Google face à la justice américaine : le démantèlement aura-t-il lieu ?
Le démantèlement des GAFAM est l'un des chevaux de bataille du ministère de la Justice américain (DOJ) depuis maintenant plusieurs années. Après plusieurs tentatives infructueuses, la DOJ ne faiblit pas et vient d'engager une procédure en droit de la concurrence à l'encontre de Google, dans l'espoir de démanteler l'entreprise et pouvoir libérer le marché.
 
                            Les géants du numérique font régulièrement l'objet d'enquêtes concernant leurs pratiques (anti)concurentielles. L'Union européenne s'était déjà penchée sur le cas de Google en 2021 en lançant une enquête visant la publicité en ligne de Google, et plus particulièrement sa position sur le marché et ses rapports vis-à-vis de ses concurrents1. Entre-temps, le Digital Markets Act a été adopté pour réguler la concurrence et le Digital Services Act pour réguler la transparence de la publicité en ligne2. Outre-Atlantique, il s'agit du cinquième procès depuis 2020 porté contre Google et ses pratiques3, les États-Unis s'en remettent à la justice au fondement de textes de lois datant respectivement de 1890 et 19144. Les divergences entre les partis républicain et démocrate ne permettant pas d'assurer le vote d'une nouvelle loi visant expressément la concurrence exercée par les GAFAM. Dans le viseur du gouvernement américain, le monopole exercé par Google sur les technologies permettant la publicité en ligne en écrasant tout concurrent qui croiserait son chemin. Si les efforts du gouvernement américain s'avèrent fructueux, Google devrait probablement devoir se séparer de ses activités concernant la publicité en ligne.
Google et le monopole des technologies de publicité
Le ministère de la Justice américain (DOJ) a lancé une procédure de démantèlement contre Google pour le monopole que celui-ci exerce sur les technologies de publicité. La plainte relève que depuis maintenant quinze ans, Google utilise des pratiques anticoncurrentielles et annihile toute compétition. La DOJ reproche à Google l'acquisition de ses compétiteurs, d'avoir forcé l'adoption des outils Google en ne laissant pas d'autre alternative aux éditeurs de sites internet, en déformant les enchères concurrentielles et manipulant des enchères. Ce faisant, les éditeurs n'avaient d'autres choix que d'utiliser les produits Google et le géant américain a «Â cimenté » sa position dominante pour les outils utilisés pour générer de la publicité en ligne5. En effet, Google a créé un outil deux en un «Â Google Ad Manager », consistant en un serveur permettant la vente d'espaces publicitaires mais également un système d'échange d'annonces : les deux sont liés et ne peuvent être utilisés indépendamment l'un de l'autre et ont généré des revenus de 31,7 milliards de dollars en 20216.
De son côté, Google argumente qu'il n'est pas seul sur ce marché et que des concurrents existent, citant notamment Amazon, TikTok et Hulu et que les outils de publicité en ligne représentent du «Â mix and match » plutôt que des outils exclusifs appartenant à une entité unique. Le Washington Post semble sceptique quant aux chances de réussite du ministère dans cette affaire7. Le quotidien américain soulève plusieurs points, notamment que, si Google incite à utiliser ses produits, cette pratique n'est pas considérée comme illégale par la jurisprudence. Au demeurant, Google ne force pas les publicitaires et éditeurs à utiliser ses produits. Le défi que doit relever le ministère de la Justice est de prouver que cette place occupée sur le marché et les pratiques afférentes sont la cause d'un marché biaisé. Le journal relève que, si le ministère pourrait avoir un impact sur certaines pratiques, convaincre le juge que cela doit mener à un démantèlement ne sera pas une mince affaire. La conclusion serait que ces procès répétés contre les géants du numérique sont rassurants puisqu'une telle «Â concentration de pouvoir entre les mains d'une seule entreprise est dangereux », toutefois la réponse ne viendrait pas de la décision des juges mais bien du pouvoir législatif8.
Cette plainte au sujet de la position dominante de Google n'est pas la seule à laquelle l'entreprise de Mountain View doit faire face. Une affaire similaire est en cours devant les juridictions new-yorkaises, portée par le ministère de la Justice et les avocats généraux de seize États, également pour les pratiques anticoncurrentielles de Google quant aux outils de publicité en ligne9.
L'enjeu est de taille puisqu'il permettrait notamment de découvrir comment le Sherman Antitrust Act, loi encadrant les pratiques anticoncurrentielles s'appliquerait aux entreprises des nouvelles technologies10.
Le ministère de la Justice américain et les GAFAM : une relation complexe
L'affaire Google est porteuse d'espoir pour la DOJ et l'autorité de la concurrence américaine (Federal Trade Commission) qui, malgré des échecs, n'abandonnent pas leur lutte contre les GAFAM et leurs pratiques anticoncurrentielles. Les démantèlements existent dans la jurisprudence américaine, notamment des grands groupes comme l'American Tobacco et la Standard Oil en 1911 ou, plus récemment, AT&T en 1984 – ces arrêts sont des cas d'école dans l'enseignement du droit de la concurrence américain. Le dernier échec essuyé est celui de l'autorité de la concurrence (FTC), qui avait tenté de bloquer l'acquisition par Meta d'une start-up de réalité virtuelle. Début février, le tribunal fédéral de San Jose n'a pas répondu favorablement à sa demande. En revanche, le procès porté par la FTC contre Facebook pour que l'entreprise se détache de ses filiales Instagram et WhatsApp est toujours en cours, marquant une première réelle attaque plutôt qu'une attitude généralement conciliante11. Les GAFAM sont les rois du royaume du numérique et la place qu'ils occupent sur le marché n'est plus à démontrer. Ces entreprises n'hésitent pas à décourager l'investissement dans des start-up essayant de s'insérer sur ce marché et à utiliser des «Â stratégies agressives » pour maintenir leur position dominante – quasi monopolistique12. Au-delà des pratiques anticoncurrentielles reprochées, les critiques que subissent les GAFAM concernent également les conséquences de leurs activités sur la démocratie : le scandale Cambridge Analytica pour Facebook, les accusations contre Google de partager ses innovations avec l'armée chinoise, les relations avec les autorités de renseignement rendues publiques par Edward Snowden, etc.13 Le scepticisme est de mise s'agissant du démantèlement des GAFAM, les tentatives se multiplient du côté de la DOJ et l'autorité de la concurrence (FTC) depuis fin 202014. La question qui se pose dès lors est de savoir si cette guerre engagée est un effet d'annonce ou une véritable bataille – contre Google entre autres – que la DOJ compte bien, cette fois, remporter. Charles Thibout souligne la relation d'interdépendance de l'État américain à ces géants du numérique : «Â la relation d'interdépendance entre les GAFAM et l'État fédéral est telle qu'il y a fort à parier que cette passion régulatrice ne sera qu'un feu follet. Assimiler la relation État-GAFAM à un antagonisme confine au non-sens ; tous deux participent activement à la définition et à la mise en œuvre des politiques publiques américaines »15. À la fin des années 1990, la justice américaine avait ordonné le démantèlement de Microsoft au regard des abus de sa position monopolistique mais la politique s'y est immiscée, débouchant sur un accord entre l'entreprise et la DOJ à l'arrivée de Bush au pouvoir en 200116.
Finalement, le démantèlement des GAFAM est un sujet revenant souvent sur la table outre-Atlantique, et l'Union européenne n'est pas en reste avec l'adoption de deux règlements : le Digital Markets Act et le Digital Services Act. Néanmoins, il est clair que l'affaire est bien plus complexe qu'il n'y paraît, les conséquences d'un démantèlement n'étant pas celles nécessairement attendues. Louis Perez cite notamment le risque que les monopoles subsistent en se déportant de manière sectorielle et qu'il serait plus aisé de légiférer sur les GAFAM et le type d'entité particulière que ces entreprises représentent17. La presse américaine, citée précédemment, salue l'effort du gouvernement mais reste dubitative quant aux résultats et cela notamment par le jeu de la politique et les divergences entre Républicains et Démocrates.
Notes
1. L'UE envisage une très vaste enquête sur les activités publicitaires de Google (siecledigital.fr).
2. L. Perez, Les GAFAM : vers une régulation ou un démantèlement ?, vie-publique.fr.
3. DOJ Sues Google Over Ad Technology, The New York Times (nytimes.com).
4. Le Sherman Antitrust Act de 1890 complété par le Clayton Act en 1914.
5. Justice Department Sues Google for Monopolizing Digital Advertising Technologies, OPA, Department of Justice.
6. Procès antitrust de Google : quel impact pour la publicité en ligne ? (siecledigital.fr).
7. Opinion, The DOJ's antitrust lawsuit against Google shows promise, The Washington Post.
8. Idem.
9. US Sues Google Over Ad Market in Escalation of Antitrust Fight (bloomberglaw.com).
10. DOJ's antitrust case against Google is ambitious but risky (cnbc.com).
11. Longtemps conciliants avec les Gafa, les États-Unis passent désormais à l'attaque, Les Échos.
12. C. Thibout, Démanteler les GAFAM : un jeu de dupes ?, L'ENA hors les murs, vol. 496, n° 4, 2019, p. 26-27.
13. Ibid.
14. L. Perez, art. préc.
15. C. Thibout, art. préc.
16. L. Perez, art. préc.
17. L. Perez, art. préc.
© Lefebvre Dalloz