Heures de délégation et absence de perte de salaires ou d’avantages sociaux

L’utilisation des heures de délégation ne doit entraîner aucune perte de salaire pour le représentant du personnel ou le représentant syndical. Celui-ci ne peut donc être privé du fait de l’exercice de son mandat du paiement d’une indemnité compensant une sujétion particulière de son emploi qui constitue un complément de salaire. Il ne peut toutefois pas réclamer le paiement de remboursement de frais professionnels qu’il n’a pas exposés.

Le taux de service actif attaché à l’emploi occupé par le salarié avant qu’il ne soit détaché à 100 % de son temps de travail en raison des différents mandats, syndicaux ou représentatifs, dont il est titulaire constitue un avantage social de retraite dont il ne peut être privé en raison de l’exercice de ses mandats.

Il est constant en jurisprudence que l’utilisation des heures de délégation ne doit entraîner aucune perte de salaire pour le représentant du personnel ou le représentant syndical (v. à propos des indemnités de repas dans les travaux publics, Soc. 7 nov. 2007 n° 06-41.188 ; pour des primes de panier, Soc. 10 janv. 2006, n° 03-48.032). Le champ des avantages que recouvre la notion de « perte de salaires » peut parfois prêter à interrogation. Quid des compléments de salaire, ou encore des frais professionnels ? La jurisprudence a pu apporter au fil de l’eau des éléments de balisage, que l’arrêt du 1er octobre 2025 vient prolonger tout en les confirmant.

En l’espèce, une société filiale du groupe EDF avait conclu un accord collectif « sur le parcours des salariés exerçant des mandats représentatifs et/ou syndicaux ».

La CGT a subséquemment assigné la société, la fédération CFE-CGC énergies, la fédération chimie énergie CFDT et la fédération nationale de l’énergie et des mines Force ouvrière devant le tribunal judiciaire aux fins d’annulation des dispositions des articles 2.2 et 2.3 de l’accord collectif précité, en ce qu’elles seraient illégales et discriminatoires, estimant qu’il convenait de maintenir aux salariés exerçant des mandats syndicaux ou de représentant du personnel la rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au salarié en raison de l’emploi de ce dernier.

La CGT se vit déboutée de ses demandes par les juges du fond. La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie du pourvoi, va en partie invalider le raisonnement des juges du fond en cassant l’arrêt au visa des articles L. 1132-1, L. 2141-5, L. 2142-1-3, L. 2143-17 et L. 2315-10 du code du travail.

Le périmètre de la garantie contre la perte de salaire liée à l’utilisation des heures de délégation reprécisé

L’utilisation des heures de délégation ne doit en effet entraîner aucune perte de salaire pour le représentant du personnel ou le représentant syndical. Celui-ci ne peut donc être privé du fait de l’exercice de son mandat du paiement d’une indemnité compensant une sujétion particulière de son emploi qui constitue un complément de salaire. Toutefois, le salarié ne peut pas réclamer le paiement de sommes correspondant au remboursement de frais professionnels qu’il n’a pas exposés.

Or, en l’espèce l’accord prévoyait le maintien d’indemnités compensant des charges et contraintes particulières auxquelles certains salariés sont effectivement exposés, et ne rémunérant pas des sujétions inhérentes à leur emploi (indemnité d’astreinte, prime annuelle et indemnité de service continu). La chambre sociale va considérer, dans le sillage de la cour d’appel, que ces indemnités ne constituant pas des compléments de salaire devant en principe être maintenus au bénéfice des salariés mandatés qui ne sont plus exposés à ces charges et contraintes, leur maintien au bénéfice de ces salariés, dans la limite de quatre années, à l’issue desquelles un mécanisme de compensation de perte d’indemnités est prévu pour le salarié qui souhaite poursuivre l’exercice de ses activités représentatives et/ou syndicales à 100 % ou souhaite réintégrer dans un emploi ne comportant pas de sujétions de service, constitue un dispositif plus favorable exclusif de discrimination.

La solution retenue nous rappelle sans surprise qu’il est toujours loisible de prévoir – par voie d’accord le cas échéant – un dispositif plus favorable élargissant l’assiette du maintien de la rémunération et/ou des avantages sociaux.

La nécessaire absence de privation de l’avantage social de retraite en raison de l’exercice du mandat

La cour d’appel avait par ailleurs rejeté la demande d’annulation de l’article 2.3 de l’accord (relatif aux services actifs), estimant que les salariés mandatés et détachés à 100 % n’effectuant plus d’activité pénible, ils ne pouvaient prétendre au maintien du taux de services actifs, celui-ci étant attaché à l’emploi et non au salarié. Elle a ajouté que le maintien de ce taux pendant quatre ans constituait un dispositif plus favorable pour ces salariés, excluant ainsi toute discrimination. Raisonnement que la chambre sociale va censurer à la suite d’une lecture combinée des articles L. 1132-1, L. 2141-5, L. 2142-1-3, L. 2143-17 et L. 2315-10 du code du travail.

Elle va en effet rappeler que les heures de délégation sont de plein droit considérées comme temps de travail et qu’un salarié, titulaire de mandats, ne peut être privé du fait de l’exercice de son mandat d’un avantage social attaché à son emploi ou compensant une sujétion inhérente à son emploi.

Or, l’article 2.1 « Définition des services actifs » de ce chapitre II précise que « le dispositif d’attribution de "services actifs" constitue la modalité de reconnaissance de la pénibilité physique spécifique aux IEG, les services actifs se définissant comme le constat, dans l’exercice d’un emploi, de dépenses physiques ou d’efforts d’adaptation physique de l’organisme et de leurs éventuelles conséquences physiologiques, ces efforts étant susceptibles d’avoir, par leur effet cumulatif, un impact à long terme sur la qualité de la vie ».

Analysant le dispositif spécifique prévu par la convention, la chambre sociale va en conclure que le taux de services actifs, notifié annuellement à tout salarié exerçant de façon effective les activités d’un emploi classé auparavant au niveau de l’entreprise selon la méthode de quantification déterminée au niveau de la branche, procure à ce salarié un avantage au regard de la durée minimale de service nécessaire pour partir à la retraite qui peut être réduite sous certaines conditions, de sorte que cet avantage n’a pas la nature d’un complément de salaire mais doit s’analyser en un avantage social dont le salarié ne peut être privé en raison de l’exercice de ses mandats.

Or, la cour d’appel avait ici débouté la CGT de sa demande d’annulation de l’article de l’accord litigieux, retenant que les salariés mandatés détachés à 100 % n’effectuent pas d’activité pénible répondant aux critères définis par l’accord de branche et justifiant le maintien du taux de services actifs lequel est attaché à l’emploi et non au salarié. Les juges du fond avaient identifié dans le même temps que l’accord prévoit pour les salariés mandatés détachés à 100 % un dispositif plus favorable leur permettant de conserver à titre personnel le taux de service actif associé à leur emploi d’origine pour une durée maximale de quatre ans, le taux de services actifs lors de la reprise de l’activité « métier » étant celui de l’emploi occupé.

Erreur de raisonnement pour l’éminente juridiction, le taux de service actif attaché à l’emploi occupé par le salarié avant qu’il ne soit détaché à 100 % de son temps de travail en raison des différents mandats, syndicaux ou représentatifs, dont il est titulaire constituant un avantage social de retraite dont il ne peut être privé en raison de l’exercice de ses mandats.

Les Hauts magistrats vont donc conclure qu’étaient discriminatoires en raison des activités syndicales la limitation, pour les salariés exerçant des fonctions syndicales ou représentatives pour 100 % de leur temps de travail, à une durée maximale de quatre ans du maintien du taux de services actifs associé à l’emploi d’origine de ces salariés ainsi que la suspension du bénéfice des services actifs, à l’issue de cette durée de quatre ans, et prononcer la cassation.

Cette solution confirme l’orientation esquissée par la chambre sociale en 2018 en rappelant sans ambages que l’utilisation des heures de délégation ne doit entraîner aucune perte de salaire pour le représentant du personnel ou le représentant syndical, de sorte qu’il ne peut être privé du fait de l’exercice de son mandat du paiement d’une indemnité compensant une sujétion particulière de son emploi qui constitue un complément de salaire. La chambre sociale précisait alors déjà que seules sont exclues de la rémunération due au représentant au titre des heures de délégation les sommes correspondant au remboursement de frais professionnels qu’il n’a pas exposés » (Soc. 19 sept. 2018, nos 17-11.638, 17-11-514, 17-11.715 et 16-24.041, Dalloz actualité, 16 oct. 2018, obs. J. Cortot ; D. 2018. 1868 ). L’arrêt du 1er octobre 2025 vient, pour la première fois à notre connaissance, ajouter une pierre de plus à l’édifice en incluant dans l’assiette de protection l’avantage conventionnel en matière de retraite pour carrière pénible.

 

Soc. 1er oct. 2025, FS-B, n° 23-17.765

par Loïc Malfettes, Docteur en droit, Responsable RH et juridique

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