Guichet unique : La réouverture d’Infogreffe ne résout pas tout
Face aux dysfonctionnements du guichet unique, Bercy a réouvert le 20 février dernier Infogreffe. Une décision appréciée par les entreprises mais qui ne règle pas toutes les problématiques.
« Très bonne nouvelle » pour les uns, « bouffée d’oxygène » pour les autres, la réouverture d’Infogreffe le 20 février dernier, pour pallier les dysfonctionnements du guichet unique, a été accueillie avec soulagement par les professionnels du chiffre et du droit.
« Nous avons organisé un petit déjeuner d’équipe pour fêter l’occasion », témoigne Laurianne Ricard, responsable développement en charge du service juridique et formalités de Legal2digital. Mais bien que saluée, cette décision est loin de résoudre l’ensemble des problématiques rencontrées. D’une part, car toutes les entreprises ne disposent pas des accès nécessaires, comme l’explique Eric Labonne, un ancien juriste du tribunal de commerce de Paris, qui accompagne aujourd’hui les entreprises dans leurs formalités légales : « L’utilisation d’Infogreffe, pour les modifications et radiations, implique de détenir une signature électronique qualifiée. Toutes les sociétés n’en possèdent pas. Elles doivent alors soit faire appel au service d’un mandataire, soit passer par le guichet entreprises soit utiliser les versions papiers, pour les formalités relevant de la procédure d’urgence », précise-t-il.
D’autre part, la réouverture d’Infogreffe se limite, pour l’essentiel, aux formalités modificatives et aux radiations ainsi qu’aux formalités relevant du périmètre de l’ancienne compétence des CFE des greffes (pour les sociétés civiles notamment). Les immatriculations de sociétés et les dépôts de comptes doivent eux toujours être opérés via le guichet unique qui connait encore de nombreux bugs et blocages.
Une catégorisation peu lisible
Plusieurs témoignages remontent ainsi des difficultés liées à des mauvaises catégorisations ou des paramètres manquants. « La plateforme reprend la codification de l’Insee que ce soit pour les activités des sociétés ou les adresses. Or, il existe quelques décalages entre cette codification et les pratiques juridiques des sociétés, constate Laurianne Ricard. Au niveau des adresses par exemple, le « cedex » n’existe pas, tout comme le code postal « 75116 ». Afin d’éviter un blocage, je saisis une adresse incomplète ou partiellement erronée, et ajoute les éléments manquants dans les observations ou compléments de localisation. »
Des communes ont également été oubliées, empêchant certaines démarches. « Dans le cadre de notre activité, nous assurons la maitrise d’ouvrage de nombreuses constructions immobilières. Nous créons une société pour chacune d’entre elles ce qui nous conduit à assurer de nombreuses formalités déclaratives, témoigne Marie Ollivaud, directrice juridique en charge du département affaires du groupe Realités. La procédure implique de renseigner des informations sur le bénéficiaire effectif de la société. Or, ce dernier est né dans une commune inconnue du guichet unique ce qui a paralysé la déclaration d’une quinzaine de sociétés pendant plusieurs semaines. » Le problème a fini par être résolu fin février après plusieurs appels.
Une information défaillante entre la plateforme et les greffes
Autre faille pointée du doigt, le décalage entre la validation faite par l’Insee et celle du tribunal de commerce lors de la création d’une entreprise. « Dès que le dossier est déposée sur le guichet, l’Insee attribue un numéro Siret à la société, alors même qu’elle n’existe pas encore sur le plan juridique, relève Eric Labonne. Certaines sociétés se sont ainsi retrouvées sur des bases en ligne, alors même qu’elles n’avaient pas encore été immatriculées au registre du tribunal de commerce. Cela créé des risques de fraudes avec la possibilité d’ouvrir un compte client chez un fournisseur pour une entreprise fantôme ».
Enfin, de nombreuses difficultés seraient nées d’une mauvaise communication entre le guichet unique et le système informatique des greffes. Des informations ne sont ainsi pas transmises, mettant à mal une multitude d’entreprises. « Lorsque nous déposons une formalité modificative, le guichet indique que la tâche est finalisée à 100%. Mais lorsque nous appelons le greffe du tribunal de commerce, il arrive que celui-ci déclare avoir reçu le paiement mais pas le dossier », témoigne Marie Ollivaud.
Le même problème de communication affecte les dépôts de compte. « Début mars, les comptes déposés sur le guichet unique n’étaient toujours pas transmis au greffe, note Eric Labonne. La seule alternative était de recourir à une version papier. » La situation serait en train d’être corrigée progressivement. Toutefois, si tous les juristes interrogés reconnaissent des améliorations, tout comme la pertinence du projet d’un guichet unique, ils regrettent la précipitation de sa mise en oeuvre.
« L’idée du guichet unique est bonne mais le calendrier a été bien trop ambitieux au vu de la multitude de formes juridiques et de formalités qu’il est possible d’effectuer », déplore Eric Labonne. « Nous avons la chance de travailler régulièrement avec les équipes du greffe de notre ville, et de bénéficier d’un département juridique structuré, ajoute Marie Ollivaud. Mais pour un artisan ou une TPE, ces dysfonctionnements peuvent être source de blocage et donc de risque pour l’entreprise. Pour éviter cela, l’accès à Infogreffe aurait dû être maintenu dès le départ, et ce, pour l’ensemble des formalités ». Ce dernier doit toutefois à nouveau fermer le 1er juillet, laissant moins de trois mois aux services du guichet unique pour tout déployer.
© Lefebvre Dalloz