Focus sur la désignation du conducteur du véhicule d’une personne morale en cas d’excès de vitesse

L’obligation de désignation prévue par l’article L. 121-6 du code de la route n’est remplie que si la désignation de la personne physique qui conduisait effectivement le véhicule au moment des faits repose sur des éléments probants.

En l’espèce, le 15 juin 2020, un véhicule appartenant à une société était verbalisé pour un excès de vitesse. Le procès-verbal était établi le 25 juin suivant et la société était destinataire, le 29 juin 2020, de l’avis de contravention correspondant. Elle présentait une requête en exonération et désignait la personne physique qui, selon elle, était le conducteur du véhicule au moment de l’excès de vitesse. Elle fournissait à ce titre la date de naissance, l’adresse et le numéro de permis de conduire de l’intéressé. Ce dernier recevait un avis de contravention qu’il contestait.

Le gérant de la personne morale faisait valoir qu’il avait désigné cette personne car il s’agissait du responsable de ce véhicule et qu’il ne pouvait pas savoir si, au moment des faits, il conduisait effectivement ledit véhicule. In fine, en application de l’article L. 121-6 du code pénal, la société était citée devant le tribunal de police pour non-transmission de l’identité et de l’adresse du conducteur du véhicule. Par un jugement du 19 novembre 2021, cette juridiction l’a relaxé. Le tribunal de police a en effet considéré que le représentant légal de la société avait fourni tous les éléments d’identité de la personne désignée, la circonstance que cette dernière ait contesté être le conducteur ne permettant pas de retenir a posteriori l’infraction à son encontre.

L’officier du ministère public formait un pourvoi en cassation dans lequel il invoquait plusieurs arguments fondés notamment sur la violation des articles L. 121-2, L. 121-3, L. 121-6 du code de la route. Le requérant faisant en effet valoir que l’obligation de désignation du conducteur prévue par le code de la route doit s’entendre comme une désignation certaine. Il déduisait du caractère certain de la désignation la nécessité de corroborer, si nécessaire, une désignation uniquement nominative par des éléments probants. En l’espèce, le conducteur désigné contestant avoir été le conducteur du véhicule au moment des faits, le représentant légal de la société aurait dû être en mesure d’apporter des éléments autres que ceux relatifs à l’identité du conducteur pour établir qu’il était au volant du véhicule au moment des faits. Durant l’enquête, le gérant de la société avait expliqué qu’il était dans l’impossibilité de fournir d’autres éléments probants sur le conducteur désigné, car l’entreprise ne tenait pas de registre. Peu sensible à cet argument, la Cour de cassation affirme que le juge ne pouvait pas considérer que cette désignation, qui ne reposait sur aucun élément probant de nature à corroborer l’identification du contrevenant, était conforme aux exigences de l’article L. 121-6 du code de la route.

Selon ce texte, applicable depuis le 1er janvier 2017, lorsqu’une infraction constatée automatiquement a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, son représentant légal doit indiquer, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou de façon dématérialisée, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, à l’autorité mentionnée sur cet avis, l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre événement de force majeure. Les hauts magistrats considèrent que pour rendre effective cette obligation, la désignation du conducteur doit reposer sur des éléments probants.

Cette cassation confirme la rigueur des hauts magistrats dans l’application de l’article L. 121-6 du code de la route. À ce titre, il faut d’ailleurs relever, à propos de ce texte, que si plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité ont déjà été soulevées, la chambre criminelle a toujours refusé de les transmettre au Conseil constitutionnel. Pour justifier ces refus de transmission, la chambre criminelle a plusieurs fois souligné que cette disposition assure un juste équilibre entre les nécessités de la lutte contre l’insécurité routière et le droit de ne pas s’auto-incriminer et qu’elle ne méconnaît pas les droits de la défense (Crim. 7 févr. 2018, Dr. pénal 2018, n° 80, note Robert ; 4 avr. 2018, n° 18-90.001, Dr. sociétés 2018, n° 125, obs. Heinich ; 2 mai 2018, n° 18-90.003, Dr. pénal 2018, n° 127, note Robert). Dans sa jurisprudence, la chambre criminelle a en outre déjà affirmé son intransigeance sur les contours de cette obligation désignation. Elle a en ainsi retenu que la personne morale ne peut s’exonérer de sa responsabilité pénale en désignant deux conducteurs comme également susceptibles d’avoir commis l’infraction initiale (Crim. 17 nov. 2020, n° 20-81.241, Dalloz actualité, 12 févr. 2021, obs. A. Pham-Ngoc ; Dr. pénal 2021, n° 9, note Robert ; ibid. Chron. 8, obs. Gauvin).

Surtout, elle a considéré que le fait que la société poursuivie, qui était une société de transport sanitaire, soit tenue, par la réglementation en vigueur, d’utiliser un document intitulé « feuille de route hebdomadaire transport sanitaire », qui ne comportait pas de rubrique destinée à recueillir l’indication des heures de conduite de chacun des deux chauffeurs qui devaient se trouver à bord du véhicule, ne pouvait pas constituer un cas de force majeure. La personne morale aurait dû mettre en œuvre une organisation permettant un recensement et une identification précise des chauffeurs conforme aux exigences de l’article L. 121-6 du code de la route (Crim. 17 nov. 2020, n° 20-81.249, Dalloz actualité, 12 févr. 2021, obs. A. Pham-Ngoc ; Dr. pénal 2021, n° 9, note Robert ; ibid. Chron. 8, obs. Gauvin ; 26 janv. 2021, no 20-83.913, Dalloz actualité, 12 févr. 2021, obs. A. Pham-Ngoc ; Dr. pénal 2021. Chron. 8, obs. Gauvin).

La même conclusion peut être tirée de l’arrêt rapporté : en l’espèce, la société aurait dû tenir un registre pour savoir, à tout moment, quel conducteur est au volant de quel véhicule et ainsi être en mesure de satisfaire aux exigences posées par l’article L. 121-6 du code de la route.

Cette lecture rigoureuse du texte semble partagée par le législateur. En effet, depuis la loi du 8 avril 2021 améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale, cette obligation de dénonciation concerne aussi la personne physique titulaire du certificat d’immatriculation ou détentrice d’un véhicule que cette personne a immatriculé « en tant que personne morale ». En pratique, cet ajout apporté à l’article L. 121-6 du code de la route vise les personnes ayant adopté le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.

 

© Lefebvre Dalloz