Fouille de véhicule : application tout en nuances des règles de la perquisition domiciliaire
Poursuivant son œuvre de clarification en matière de fouille de véhicule, la Cour de cassation juge que les dispositions du premier alinéa de l’article 59 du code de procédure pénale ne sont pas applicables à une telle mesure, sauf si le véhicule est spécialement aménagé à usage d’habitation et effectivement utilisé comme résidence. La Cour paraît également poser les jalons du raisonnement à suivre afin de déterminer la réglementation applicable à ce type de fouille.
La fouille de véhicule, mesure d’investigation à laquelle les enquêteurs ont régulièrement recours, fait l’objet d’une réglementation assez complexe.
Il est possible de trouver quelques dispositions spéciales, par-ci, par-là. À titre d’illustration, en matière de police judiciaire, le II de l’article 78-2-2 et l’article 78-2-5 du code de procédure pénale régissent la « visite » des véhicules, sur réquisitions écrites du procureur de la République, aux fins de recherche et de poursuite de certaines infractions en certains domaines (terrorisme, armes, vol, stupéfiants, etc.) ; et l’article 78-2-3 du même code régit la « visite » des véhicules, à l’initiative des enquêteurs, lorsqu’il existe à l’égard du conducteur ou d’un passager, une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis un crime ou un délit flagrant. Pour citer un autre exemple, en matière douanière, les articles 60 et suivants du code des douanes régissent la « visite » par les agents des douanes des moyens de transport.
Cela étant et pour l’essentiel, la fouille de véhicule n’est régie par aucun texte. La chambre criminelle a tenté de combler ce vide en développant une jurisprudence qui s’est avérée être confuse. Toutefois, avec un arrêt du 16 janvier 2024 (Crim. 16 janv. 2024, n° 22-87.593 P, Dalloz actualité, 26 janv. 2024, obs. M. Slimani ; D. 2024. 115
; AJ pénal 2024. 109, obs. D. Pamart
; JCP 2024. 257, obs. P.-J. Delage ; ibid. 543, obs. J. Leroy ; Dr. pénal 2024. Comm. 57, obs. A. Maron et M. Haas ; Procédures 2024. Comm. 64, obs. A.-S. Chavent-Leclère), elle a semblé vouloir y apporter une « clarification majeure » (P.-J. Delage, La fouille d’un véhicule en enquête préliminaire, note ss. Crim. 16 janv. 2024, n° 22-87.593, préc.). La décision qui retient notre attention s’inscrit dans la continuité de ce mouvement.
En l’espèce, trois individus ont été mis en examen des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, d’infractions à la législation sur les armes et d’association de malfaiteurs.
Devant la Cour de cassation, dans le cadre de leurs pourvois formés contre l’arrêt de la chambre de l’instruction ayant statué sur leurs requêtes en nullité de procédure, ils ont soutenu de nombreux moyens.
Un de ces moyens était relatif à l’ordre de paroles des parties à l’audience devant la chambre de l’instruction. Bien qu’il ait donné lieu à cassation, il présente peu d’intérêt. La règle rappelée par la Haute juridiction selon laquelle « la personne mise en examen ou son avocat doivent avoir la parole les derniers » est connue. Il convient cependant au président de la chambre de l’instruction d’être vigilant au cours de l’audience et au moment de la signature de l’arrêt, et au greffier d’être exhaustif lors de la rédaction des notes d’audience.
Un autre moyen portait sur la fouille du véhicule d’un des mis en cause qui avait été réalisée à 23 heures 20. Le demandeur au pourvoi arguait qu’une telle mesure était assimilable à une perquisition domiciliaire et, au vu des dispositions de l’article 59 du code de procédure pénale, ne pouvait avoir lieu en dehors des heures légales. Il en déduisait que les juges du fond avaient méconnu cet article en écartant son moyen de nullité, et ce en considérant qu’un véhicule n’était pas une extension du domicile et que les dispositions invoquées ne trouvaient donc pas à s’appliquer.
La chambre criminelle devait alors se demander si les dispositions du premier alinéa de l’article 59 du code de procédure pénale, selon lesquelles « sauf réclamations faites de l’intérieur de la maison ou exceptions prévues par la loi, les perquisitions et les visites domiciliaires ne peuvent être commencées avant 6 heures et après 21 heures », sont applicables à la fouille de véhicule. Elle a répondu par la négative pour le cas dans lequel le véhicule n’est pas spécialement aménagé à usage d’habitation et effectivement utilisé comme résidence, et a écarté le moyen de cassation.
Un raisonnement à retenir
Le plus important dans l’arrêt commenté n’est pas tant la réponse apportée au problème soulevé que le raisonnement suivi pour y arriver.
La Cour régulatrice a d’abord rappelé les deux principes qu’elle avait mis en exergue dans son arrêt du 16 janvier 2024 (Crim. 16 janv. 2024, n° 22-87.593, préc.) : « la fouille d’un véhicule est assimilable à une perquisition » (la Cour avait commencé à faire évoluer sa jurisprudence en ce sens dans un arrêt précédent, v. Crim. 13 sept. 2022, n° 22-80.515 P, Dalloz actualité, 29 sept. 2022, obs. J. Pidoux ; D. 2022. 1598
; ibid. 2023. 1488, obs. J.-B. Perrier
; AJ pénal 2022. 486, obs. R. Mesa
; RSC 2023. 150, obs. P.-J. Delage
; Procédures 2022. Comm. 285, obs. J. Buisson) ; néanmoins, « l’ingérence dans la vie privée qui en résulte est, par sa nature même, moindre que celle résultant d’une perquisition dans un domicile » (la Cour l’a énoncé pour la première fois dans l’arrêt du 16 janv. 2024).
Après avoir indiqué que les dispositions de l’article 59 du code de procédure pénale « ont pour finalité la protection du domicile », la Cour en a déduit qu’elles « ne sont pas applicables à la fouille d’un véhicule, sauf s’il est spécialement aménagé à usage d’habitation et effectivement utilisé comme résidence ».
La Cour a conclu qu’en l’espèce, étant donné que le mis en examen ne justifiait ni même n’alléguait que le véhicule concerné était utilisé comme une habitation, la chambre de l’instruction avait eu raison d’avoir jugé que l’article 59 n’avait pas à être respecté lors de la fouille dudit véhicule.
Un raisonnement généralisable
Si nous mettons en perspective l’arrêt analysé avec les derniers arrêts rendus par la Cour de cassation en matière de fouille de véhicule (il s’agit principalement des deux autres arrêts précédemment cités), il est possible de dégager la démarche à suivre sous forme de questions afin de déterminer les règles applicables à ce type de mesure.
Première question : quel est l’usage du véhicule ayant fait l’objet de la fouille ? S’il s’agit d’un véhicule à usage d’habitation, qui est effectivement utilisé comme tel (cette exigence semble permettre d’exclure, par ex., le cas d’une caravane qui pourrait servir uniquement à entreposer de la marchandise illégale), ce sont les dispositions du code de procédure pénale relatives à la perquisition domiciliaire qui doivent être respectées. S’il s’agit d’un véhicule à usage de transport, il faut se poser une autre question.
Deuxième question : existe-t-il des dispositions spéciales ? Si de telles dispositions sont prévues dans le code de procédure pénale ou ailleurs, ce sont elles qui s’appliquent en vertu de l’adage specialia generalibus derogant. Si ce n’est pas le cas, ce sont certaines des dispositions de la perquisition domiciliaire qui doivent être respectées, et ce en fonction de la réponse apportée à une dernière question.
Troisième question : quelle est la finalité de la disposition en cause ? Si la disposition a pour finalité la protection du domicile, elle n’est pas applicable. Il en est ainsi du premier alinéa de l’article 59 du code de procédure pénale (arrêt commenté). Si elle a pour finalité la protection de la vie privée, elle est applicable. C’est le cas du premier alinéa de l’article 76 du code de procédure pénale, aux termes duquel, durant l’enquête préliminaire, les perquisitions domiciliaires ne peuvent être effectuées sans l’assentiment exprès de la personne chez qui l’opération a lieu (Crim. 16 janv. 2024, n° 22-87.593, préc.). Si la disposition a pour finalité de garantir le caractère contradictoire du déroulement des opérations, elle est aussi applicable. Il est possible de donner l’exemple du deuxième alinéa de l’article 57 du code de procédure pénale en vertu duquel, lorsque la perquisition ne peut avoir lieu en présence de l’occupant des lieux ou de l’un de ses représentants, l’officier de police judiciaire doit procéder à cette mesure en présence de deux témoins requis à cet effet par lui, en dehors des personnes relevant de son autorité administrative (Crim. 13 sept. 2022, n° 22-80.515, préc.).
Un raisonnement risquant d’être difficile à reproduire
Cette application tout en nuances des règles de la perquisition domiciliaire à la fouille de véhicule n’est pas sans soulever plusieurs difficultés.
Il n’était déjà pas simple de déterminer la finalité des dispositions applicables à la perquisition domiciliaire (de manière surprenante, la Cour de cassation a considéré que le 1er al. de l’art. 57 c. pr. pén., aux termes duquel les perquisitions sont faites en présence de la personne au domicile de laquelle la mesure a lieu, a pour finalité la protection de la vie privée et du domicile, Crim. 9 nov. 2021, n° 21-83.095 P, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. S. Fucini ; D. 2021. 2047
; AJ pénal 2022. 44
; RSC 2022. 439, obs. E. Rubi-Cavagna
), alors déterminer précisément si une de ces dispositions a pour finalité la protection de la vie privée ou la protection du domicile risque d’être encore plus compliqué. Pour reprendre une image parlante, le droit au respect du domicile a pu être désigné comme n’étant qu’un « satellite » du droit au respect de la vie privée (Rép. eur., v° Conv. EDH, art. 8 : Vie privée, par J.-P. Marguénaud, n° 6).
En outre, même si nous nous éloignons un peu de l’arrêt commenté, il est intéressant de relever que l’application nuancée des règles de la perquisition domiciliaire paraît également se retrouver, en cas d’irrégularité, dans les modalités de la preuve de l’existence d’un grief afin de pouvoir obtenir l’annulation de la mesure (en application des art. 171 et 802 c. pr. pén.). En effet, lorsque la disposition dont la méconnaissance est alléguée a pour finalité la protection de la vie privée, en matière de fouille de véhicule, le requérant doit apporter la preuve d’un grief (Crim. 16 janv. 2024, n° 22-87.593, préc.) ; alors qu’en matière de perquisition domiciliaire au sens strict, le grief semble présumé (lecture a contrario de Crim. 16 janv. 2024, n° 22-87.593, préc.). Cette subtilité ne vaut pas lorsque la disposition a pour finalité de garantir le caractère contradictoire du déroulement des opérations (en matière de fouille de véhicule, v. not., Crim. 13 sept. 2022, n° 22-80.515, préc. ; en matière de perquisition domiciliaire au sens strict, v. not., Crim. 7 sept 2021, n° 20-87.191 et n° 21-80.642 P, Dalloz actualité, 28 sept. 2021, obs. M. Recotillet ; D. 2022. 1487, obs. J.-B. Perrier
; AJ pénal 2021. 527, note G. Candela
; RSC 2022. 94, obs. P.-J. Delage
; ibid. 439, obs. E. Rubi-Cavagna
; JCP 2021. 949 ; ibid. 1161, obs. H. Matsopoulou ; Procédures 2021. Comm. 299, obs. A.-S. Chavent-Leclère ; Dr. pénal 2022. Chron. 1, obs. V. Georget).
Enfin, une question demeure. La manière de raisonner ci-dessus décrite est-elle transposable à d’autres sortes de fouille ? nous pensons notamment à la fouille d’un portefeuille, d’un bagage ou à l’ouverture d’une enveloppe postale, mesures pour lesquelles la chambre criminelle a pu considérer qu’elles étaient assimilables à des perquisitions (v. respectivement, Crim. 15 oct. 1984, n° 83-93.689 P ; 19 déc. 2023, n° 23-81.286 P, Dalloz actualité, 15 janv. 2024, obs. B. Durieu ; D. 2024. 10
; ibid. 384, chron. L. Ascensi, S. Gillis, B. Joly, O. Violeau, P. Mallard et L. Guerrini
; AJ pénal 2024. 159, obs. J. Leborne
; Légipresse 2024. 16 et les obs.
; ibid. 95, comm. T. Besse
; ibid. 190, obs. O. Lévy, E. Tordjman et J. Sennelier
; Dr. pénal 2024. Comm. 34, obs. A. Maron et M. Haas ; Procédures 2024. Comm. 40, obs. J. Buisson ; 13 févr. 2024, n° 23-82.950 P, Dalloz actualité, 2 avr. 2024, obs. C. Fonteix ; D. 2024. 313
; AJ pénal 2024. 223, obs. É. Clément
; Procédures 2024. Comm. 99, obs. J. Buisson). L’interrogation est légitime puisque l’ingérence dans la vie privée qui résulte de ces mesures peut avoir une intensité variable. Affaire à suivre…
Crim. 28 mai 2024, F-B, n° 23-86.828
© Lefebvre Dalloz