Garantie autonome et recours du donneur d’ordre : pas de nécessité d’un remboursement préalable après paiement

Dans un arrêt rendu le 14 juin 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation précise qu’après paiement d’une garantie autonome, le donneur d’ordre est recevable à exercer son recours contre le bénéficiaire pour avoir perçu indûment les sommes réglées sans justifier du remboursement préalable du garant.

Les arrêts rendus par la Cour de cassation au sujet du droit applicable aux garanties autonomes ne sont pas nombreux à être publiés au Bulletin. Sûreté très appréciée du monde des affaires, la garantie à première demande n’en reste pas moins subtile et demande parfois à la pratique une certaine interprétation des règles la régissant. L’arrêt rendu le 14 juin 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation permet d’approfondir la question du recours du donneur d’ordre contre le bénéficiaire afin de faire juger que celui-ci a perçu indûment le montant de la garantie. Ceci suppose une situation assez courante, par exemple dans laquelle une société-mère est le garant autonome d’une de ses filiales. Rappelons donc les faits pour comprendre comment le problème s’est posé.

À l’origine de l’affaire ayant donné au lieu au pourvoi, on retrouve deux sociétés ayant conclu un contrat de location-gérance d’un fonds de commerce d’hôtel-restaurant-bar. Le 10 avril 2007, une garantie à première demande est consentie à la société propriétaire de l’hôtel par la société mère du preneur en cas de défaillance du règlement des sommes dues au titre de la location-gérance. Le preneur ne renouvelle pas le contrat et le propriétaire de l’hôtel constate une non-remise en état des lieux, mais également une certaine perte de valeur du fonds de commerce exploité. Elle assigne donc la société mère en exécution de la garantie. Un arrêt du 26 septembre 2017 a condamné la société garante à payer au propriétaire la somme de 611 187,40 €. Le 25 janvier 2017, la société donneuse d’ordre décide d’assigner son cocontractant en demandant remboursement des sommes versées en soutenant que les conditions de mise en œuvre de la garantie n’étaient pas réunies. En appel, les juges du fond considèrent l’action recevable. La société venant aux droits du preneur se pourvoit en cassation en estimant que le donneur d’ordre doit s’être appauvri en remboursant au garant les sommes réglées par ce dernier au bénéficiaire d’une part et que la société venant aux droits du preneur n’avait ni qualité ni intérêt à agir faute d’avoir payé personnellement la somme due.

La chambre commerciale rejette le pourvoi aux motifs qu’« après paiement d’une garantie (ou contre-garantie) autonome, le donneur d’ordre est recevable à exercer un recours contre le bénéficiaire pour faire juger que celui-ci a perçu indûment le montant de la garantie, sans avoir à justifier du remboursement préalable du garant ». Une telle solution signe le désintérêt pour le remboursement préalable du garant permettant une prédominance du critère du paiement de la garantie autonome et ce dans l’esprit de cette sûreté personnelle très originale.

Le critère écarté : le remboursement par le donneur d’ordre

La question centrale autour de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 14 juin 2023 réside dans une difficulté qui n’avait pour l’heure pas été réglée de manière aussi directe. Le donneur d’ordre doit-il nécessairement prouver le remboursement préalable du garant ? On comprend la source de la difficulté dans le contexte même de la sûreté consentie, le garant paie alors même qu’il n’est pas dans le lien contractuel garanti puisqu’il s’agissait de la société mère du preneur, en l’occurrence. La question du remboursement préalable peut alors poser difficulté pour s’assurer que le donneur d’ordre peut exercer son recours afin d’obtenir remboursement quand le montant de la garanti a été perçu indûment. En somme, c’est une question de recevabilité que le demandeur au pourvoi avançait.

La chambre commerciale signe un certain désintérêt pour ce remboursement préalable. La décision se comprend sous l’angle du lien d’instance considéré entre la société propriétaire de l’hôtel et la société preneuse de la location-gérance. Cette situation est étrangère aux rapports entre le donneur d’ordre et le garant. S’il faut relativiser ce constat, ce serait sous l’angle de la recevabilité de la demande qui était au cœur de la discussion et qui aurait conduit à ce que la société preneuse ne puisse pas exercer de recours tant qu’elle n’aurait pas remboursé à sa société-mère la somme avancée faute de qualité à agir.

En 2006, M. Legeais notait, à propos d’un arrêt du 4 juillet 2006 (Com. 4 juill. 2006, n° 04-19.577, D. 2006. 2097, obs. X. Delpech  ; RTD com. 2006. 901, obs. D. Legeais ), qu’« il importe peu que le remboursement du contre-garant ne soit pas encore intervenu dès lors qu’il est inévitable » (D. Legeais, Garantie autonomes. Recours du garant et du donneur d’ordre en cas d’inexécution du contrat de base par la faute du bénéficiaire postérieurement à l’appel de la garantie, RTD com. 2006. 901 ) signant que sans être encore très clairement précisée, la solution pouvait commencer à se dessiner assez subtilement. Il n’en reste pas moins qu’un arrêt publié au Bulletin le signalant expressément mérite d’être souligné.

La décision mérite d’être approuvée également en ce qu’elle fait prédominer le critère du paiement.

Le critère opératoire : le paiement de la garantie

Dans l’arrêt rendu le 14 juin 2023, le seul critère opératoire reste donc le paiement par le garant (§ n° 4). Ce critère reste évidemment très difficile à combattre puisque sans paiement, l’action du donneur d’ordre n’aurait aucun fondement juridique. Cette prédominance d’un facteur (le paiement) sur l’autre (le remboursement préalable du garant) implique que la chambre commerciale choisit de donner à la garantie autonome toute sa puissance de sûreté déconnectée de la créance principale. Sûreté personnelle fondée sur un degré d’exigence supérieur au cautionnement personnel par rapport au garant, la garantie à première demande ne pouvait pas se satisfaire d’une autre solution en l’état pour maximiser son effet.

Ce critère opératoire permet d’autant plus d’assurer une certaine rapidité d’action dans le recours du donneur d’ordre contre le bénéficiaire quand la perception du montant n’était pas justifiée. Un tel recours doit être préservé de toute lenteur inutile étant donné l’importance de son fondement. Il s’agit ici de préserver l’intérêt même de la sûreté fondée sur des impératifs de rapidité et de respecter de son esprit, à savoir de régler immédiatement et de discuter postérieurement. Si l’appel est injustifié, l’enrichissement procuré au bénéficiaire l’est tout autant expliquant la proximité avec une répétition de l’indu (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 316, n° 318).

Voici donc un arrêt qui pourra rassurer les sociétés mères qui viennent apporter un concours à leur filiale par le biais d’une garantie autonome. Le donneur d’ordre n’a pas à justifier du remboursement préalable du garant pour agir envers le bénéficiaire quand le montant de la garantie a été indûment perçu. Ceci permettra d’assurer une bonne fluidité du recours dès lors que la garantie a été payée. En ce sens, cet arrêt mérite donc d’être pleinement approuvé.

 

© Lefebvre Dalloz