Garantie AGS : extension de la couverture aux créances issues de la prise d’acte et de la résiliation judiciaire

Par deux arrêts du 8 janvier 2025, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en jugeant que la garantie AGS ne s’applique pas uniquement aux créances résultant de la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’administrateur ou du mandataire-liquidateur judiciaire mais également aux créances résultant de la prise d’acte de la rupture par le salarié en raison de manquements graves de l’employeur (n° 20-18.484) et de celles issues de la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur (n° 23-11.417), qui interviennent dans l’un des délais fixés à l’article L. 3253-8, 2°, du code du travail. Retour sur les raisons de ce revirement.

Rappel concernant la couverture par l’AGS. – En raison de l’importance de prémunir les salariés contre les risques d’insolvabilité de l’employeur en cas de procédure collective, les normes internationales et communautaires (Convention n° 173 de l’OIT et dir. 2008/94/CE du 22 oct. 2008) ont envisagé l’intervention d’institutions de garantie par les pouvoirs publics et les employeurs.

En droit français, conformément à l’article L. 3253-6 du code du travail, tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l’étranger ou expatriés, contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation. C’est ce que l’on appelle la « garantie AGS » qui couvre, dans la limite d’un plafond, les créances visées à l’article L. 3253-8 du code du travail parmi lesquelles figurent, en son 2°, les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant : (i) pendant la période d’observation, (ii) dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession, (iii) dans les quinze jours, ou vingt-et-un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation, (iv) pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt-et-un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l’activité.

Contexte des arrêts. – La question ayant donné lieu aux deux arrêts du 8 janvier 2025 est la suivante : quelles ruptures du contrat de travail permettent l’application de la couverture AGS, en application de l’article L. 3253-8, 2°, du code du travail. Est-ce uniquement celles résultant d’une rupture à l’initiative de l’administrateur ou du mandataire-liquidateur judiciaire ?

La réponse à cette question interroge le sens à donner à l’article L. 3253-8, 2°, du code du travail précité. Quand bien même cet article, n’opère aucune distinction selon les typologies de rupture du contrat de travail et les personnes en étant à l’origine, la Cour de cassation jugeait jusqu’alors que la couverture AGS, telle que prévue à l’article L. 3252-8, 2°, du code du travail ne s’applique qu’aux créances résultant d’une rupture à l’initiative de l’administrateur judiciaire ou du mandataire-liquidateur, de sorte que les indemnités dues au salarié à la suite de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur ne sont pas garanties par l’AGS (Soc. 20 déc. 2017, n° 16-19.517 P, D. 2018. 6 ; RDT 2018. 209, obs. D. Bondat ; 19 avr. 2023, n° 21-20.651) toutes comme celles versées à la suite d’une résiliation judiciaire aux torts de l’employeur (Soc. 14 juin 2023, n° 20-18.397).

Une telle position contraire à la lettre du texte, et à ce titre critiquable, était expliquée par la « période particulière » s’ouvrant au moment de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, lors de laquelle seul l’administrateur ou le mandataire judiciaire a la maîtrise des ruptures des contrats de travail qui sont décidées dans le seul intérêt et en vue du redressement de l’entreprise. Comme le précise le rapport du conseiller concernant l’un des arrêts rendus le 8 janvier 2025 (n° 23-11.417, D. 2025. 52 ) : « Dans ce contexte particulier que constitue la restructuration d’une entreprise en difficulté, objet d’un traitement judiciaire sous la forme de procédures de redressement ou de liquidation judiciaire, l’AGS joue un rôle essentiel en permettant, dans la limite d’un plafond, l’indemnisation des salariés dont l’emploi est supprimé afin d’assurer une poursuite de l’activité de l’entreprise ou le maintien d’une activité autonome et, pour le cas d’une entreprise en redressement, apportant par ses avances, un soutien temporaire de trésorerie. La position de la chambre a été de relier, une fois la procédure collective ouverte, l’intervention de l’AGS à un licenciement pour motif économique et non à une rupture décidée par le salarié ou prononcée par le juge prud’homal, motif pris d’un manquement grave imputable à l’employeur » (Rapport du conseiller, p. 7).

Cette explication avait notamment été développée par la Cour de cassation dans sa décision du 10 juillet 2019 (Soc. 10 juill. 2019, n° 19-40.019). Saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la compatibilité de l’interprétation jurisprudentielle constante de Haute juridiction concernant l’article L. 3253-8, 2°, du code du travail avec le principe d’égalité des citoyens devant la loi garantie par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle avait jugé :

  • « que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;
  • que l’objet de la garantie prévue au 2° de l’article L. 3253-8 du code du travail est l’avance par l’AGS des créances résultant des ruptures des contrats de travail qui interviennent pour les besoins de la poursuite de l’activité de l’entreprise, du maintien de l’emploi et de l’apurement du passif ; que tel est le cas des ruptures à l’initiative de l’administrateur judiciaire ou du mandataire liquidateur ou de l’employeur le cas échéant, intervenues au cours des périodes visées à cet article ; que les dispositions en cause telles qu’interprétées de façon constante par la Cour de cassation, excluant la garantie de l’AGS pour les ruptures de contrat ne découlant pas de l’initiative de l’administrateur judiciaire ou du mandataire liquidateur ou de l’employeur le cas échéant, instituent une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi ;
  • d’où il suit que la question posée ne présente pas un caractère sérieux et qu’il n’y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ».

En raison du débat existant entre la lettre et l’esprit de l’article L. 3253-8, 2°, du code du travail, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, par arrêts du 24 février 2023, a saisi la Cour de justice de l’Union Européenne de quatre questions préjudicielles rédigées dans les termes suivants : (i) La directive [2008/94/CE] peut-elle être interprétée en ce qu’elle permet d’exclure la prise en charge par l’institution de garantie des dédommagements pour cessation de la relation de travail lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, (ii) une telle interprétation est-elle conforme au texte et à la finalité de cette directive et permet-elle d’atteindre les résultats visés par celle-ci (iii) Une telle interprétation, fondée sur l’auteur de la rupture du contrat de travail pendant la période d’insolvabilité, emporte-t-elle une différence de traitement entre les salariés, (iv) Une telle différence de traitement, si elle existe, est-elle objectivement justifiée ?

La réponse à ces questions a été rendue dans l’arrêt du 22 février 2024 de la Cour de justice (CJUE 22 févr. 2024, aff. C-125/23, D. 2024. 356 ) qui a jugé que la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’une réglementation nationale ne permette la couverture des créances impayées par l’institution de garantie (en France l’AGS) que des travailleurs salariés dont le contrat de travail a été rompu à l’initiative de l’administrateur judiciaire, du mandataire liquidateur ou de l’employeur concerné. En d’autres termes, une réglementation nationale ne peut pour la Cour de justice exclure de la couverture de la garantie minimale, les créances impayées issues des situations de prise d’acte de la rupture par le salarié, en raison de manquements suffisamment graves de son employeur, lorsqu’une juridiction nationale a jugé cette prise d’acte justifiée. Une telle distinction est jugée par la Cour de justice contraire au principe d’égalité de traitement et à la finalité sociale de la directive précitée qui est de garantir à tous les salariés un minimum de protection au niveau de l’Union en cas d’insolvabilité de l’employeur par le paiement des créances impayés résultant de contrats ou de relations de travail.

C’est dans ce contexte qu’interviennent les deux arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation du 8 janvier 2025.

Solutions des arrêts du 8 janvier 2025. – Dans ses deux arrêts du 8 janvier 2025, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence concernant l’étendue de la garantie AGS, prenant acte de la position de la Cour de justice :

  • le premier arrêt porte sur l’application de la couverture AGS aux créances impayées résultant de la prise d’acte de la rupture par le salarié en raison de manquements suffisamment graves de son employeur intervenus pendant l’une des périodes mentionnées à l’article L. 3253-8, 2°, du code du travail. En se fondant sur l’arrêt de la Cour de justice du 22 février 2024, la Haute juridiction opère un revirement et juge que l’AGS doit couvrir les créances impayées dans une telle situation.
  • dans le second arrêt du 8 janvier 2025, la Cour de cassation étend les principes développés par la Cour de justice à la résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée par la juridiction prud’homale en raison des manquements de l’employeur, opérant un nouveau revirement. Elle énonce : « qu’il y a lieu de juger désormais que l’assurance mentionnée à l’article L. 3253-6 du code du travail couvre les créances impayées résultant de la rupture d’un contrat de travail, lorsque le salarié obtient la résiliation judiciaire de celui-ci en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat et que la rupture intervient pendant l’une des périodes visées à l’article L. 3253-8, 2°, du même code ».

Ces arrêts transposent donc en droit français la position de la Cour de justice, et actent l’extension de la couverture de l’AGS aux situations de prise d’acte et de résiliation judiciaire en raison des manquements de l’employeur. On peut se demander si ce revirement au-delà de ces situations remettra en question la position retenue en cas de départ en retraite du salarié (Soc. 20 avr. 2005, n° 02-47.063, RJS 7/2005, n° 743). On peut penser que tel ne sera pas le cas, la CJUE insistant dans son arrêt sur le fait que : « les travailleurs qui prennent acte de la rupture de leur contrat de travail se trouvent dans une situation comparable à celle dans laquelle se trouvent les travailleurs dont les contrats ont pris fin à l’initiative de l’administrateur judiciaire, du mandataire liquidateur ou de l’employeur concerné ». Le raisonnement de la Cour de justice est, comme l’a jugé la Cour de cassation, transposable à la résiliation judiciaire, mais il n’y a pas d’évidence concernant son extension au départ à la retraite qui résulte bien de la volonté du salarié.

 

Soc. 8 janv. 2025, FS-B, n° 20-18.484

Soc. 8 janv. 2025, FS-B, n° 23-11.417

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