d’actifs dans des conditions désavantageuses pour la filiale. Or, ces éléments ne sont « pas de nature à établir que la société mère agissait véritablement de façon permanente en lieu et place de sa filiale, de sorte que celle-ci aurait totalement perdu son autonomie d’action » (Rapport annuel de la Cour de cassation 2020, préc., p. 127 et 128). Par un arrêt du 23 novembre 2022, la Cour de cassation a confirmé que la reconnaissance d’un coemploi sociétaire demeurait possible (Soc. 23 nov. 2022, n° 20-23.206, Dalloz actualité, 8 déc. 2022, obs. N. Peixoto ; Rev. sociétés 2023. 450, note X. Carsin et A. Couret  ) : une cour d’appel qui constate que « la société employeur a perdu tout client propre et se trouve sous la totale dépendance économique de la société mère, laquelle lui sous-traite et organise elle-même les transports qui constituaient son activité, que ses dirigeants ont perdu tout pouvoir décisionnel, que la société mère s’est substituée à sa filiale dans la gestion de son personnel dans les relations tant individuelles que collectives et assure également sa gestion financière et comptable, caractérise ainsi une immixtion permanente dans la gestion économique et sociale, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de la société employeur, ce dont elle déduit exactement l’existence d’une situation de coemploi ». On y perçoit les mêmes motifs que dans l’arrêt 3 Suisses de 2016 (Soc. 6 juill. 2016, n° 15-15.481, D. 2016. 2096
) : une cour d’appel qui constate que « la société employeur a perdu tout client propre et se trouve sous la totale dépendance économique de la société mère, laquelle lui sous-traite et organise elle-même les transports qui constituaient son activité, que ses dirigeants ont perdu tout pouvoir décisionnel, que la société mère s’est substituée à sa filiale dans la gestion de son personnel dans les relations tant individuelles que collectives et assure également sa gestion financière et comptable, caractérise ainsi une immixtion permanente dans la gestion économique et sociale, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de la société employeur, ce dont elle déduit exactement l’existence d’une situation de coemploi ». On y perçoit les mêmes motifs que dans l’arrêt 3 Suisses de 2016 (Soc. 6 juill. 2016, n° 15-15.481, D. 2016. 2096  , note R. Dammann et S. François
, note R. Dammann et S. François  ; Rev. sociétés 2017. 149, note E. Schlumberger
 ; Rev. sociétés 2017. 149, note E. Schlumberger  ; RDT 2016. 560, obs. S. Vernac
 ; RDT 2016. 560, obs. S. Vernac  ).
).
Dans l’arrêt du 9 octobre 2024, la Cour de cassation prend le soin de détailler l’argumentation de la cour d’appel qui a exclu l’existence d’une situation de coemploi. Au § 19, la Haute juridiction considère que, « de ces seules énonciations et constatations, dont il résultait tant l’absence de toute immixtion de la société FDJ dans la gestion économique et sociale des sociétés Franmarie et Jacklot que la préservation de leur autonomie d’action, la cour d’appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a pu déduire que la société FDJ n’avait pas la qualité de coemployeur ». On a le sentiment que la Cour de cassation procède à un contrôle lourd par le détail des arguments repris (comme une sorte de guide) tout en concluant sur un contrôle léger caractérisé par l’emploi de l’expression « la cour d’appel […] a pu déduire ».
D’abord, il est relevé que « la situation de monopole d’État de la société FDJ sur la commercialisation des jeux de loterie et de paris sportifs, son organisation centralisée et la coordination des actions commerciales et l’étroitesse des liens commerciaux qu’il induit ne permettent pas en eux-mêmes de retenir l’existence d’un coemploi, les intermédiaires, bien que tenus de se conformer à la politique commerciale définie contractuellement, restant libres de contracter ou non avec la société FDJ, puis de gérer et d’administrer librement leur société ou entité » ; « s’il y a des intérêts communs, les activités de la société FDJ et des sociétés [membres] Franmarie et Jacklot sont distinctes et il ne peut être retenu une confusion de direction, les gérants de sociétés ou les courtiers conservant la maîtrise de l’organisation de leur propre structure et particulièrement la gestion sociale de leur personnel ».
Ensuite, « l’utilisation de matériels sérigraphiés FDJ ou de cartes de visite mentionnant les liens avec la Française des jeux est compatible avec le statut de mandataire de cette société et les fonctions de représentation de la société FDJ auprès des détaillants » ; « l’immixtion invoquée et les pièces produites relèvent des relations commerciales librement consenties, une domination d’une société sur une autre étant admise sans pour autant caractériser le coemploi dès lors qu’elle n’aboutit pas à une immixtion permanente de la première sur la gestion économique de la seconde qui se trouverait ainsi privée de toute autonomie ». Les juges ont ainsi constaté, « d’une part, qu’aucun élément d’immixtion dans la gestion sociale des sociétés [membres successives], notamment en matière de recrutement ou de départ, de salaires, primes ou commissions, régimes sociaux, évolution de carrière, pas même occasionnelle, la clause du contrat d’exploitation du 15 octobre 2012 précisant que la gestion du personnel reste l’affaire de l’intermédiaire n’étant pas utilement contredite par les salariés » et, « d’autre part, que la [première] société a décidé au printemps 2014, de réduire la surface de son local commercial en transférant l’activité d’un site à un autre et de réorganiser la partie administrative de son activité par un regroupement en Eure-et-Loir, ce dont elle a informé ses salariés avant de leur proposer des modifications de leurs contrats de travail le 23 avril 2014 dans le cadre de l’article L. 1222-6 du code du travail ».
En conclusion, « ces décisions, dont rien n’établit qu’elles résultent de la volonté de la société FDJ de capter les prérogatives de la société […] attachées à sa condition d’employeur qu’elle-même revendique, attestent que le mandataire est resté décideur de son organisation et de ses choix de gestion et n’a pas perdu son autonomie » ; « il n’est pas davantage démontré que l’organisation d’une réunion le 25 septembre 2017 par la société FDJ ayant pour objet la mise en place d’une nouvelle forme d’organisation commerciale entraînant l’application de nouvelles procédures commerciales et financières auprès des intermédiaires et des détaillants aurait emporté immixtion dans la gestion sociale de l’entreprise ».
La forte dépendance économique ne suffit pas, même si elle influence le pouvoir de gestion des membres du réseau. La même solution serait retenue pour le réseau intégré de distribution de la presse. Faut-il en déduire que le coemploi ne pourrait pas, de facto, être reconnu dans les réseaux de distribution intégrée ? Ce n’est pas notre opinion. Par exemple, en s’inspirant de l’arrêt B&B, une perte totale d’autonomie doit être reconnue lorsque les « personnes travaillaient sous l’autorité et le contrôle direct de la société [dominante], qu’elles devaient impérativement respecter les normes et standards de la chaîne, selon le livret annexé sans pouvoir y déroger, qu’elles ne disposaient d’aucune liberté en matière de fixation des prix et de choix des clients, de procédure d’accueil, de promotion, de publicité et de tenue de la comptabilité, qu’elles devaient suivre les directives de la société [dominante] qui en contrôlait la bonne exécution en pratiquant des inspections suivies de remontrances et en menaçant de représailles ceux qui ne respecteraient pas ces instructions, et de résiliation du contrat ceux qui voudraient être indépendants dans leurs décisions commerciales » (Soc. 8 juin 2010, préc.).
Fictivité de l’employeur ? – L’immixtion exigée frôle la fictivité de la société, sans s’y confondre car la Cour n’exige pas une absence de vie sociétaire des organes sociaux : « c’est la perte d’autonomie d’action de la filiale, qui ne dispose pas du pouvoir réel de conduire ses affaires dans le domaine de la gestion économique et sociale, qui est déterminante dans la caractérisation d’une immixtion permanente anormale de la société mère, constitutive d’un coemploi, justifiant alors que le principe d’indépendance juridique des personnes morales soit exceptionnellement neutralisé » (Rapport annuel de la Cour de cassation 2020, préc., p. 128). La seule immixtion économique ne suffit pas. L’élément déterminant est, toujours et encore, l’immixtion sociale, à condition que la direction du personnel et la gestion du personnel soient prises en main par la société mère ou cocontractant qui ne permet plus à la société dominée de se comporter comme « le véritable employeur à l’égard de ses salariés » (Mensuel du droit du travail, n° 56, juill. 2014, p. 4). Que décider en cas d’immixtion sociale permanente sans immixtion économique ? Littéralement, la conjonction « et » impose un cumul ; il suffirait alors à la société dominante d’octroyer une relative autonomie économique pour éviter le coemploi sociétaire. Si tel était le cas, ce serait regrettable. Seule compte l’immixtion permanente dans la gestion sociale entraînant une perte totale d’autonomie d’action en matière de gestion du personnel ; l’immixtion économique devrait être un motif secondaire.
Demeure l’impression que, entre « la transparence de la personne morale » (mobilisée par le Conseil d’État, CE 17 oct. 2016, n° 386306, Lebon  ; D. 2017. 840, obs. P. Lokiec et J. Porta
 ; D. 2017. 840, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; Y. Pagnerre, L’arlésienne des groupes de sociétés devant l’administration, JCP S 2017. 1038), le « véritable employeur », « l’immixtion permanente » conduisant à « une perte totale d’autonomie » et la fictivité, « l’on joue sur les mots » (G. Auzero, Le coemploi bouge encore !, SSL, 8 janv. 2021). D’où notre proposition : plutôt que d’évoquer la fictivité de la société, propre au droit des sociétés, pourquoi ne pas consacrer la notion de « fictivité de l’employeur », propre au droit du travail (I. Vacarie, L’employeur, Sirey, 1979, p. 114 s.) ? La sanction n’impliquerait nullement la disparition juridique de l’employeur fictif ; comme en matière de simulation, le salarié pourrait agir contre l’employeur contractuel et l’employeur réel en fonction de ses intérêts.
 ; Y. Pagnerre, L’arlésienne des groupes de sociétés devant l’administration, JCP S 2017. 1038), le « véritable employeur », « l’immixtion permanente » conduisant à « une perte totale d’autonomie » et la fictivité, « l’on joue sur les mots » (G. Auzero, Le coemploi bouge encore !, SSL, 8 janv. 2021). D’où notre proposition : plutôt que d’évoquer la fictivité de la société, propre au droit des sociétés, pourquoi ne pas consacrer la notion de « fictivité de l’employeur », propre au droit du travail (I. Vacarie, L’employeur, Sirey, 1979, p. 114 s.) ? La sanction n’impliquerait nullement la disparition juridique de l’employeur fictif ; comme en matière de simulation, le salarié pourrait agir contre l’employeur contractuel et l’employeur réel en fonction de ses intérêts. 
Soc. 9 oct. 2024, F-B, n° 23-10.488
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