Force probante des procès-verbaux établis par les agents des douanes
S’il résulte de l’article 336, 1, du code des douanes que les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes ou de toute autre administration font foi jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles qu’ils relatent, cette force probante ne s’attache pas aux déductions et appréciations réalisées par ces agents.
L’article 336 du code des douanes prévoit en son 1° que « les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes ou de toute autre administration font foi jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles qu’ils relatent ». En d’autres termes, non seulement les faits constatés par ces procès-verbaux s’imposent au juge, mais la présomption qu’ils contiennent ne peut être renversée que par un recours à la procédure très encadrée d’inscription de faux.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de s’intéresser à la question de la force probante des procès-verbaux établis par les agents des douanes. Elle a jugé que la force probante conférée aux procès-verbaux établis par les agents des douanes ne vaut que pour la caractérisation des infractions douanières. Elle n’en a pas à l’égard des infractions de droit commun, en l’occurrence d’infractions à la législation sur les stupéfiants (Crim. 28 sept. 2016, n° 15-84.383 FS-P+B, RTD com. 2016. 880, obs. B. Bouloc
). La chambre commerciale s’est également penchée sur cette importante question (v. déjà, Com. 14 mai 1985, n° 83-15.087). Ce qu’elle fait aujourd’hui à nouveau.
Les faits de l’espèce sont les suivants. Une société, qui a pour activité la distribution de cartouches d’encre pour imprimantes, a importé occasionnellement, en 2011 et 2012, des feuilles de papiers photographiques destinées à des impressions sur imprimantes domestiques, en provenance de la République populaire de Chine. Le dédouanement de ces marchandises a été effectué par un commissionnaire agréé en douane, selon le mode de représentation directe. Entre le 25 juillet 2011 et le 4 juillet 2012, huit déclarations ont été souscrites pour l’importation de papiers photographiques, déclarés selon des positions tarifaires exemptées de droits antidumping et de droits compensateurs. À la suite d’un contrôle réalisé en 2012, l’administration des douanes a contesté la position tarifaire retenue, considérant que les papiers photographiques importés auraient dû être déclarés sous une autre position tarifaire, soumise, elle, à l’époque des dédouanements litigieux, à des droits antidumping de 27,1 % et à des droits compensateurs d’un montant de 12 %.
L’administration des douanes a alors adressé à la société importatrice, le 18 septembre 2012, un avis de mise en recouvrement (AMR) d’un montant de 46 239 €, le 20 septembre 2012, un AMR d’un montant de 1 741 €, et le 10 avril 2013, un AMR d’un montant de 27 733 €. En parallèle, les 18 et 20 septembre 2012, l’administration des douanes a notifié deux AMR au commissionnaire en douane pour les montants respectifs de 46 239 € et de 1 741 €. Après rejet de leurs contestations, la société importatrice et le commissionnaire en douane ont tous les deux assigné l’administration des douanes aux fins de voir annuler cette décision de rejet et les redressements en découlant devant le tribunal judiciaire. Ce dernier annule l’AMR émis à l’encontre de la société importatrice le 10 avril 2013 et la décision de rejet du 12 mars 2015, en ce qu’elle rejetait la contestation de cet AMR du 10 avril 2013. Son jugement est confirmé par la Cour d’appel de Rouen (Rouen, 8 sept. 2022, n° 21/00558). L’administration des douanes forme alors un pourvoi en cassation. Elle reproche en substance à ces opérateurs d’avoir commis une fausse déclaration de position tarifaire et, en substance, aux juges du fond d’avoir écarté cette qualification faute de force probante du procès-verbal de notification d’infraction sur le fondement duquel l’avis de mise en recouvrement du 10 avril 2013 a été émis.
Le pourvoi de l’administration des douanes est rejeté sur ce point. Selon la chambre commerciale, « [s]’il résulte de l’article 336, 1, du code des douanes que les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes ou de toute autre administration font foi jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles qu’ils relatent, cette force probante ne s’attache pas aux déductions et appréciations réalisées par ces agents » (§ 7). Or, relève la Cour d’appel de Rouen, il ressort du procès-verbal incriminé que l’administration des douanes avait établi celui-ci à partir d’échantillons prélevés sur des marchandises ayant fait l’objet de déclarations ultérieures, quoiqu’identiques ; dès lors, il faut considérer que ce procès-verbal est le résultat d’une déduction opérée par les agents des douanes, qui ne peut être assimilée à des constatations matérielles faisant preuve jusqu’à inscription de faux. Et la chambre commerciale d’en conclure que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d’appel a retenu que l’administration des douanes ne démontrait pas, à l’occasion du contrôle a posteriori qu’elle a mené, que les articles importés sous le code "8978" ayant donné aux quatre déclarations d’importation précitées avaient fait l’objet d’une fausse déclaration » (§ 8).
La cassation est néanmoins prononcée (au visa de l’art. 345 c. douanes), car il est reproché à la Cour d’appel de Rouen d’avoir annulé l’AMR du 10 avril 2013, faut-il ajouter dans sa totalité. Or, il ressortait des constatations des juges d’appel que les droits mis en recouvrement étaient fondés, sauf concernant l’importation des articles référencés « 8978 » (ceux ayant fait l’objet des fausses déclaration). La cour d’appel ne pouvait donc annuler l’AMR mais devait le déclarer valable en ce qu’il portait sur les droits relatifs à l’importation des autres articles importés et qui avaient fait l’objet d’une déclaration valable (pt 21).
Com. 22 janv. 2025, F-B, n° 22-23.957
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