Garde à vue : l’obligation pour les enquêteurs d’indiquer dans leur procès-verbal l’heure de l’avis à parquet
Afin de s’assurer du respect de l’obligation pour l’officier de police judiciaire d’aviser le procureur de la République « dès le début de la mesure » du placement de la personne en garde à vue, prévue au deuxième alinéa de l’article 63 du code de procédure pénale, celui-là doit indiquer dans le procès-verbal qu’il dresse l’heure à laquelle il a donné ledit avis.
Au fil des réformes, parce qu’il s’agit d’une mesure de police judiciaire privative de liberté et que le droit français se doit d’être en conformité par rapport au droit européen, le législateur ne cesse de renforcer l’encadrement du recours à la garde à vue. En ce sens, il suffit d’évoquer le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière [notamment] de droit pénal, actuellement en discussion devant l’Assemblée nationale. La Cour de cassation, animée du même esprit, se montre toujours plus exigeante quant au respect des textes par les enquêteurs et les autorités judiciaires. L’arrêt commenté en est une bonne illustration.
En l’espèce, dans le cadre d’une enquête, un individu a été placé en garde à vue. À la suite de cette mesure, il a été poursuivi pour différents délits et pour une contravention connexe.
Devant les juges du fond, le prévenu a soulevé plusieurs exceptions de nullité. L’une d’entre elles était relative au caractère tardif de l’avis adressé au procureur de la République lors de la garde à vue dont il avait fait l’objet. À cet égard, il a relevé qu’il ressortait des pièces du dossier que le parquet avait été immédiatement informé de son placement en garde à vue, sans que l’heure de l’avis ait été précisée. Il en a déduit que les dispositions du deuxième alinéa de l’article 63 du code de procédure pénale, selon lesquelles, « dès le début de la mesure », l’officier de police judiciaire informe le procureur du placement de la personne en garde à vue, n’avaient pas été respectées.
La cour d’appel saisie a, entre autres, rejeté le moyen de nullité suscité, confirmant sur ce point les juges de première instance. Elle les a aussi suivis concernant la culpabilité du mis en cause pour les infractions pour lesquelles il était poursuivi, à l’exception d’une ; et elle s’est prononcée sur la peine. L’intéressé s’est alors pourvu en cassation.
La question posée à la chambre criminelle était la suivante : l’obligation pour l’officier de police judiciaire d’aviser le procureur de la République « dès le début de la mesure » du placement de la personne en garde à vue, prévue à l’article 63, alinéa 2, du code de procédure pénale, peut-elle être considérée comme respectée lorsque le procès-verbal dressé par lui n’indique pas l’heure à laquelle il a donné ledit avis ? La Haute juridiction a répondu par la négative et a cassé l’arrêt attaqué.
D’une recommandation à une obligation
Plus précisément, dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation a rappelé qu’il résulte du deuxième alinéa de l’article 63 du code de procédure pénale que « l’officier de police judiciaire, qui, pour les nécessités de l’enquête, place une personne en garde à vue, doit aviser le procureur de la République dès le début de cette mesure et l’informer des motifs et de la qualification des faits notifiés à la personne ». La Cour a également précisé que, conformément à sa jurisprudence, « tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief aux intérêts de ladite personne ».
C’est depuis le début des années 2000 (Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, JO 16 juin) que l’article 63 précité dispose que le procureur de la République doit être avisé « dès le début de la mesure » de garde à vue. Auparavant, l’article envisageait que le parquet devait l’être « dans les meilleurs délais » (Loi n° 93-1013 du 24 août 1993 modifiant la loi n° 93-2 du 4 janv. 1993 portant réforme de la procédure pénale, JO 25 août). De cette modification terminologique, la Cour régulatrice en a déduit que seule une « circonstance insurmontable » peut justifier le retard pris dans l’information du procureur (Crim. 25 juill. 2001, n° 01-83.864, inédit). En outre, cette modification a donné lieu à une recommandation du garde des Sceaux, ministre de la Justice (Circ. JUSD0030205C du 4 déc. 2000, Présentation des dispositions de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes concernant la garde à vue et l’enquête de police judiciaire, BOMJ du 31 déc. 2000, n° I.1.2), et de la doctrine (J.-Cl. Pr. pén., v° Garde à vue, art. 53 à 73, par J. Leroy, fasc. 30, § 89) à l’officier de police judiciaire, celle de mentionner dans le procès-verbal qu’il dresse l’heure à laquelle le parquet a été avisé. Il ne s’agissait là que d’un conseil, car dans différents arrêts, la chambre criminelle a admis que les exigences de l’article 63 du code de procédure pénale avaient été respectées, alors que le procès-verbal dressé par les enquêteurs indiquait seulement que le procureur de la République avait été informé « immédiatement » (Crim. 9 nov. 2010, n° 10-85.278, inédit), « de […] suite » (Crim. 6 oct. 2010, n° 10-84.311, inédit) ou encore « dès le début de la mesure » (Crim. 15 mars 2011, n° 09-88.083, inédit).
Au sein de l’arrêt analysé, en considérant que « faute d’indiquer l’heure à laquelle a été adressé l’avis contesté, le procès-verbal dressé par l’officier de police judiciaire n’établit pas que le procureur de la République a été informé du placement en garde à vue de [l’intéressé] dès le début de cette mesure », la Cour de cassation a fait de la recommandation précédemment évoquée une obligation. La solution peut s’expliquer par la nécessité, à la lecture de la jurisprudence de la Cour, d’opérer un contrôle à la minute près, afin de s’assurer que l’avis au parquet a été donné « dès le début de la mesure ». Si, sauf circonstances insurmontables, l’information a été adressée dans un délai de trente minutes (Crim. 20 déc. 2017, n° 17-84.017 P, Dalloz actualité, 15 janv. 2018, obs. D. Goetz ; D. 2018. 1664, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire
; Dr. pénal 2018. Chron. 8, obs. V. Lesclous ; Procédures 2018. Comm. 90, obs. A.-S. Chavent-Leclère) ou moins (Crim. 6 févr. 2018, n° 17-84.700, inédit) à partir du début de la garde à vue, les textes ont bien été respectés selon la chambre criminelle ; ce qui n’est pas le cas si elle a été donnée après l’écoulement d’un délai de trente-cinq minutes (si nous retenons une interprétation a contrario de Crim. 12 janv. 2021, n° 20-82.600, inédit) ou plus (Crim. 24 mai 2016, n° 16-80.564 P, Dalloz actualité, 17 juin 2016, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2016. 1597, chron. B. Laurent, L. Ascensi, E. Pichon et G. Guého
; JCP 2016. 1190, obs. J.-B. Perrier ; Dr. pénal 2016. Chron. 8, obs. V. Lesclous ; Procédures 2016. Comm. 269, obs. A.-S. Chavent-Leclère).
D’importantes répercussions
En faisant peser sur les enquêteurs l’obligation d’indiquer dans leur procès-verbal l’heure à laquelle l’avis relatif au placement en garde à vue d’une personne a été adressé au parquet, la Cour régulatrice ajoute à l’article 63 du code de procédure pénale une exigence non prévue par ce texte qui risque d’avoir d’importantes répercussions concrètes. En effet, il n’est pas rare que l’officier de police judiciaire, après avoir informé le procureur de la République du placement en garde à vue de l’intéressé, se contente d’indiquer la mention suivante dans le procès-verbal qu’il dresse : « Avisons immédiatement [nom d’un magistrat du parquet compétent] de la mesure. »
Désormais, une telle pratique pourra en principe conduire à l’annulation de la garde à vue, dont les auditions réalisées, ainsi que des actes subséquents. Le prononcé de l’annulation ne sera pas difficile à obtenir puisqu’il n’est pas conditionné à la preuve ni même l’allégation d’un quelconque grief, celui-ci étant présumé.
Par ailleurs, la nouvelle obligation ne devrait pas uniquement concerner l’information du procureur de la République pour les gardes à vue se déroulant lors d’une enquête de flagrance ou préliminaire (C. pr. pén., art. 77), mais aussi celle du juge d’instruction lorsque la mesure a lieu au cours d’une information judiciaire (C. pr. pén., art. 154). Elle pourrait même valoir chaque fois que le code de procédure pénale emploie une formule imposant aux enquêteurs de délivrer rapidement, sans délai, une information. À titre d’illustration, il pourrait en être ainsi de l’ensemble des informations que l’officier de police judiciaire doit « immédiatement » donner à la personne placée en garde à vue selon l’article 63-1 du code de procédure pénale, c’est-à-dire notamment les faits qui lui sont rapprochés, les motifs de son placement en garde à vue ou les droits dont elle dispose.
Toutefois, la nouvelle exigence imposée aux enquêteurs ne devrait pas s’appliquer dans quelques cas particuliers, à savoir ceux pour lesquels la Haute juridiction les dispense d’aviser le parquet du placement en garde à vue. Par exemple, lorsque le procureur de la République était présent sur les lieux de l’interpellation de l’intéressé (Crim. 15 mars 2016, n° 15-86.023, inédit, Dr. pénal 2016. Chron. 8, obs. V. Lesclous) ou lorsqu’il a ordonné le placement en garde à vue (Crim. 22 mai 2016, n° 18-83.054, inédit).
Crim. 6 mars 2024, F-B, n° 22-80.895
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