Garantie du droit de réaliser une contre-expertise sanguine aux conducteurs testés positifs aux stupéfiants à la suite d’un prélèvement salivaire

Le fait, pour un conducteur, de s’être réservé la possibilité de demander un examen technique ou une expertise à la suite du prélèvement salivaire effectué en vue d’établir s’il avait fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants doit lui garantir le droit de bénéficier d’une telle mesure, quand bien même il n’aurait pas sollicité cette contre-expertise à la suite de la notification du résultat de l’analyse salivaire.

Le résultat positif d’un prélèvement salivaire doit toujours être vérifié. Longtemps, ces vérifications supposaient exclusivement la réalisation d’un test sanguin dans la mesure où l’article L. 235-1 du code de la route incriminait le fait de conduire un véhicule alors qu’il résultait d’une analyse sanguine que l’intéressé avait fait usage de stupéfiants. Désormais, et depuis la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, l’article L. 235-1 incrimine le fait de conduire un véhicule alors qu’il résulte d’une analyse sanguine, ou salivaire, que la personne a fait usage de stupéfiants. Partant, les vérifications peuvent être réalisées par une analyse salivaire (cela étant précisé par les dispositions du décr. n° 2016-1152 du 24 août 2016). Toutefois, cette possibilité n’annihile pas le droit du conducteur qui se réserve la possibilité de demander une contre-expertise sanguine de bénéficier d’une telle mesure.

Contexte de l’affaire

En l’espèce, un conducteur a fait l’objet d’un dépistage salivaire de produits stupéfiants qui s’est révélé positif au cannabis. Ce résultat a par la suite été vérifié et confirmé par une analyse toxicologique du prélèvement de sa salive. L’intéressé a alors été poursuivi et condamné pour conduite après usage de stupéfiants, en première instance ainsi qu’en appel, à six mois de suspension du permis de conduire.

Le conducteur s’est alors pourvu en cassation et faisait valoir que la cour d’appel avait violé les articles R. 235-6 et R. 235-11 du code de la route. Pour cause, les juges du fond avaient rejeté l’exception de nullité du dépistage de produits stupéfiants présentée par le prévenu, alors qu’il arguait d’un grief résultant de la privation de toute possibilité de réaliser une contre-expertise sanguine.

Accueillant l’argument présenté par l’intéressé, la chambre criminelle a cassé la décision critiquée au visa des articles R. 235-6, R. 235-11, L. 235-2 et R. 235-5 du code de la route.

En effet, ces textes impliquent, dans les cas où un prélèvement salivaire est effectué par un officier ou agent de police judiciaire en vue d’établir si le conducteur d’un véhicule a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants, l’obligation de demander au conducteur s’il souhaite se réserver la possibilité de solliciter un examen technique ou une expertise. En cas de réponse positive, un prélèvement sanguin doit être réalisé dans le plus court délai. Or, en l’espèce, les juges du fond ont retenu que le prévenu ne pouvait tirer aucun grief de cette carence dans la mesure où il n’avait pas sollicité cette contre-expertise dans les cinq jours suivant la notification du résultat de l’analyse salivaire.

Seulement, le conducteur s’était réservé la possibilité de demander un examen technique ou une expertise à la suite de son prélèvement salivaire. Dès lors, l’absence de prélèvement sanguin a fait obstacle à la réalisation d’une telle mesure, de telle sorte que ses droits ont été irrémédiablement compromis. La chambre criminelle retient ainsi que la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.

L’interprétation protectrice des dispositions du code de la route

L’article R. 235-6 du code de la route prévoit qu’à la suite du prélèvement salivaire, « l’officier ou l’agent de police judiciaire demande au conducteur s’il souhaite se réserver la possibilité de demander l’examen technique ou l’expertise [sanguine] prévus par l’article R. 235-11. Si la réponse est positive, il est procédé dans le plus court délai possible à un prélèvement sanguin ».

La lettre de cette disposition semble garantir le droit de bénéficier d’une contre-expertise sanguine aux intéressés qui se sont réservé la possibilité d’effectuer une telle mesure. En effet, il y est indiqué qu’en cas de demande, il est procédé dans le plus court délai possible à un prélèvement sanguin. Cet article ne pose pas d’autre condition que celle de se réserver la possibilité de demander une telle expertise. En l’espèce, il semblerait que cette disposition ait été lue isolément et interprétée strictement par la chambre criminelle.

Toutefois, celle-ci doit être lue en complément de l’article R. 235-11 en ce qu’il précise, depuis le décret du 24 août 2016 précité, qu’une telle demande doit intervenir dans un délai de cinq jours à compter de la notification au conducteur des résultats de l’analyse de son prélèvement salivaire ou sanguin (ce délai doit être notifié à l’individu, étant précisé que l’absence de notification n’a pas de conséquence sur la validité de la procédure lorsque les juges ont sollicité un supplément d’information afin d’obtenir les résultats de l’analyse du second flacon, Angers, 2 juin 2020, Dr. pénal 2021. Chron. 8, obs. Gauvin). Une condition est ici ajoutée à celle de l’article R. 235-6 puisqu’il est attendu que l’intéressé formule sa demande postérieurement à la notification des résultats du test de vérification, dans un délai de cinq jours à compter de cette notification, à condition qu’il s’en soit réservé la possibilité. Dès lors, le fait de s’être réservé la possibilité de solliciter une contre-expertise à l’issue du prélèvement salivaire ne devient qu’un prérequis, qu’une condition préalable nécessaire à la demande qui sera formulée postérieurement.

Ce n’est pourtant pas ce qu’a jugé la chambre criminelle, qui, comme le Conseil d’État, a retenu que le fait de ne pas prendre en compte le souhait exprimé au moment du prélèvement salivaire est de nature à entacher la régularité de la procédure engagée à l’encontre du conducteur (CE 21 nov. 2023, n° 467841 B, Ministre de l’Intérieur et des outre-mer, Lebon ). En revanche, il convient de préciser dans ces cas qu’une telle circonstance ne saurait autoriser l’intéressé à se prévaloir, pour contester les résultats du prélèvement salivaire, des résultats d’une expertise réalisée de sa propre initiative, en-dehors de la procédure organisée par l’article R. 235-11 (même arrêt).

Une telle solution préserve ainsi l’effectivité du droit de bénéficier d’une contre-expertise sanguine.

Une solution préservant le droit de bénéficier d’une contre-expertise sanguine

En l’espèce, les juges du fond ont retenu que le prévenu ne pouvait tirer aucun grief de l’absence de prélèvement sanguin dans la mesure où il n’avait pas sollicité cette contre-expertise dans les cinq jours suivant la notification du résultat de l’analyse salivaire. Seulement, ce dernier s’était réservé le droit de solliciter une telle expertise et n’a pas été mis en mesure de la réaliser, alors que l’article R. 235-6 prévoit que dans ces cas, « il est procédé dans le plus court délai possible à un prélèvement sanguin ».

Cette irrégularité a ainsi occasionné un préjudice au requérant, lequel ne résulte pas de sa seule mise en cause par l’acte critiqué (Crim. 7 sept. 2021, nos 20-87.191 et 21-80.642, Dalloz actualité, 28 sept. 2021, obs. M. Recotillet ; D. 2022. 1487, obs. J.-B. Perrier ; AJ pénal 2021. 527, note G. Candela ; RSC 2022. 94, obs. P.-J. Delage ; ibid. 439, obs. E. Rubi-Cavagna ; JCP 2021. 1161, note H. Matsopoulou ), mais réside dans la privation de son droit de bénéficier d’une contre-expertise sanguine. L’intéressé avait dès lors tout intérêt à agir en nullité puisque l’annulation de l’opération du dépistage salivaire aurait entraîné l’annulation des actes et pièces ayant eu pour support nécessaire l’acte vicié (Crim. 25 janv. 2023, n° 22-83.804, AJ pénal 2023. 141, obs. J.-P. Céré ).

Dans la mesure où les actes et pièces annulés sont retirés du dossier, il ne restera que peu d’éléments permettant de condamner l’individu qui aurait dû bénéficier d’un prélèvement sanguin, effectué par un médecin ou un étudiant en médecine autorisé à exercer à titre de remplaçant, ou encore, depuis le décret n° 2024-258 du 10 juin 2024, par un interne en médecine ou un infirmier que l’officier ou l’agent de police judiciaire doit assister.

 

Crim. 15 oct. 2024, F-B, n° 24-80.611

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