Il faut sauver les visites douanières : feu de critiques contre l’ancien article 60 du code des douanes
Bien que l’article 60 du code des douanes ait fait l’objet d’une déclaration d’inconstitutionnalité par une décision du 22 septembre 2022, le report de l’abrogation au 1er septembre 2023 a permis la réalisation de nouvelles visites douanières avant que le législateur n’intervienne.
Selon la Cour de cassation, elles sont régulières dès lors que les agents ont constaté l’existence de raisons plausibles de soupçonner la commission ou la tentative de commission d’une infraction douanière, ou qu’ils ont opéré dans des zones et lieux présentant des risques particuliers de commission d’infractions douanières.
L’article 60 du code des douanes, dans sa rédaction issue du décret du 8 décembre 1948, constituait une parfaite illustration du caractère dérogatoire des procédures douanières. Il permettait aux agents des douanes de procéder à la visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes se trouvant sur la voie publique (Com. 12 févr. 2002, n° 99-15.899). La disposition était ancienne, et ne mentionnait pas les différentes garanties que l’on rencontre habituellement en procédure pénale depuis la fin du XXe siècle : conditions limitatives de mise en œuvre, assentiment de la personne concernée ou autorisation judiciaire. Par une décision du 22 septembre 2022 (Cons. const. 22 sept. 2022, n° 2022-1010 QPC, Dalloz actualité, 17 oct. 2022, obs. Y. Bisiou ; AJDA 2023. 195
, note J.-P. Camby et J.-E. Schoettl
; D. 2022. 1663
; RTD com. 2022. 895, obs. B. Bouloc
), le Conseil constitutionnel l’a censurée, au motif que le législateur n’avait pas assuré une conciliation équilibrée entre la recherche des auteurs d’infractions, la liberté d’aller et de venir, et le droit au respect de la vie privée. Pour éviter cette sanction, il aurait fallu limiter la mise en œuvre de ces visites douanière en ne les autorisant que dans des lieux déterminés ou en exigeant la caractérisation de raisons plausibles de soupçonner la commission d’infractions. Le Conseil constitutionnel a donc déclaré inconstitutionnel l’article 60 du code des douanes, en reportant la date d’abrogation au 1er septembre 2023. Un nouveau régime des visites douanières a été instauré par une loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023, entrée en vigueur le 20 juillet 2023.
Entre la décision du Conseil constitutionnel et la loi nouvelle, l’activité des spécialistes de la fraude ne s’est pas arrêtée ; celles des agents des agents des douanes non plus. Il ressort des affaires commentées que des fouilles de véhicules ont été réalisées sur le fondement de l’article 60 du code des douanes le 3 janvier 2023 (1re espèce), le 16 mai 2023 (2e espèce) et le 1er juillet 2023 (3e espèce). L’ambigüité autour du droit applicable à ces dates a fait naître un contentieux, dans lequel la Cour de cassation adopte une motivation particulièrement élaborée et aboutit à la conclusion que les mesures en cause ne doivent pas être annulées. La bataille juridique s’étalait sur trois fronts : les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité, le contrôle de conventionnalité du régime des visites douanières et l’exigence de démonstration d’un grief.
Les effets dans le temps de la déclaration d’inconstitutionnalité
L’article 62, alinéa 2, de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose qu’une « disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». Ce texte octroie au Conseil constitutionnel les plus larges pouvoirs en matière d’aménagement des effets dans le temps de ses décisions, et les sages de la rue de Montpensier n’hésitent pas à faire preuve de créativité en la matière (v. Rép. pén., v° Question prioritaire de constitutionnalité, par M. Guillaume, nos 446 s.). Dans sa décision du 22 septembre 2022, le Conseil a non seulement reporté l’abrogation de l’article 60 du code des douanes au 1er septembre 2023, mais il a également précisé que « les mesures prises avant la publication de la […] décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ». Par une interprétation a contrario de la décision, des mis en cause ont soutenu qu’il était possible de se prévaloir de l’inconstitutionnalité de l’article 60 du code des douanes lorsque la fouille a été réalisée après la publication de la décision du 22 septembre 2022.
Le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel n’est pas des plus habituels. En règle générale, lorsqu’il reporte l’abrogation, il précise que sa décision ne pourra pas être invoquée en raison d’une application de la disposition avant la date retenue pour l’abrogation. Ainsi, dans sa décision de 2010 relative aux gardes à vue, il a reporté l’abrogation au 1er juillet 2011 en précisant que les gardes à vue réalisées avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne pouvaient être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité (Cons. const. 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, Dalloz actualité, 30 août 2010, obs. S. Lavric ; AJDA 2010. 1556
; D. 2010. 1928, entretien C. Charrière-Bournazel
; ibid. 1949, point de vue P. Cassia
; ibid. 2254, obs. J. Pradel
; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud
; ibid. 2783, chron. J. Pradel
; ibid. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay
; AJ pénal 2010. 470, étude J.-B. Perrier
; Constitutions 2010. 571, obs. E. Daoud et E. Mercinier
; ibid. 2011. 58, obs. S. de La Rosa
; RSC 2011. 139, obs. A. Giudicelli
; ibid. 165, obs. B. de Lamy
; ibid. 193, chron. C. Lazerges
; RTD civ. 2010. 513, obs. P. Puig
; ibid. 517, obs. P. Puig
; pour un autre ex., v. aussi, Cons. const. 3 déc. 2021, n° 2021-952 QPC, Dalloz actualité, 6 janv. 2022, obs. S. Goudjil ; AJDA 2021. 2430
; D. 2022. 1540, et les obs.
, note M. Lassalle
; ibid. 2002, obs. W. Maxwell et C. Zolynski
; Légipresse 2022. 253, obs. N. Mallet-Poujol
). Il arrive parfois que le Conseil reporte l’abrogation, empêche de se prévaloir de la décision pour les mesures antérieures à sa publication, mais qu’il prescrive aux juges un contrôle transitoire pour faire cesser l’inconstitutionnalité. Ainsi, dans sa décision du 18 janvier 2024, il a estimé que le régime du défèrement devant le procureur n’était pas conforme à la Constitution, car aucune disposition n’imposait aux autorités judiciaires d’informer le tuteur ou le curateur du majeur protégé déféré. Il a donc décidé d’une abrogation différée de la première phrase de l’article 706-113 du code de procédure pénale, reportée au 31 janvier 2025. Toutefois, dans le considérant final, il a indiqué que, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, il y avait lieu de juger que le tuteur ou le curateur devaient être avisés par le magistrat compétent du défèrement du majeur protégé (Cons. const. 18 janv. 2024, n° 2023-1076 QPC, Dalloz actualité, 5 févr. 2024, obs. B. Durieu ; D. 2024. 452
, note V. Tellier-Cayrol
; ibid. 1203, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro
). La modalité d’application dans le temps de la décision du 22 septembre 2022, qui reporte l’abrogation et vise la date de publication de la décision comme date de fin pour la période de réalisation des mesures qui ne peuvent être contestées, sans prévoir de dispositif permettant de faire produire des effets à sa décision jusqu’à l’adoption d’une loi nouvelle, est plutôt originale. Elle a cependant déjà été retenue dans d’autres décisions (Cons. const. 23 avr. 2021, n° 2021-899 QPC, Dalloz actualité, 10 mai 2021, obs. D. Goetz ; D. 2021. 801
; ibid. 1509, obs. Y. Strickler et N. Reboul-Maupin
; ibid. 2109, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire
; 24 nov. 2021, n° 2021-949/950 QPC, Dalloz actualité, 2 déc. 2021, obs. P. Dufourq ; D. 2022. 528, obs. M. Douchy-Oudot
; AJ fam. 2022. 6, obs. L. Mary
).
Il restait donc à savoir quel sort réserver à des fouilles qui ont été réalisées à une période où, d’après la lettre de la décision 22 septembre 2022, elles pouvaient faire l’objet d’une contestation alors que leur fondement textuel était provisoirement maintenu sans réserve. Pour la Cour de cassation, la réponse est relativement claire : les contrôles opérés avant la réécriture de l’article 60 du code des douanes ne peuvent être contestés en raison de l’inconstitutionnalité de cet article. Elle est parvenue à cette conclusion par un raisonnement en deux étapes.
Premièrement, les réserves transitoires permettant de faire produire à la décision des effets avant la date de l’abrogation doivent être explicites ; or, celle du 22 septembre n’en contenait aucune. Deuxièmement, on ne doit pas déduire de la mention que les mesures prises avant la publication de la décision ne peuvent être contestées sur le fondement de l’inconstitutionnalité retenue que les contrôles douaniers effectués entre cette publication et l’abrogation de l’article 60 du code des douanes pourraient l’être. Même si la motivation, qui bascule d’une exigence d’affirmation expresse à une interprétation du silence de la décision, peut surprendre, elle paraît fondée. En effet, le Conseil constitutionnel a le pouvoir d’indiquer comment le droit doit être interprété en attendant l’abrogation de la disposition contestée ou la loi nouvelle : s’il diffère l’abrogation tout en ne faisant pas usage de cette prérogative, c’est qu’il admet que la disposition qu’il a déclarée inconstitutionnelle soit encore mobilisée pour un temps. Ce résultat n’a rien de choquant, car on sait que les dispositions en cause sont ensuite soumises à un contrôle de conventionnalité.
Le contrôle de conventionnalité des mesures prises sur le fondement de l’ancien article 60 du code des douanes
Dans leurs pourvois, des mis en examen invoquaient la violation de plusieurs articles de la Convention européenne des droits de l’homme : les articles 5, 6 et 8, ainsi que l’article 2 du Protocole additionnel n° 4. Ces moyens sont pertinents. En effet, bien que la chambre criminelle ait pendant un temps estimé que le report de l’abrogation d’une disposition jugée inconstitutionnelle faisait obstacle à la cassation de décisions fondée sur l’inconventionnalité de la disposition en cause (Crim. 19 oct. 2010, nos 10-82.306, 10-82.902 et 10-85.051, Dalloz actualité, 21 oct. 2010, obs. S. Lavric ; D. 2010. 2425, édito. F. Rome
; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud
; ibid. 2783, chron. J. Pradel
; ibid. 2011. 124, chron. L. Lazerges-Cousquer, A. Leprieur et E. Degorce
; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay
; AJ pénal 2010. 479, étude E. Allain
; RSC 2010. 879, chron. E. Gindre
), il est aujourd’hui clairement établi qu’une disposition inconventionnelle doit être immédiatement écartée, nonobstant ce qu’a pu décider le Conseil constitutionnel (Cass., ass. plén., 15 avr. 2011, nos 10-17.049, 10-30.242, 10-30.313 et 20-30.316, Dalloz actualité, 19 avr. 2011, obs. S. Lavric ; Cass., ass. plén., 15 avr. 2011, n° 10-17.049, Préfet du Rhône, D. 2011. 1080, et les obs.
; ibid. 1128, entretien G. Roujou de Boubée
; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay
; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot
; AJ pénal 2011. 311, obs. C. Mauro
; Constitutions 2011. 326, obs. A. Levade
; RSC 2011. 410, obs. A. Giudicelli
; RTD civ. 2011. 725, obs. J.-P. Marguénaud
).
L’article 5 de la Convention européenne est relatif au droit à la liberté et à la sûreté, tandis que l’article 2 du Protocole n° 4 porte sur la liberté de circulation. La Cour de cassation a rapidement écarté le grief pris de la méconnaissance de cet article, au motif qu’il n’était pas applicable à des fouilles douanières. Pour le justifier, elle cite la décision Colon c/ Pays-Bas, dans laquelle la Cour européenne a estimé que la possibilité pour une personne d’être interpellée et soumise à une fouille préventive dans certaines zones ne constitue pas une ingérence à la liberté d’aller et venir dès lors qu’elle n’est nullement empêchée d’y pénétrer, d’y circuler et d’en partir (CEDH 15 mai 2012, n° 49458/06). Cependant, en citant cette décision, la Cour de cassation manque un peu la cible. Dans l’affaire évoquée, seul l’article 2 du Protocole n° 4 était en cause. En outre, il était question de contrôles effectués dans un lieu prédéterminé, à l’instar des contrôles d’identité et fouilles qui peuvent être ordonnés par réquisitions du procureur de la République. Le régime des visites douanières est différent, car elles peuvent avoir lieu n’importe où dans l’espace public et viser une personne déterminée. Or, la Cour européenne a déjà eu l’occasion d’affirmer que des fouilles réalisées par la police, même si elles n’ont pas duré plus de trente minutes, pouvaient constituer une privation de liberté dès lors qu’elles avaient un caractère coercitif (CEDH 12 janv. 2010, Gillan et Quinton c/ Royaume-Uni, n° 4158/05, § 57, RFDA 2011. 987, chron. H. Labayle et F. Sudre
). Néanmoins, dans une décision plus récente, elle a estimé qu’une perquisition n’entrait pas dans le domaine de l’article 5 de la Convention européenne (CEDH 9 janv. 2016, Stanculeanu c/ Roumanie, n° 26990/15, §§ 40 s.), notamment parce que la présence de la personne pendant les recherches est imposée dans son intérêt, afin de garantir l’authenticité des éléments de preuve retrouvés. Partant, on peut retenir que les fouilles de véhicules en application de l’article 60 du code des douanes n’entrent pas dans le périmètre de protection de l’article 5 de la Convention européenne.
Pour ce qui est de l’article 6 de la Convention européenne, la Cour de cassation a dans un premier temps repris les garanties qui encadrent les fouilles douanières et, plus particulièrement, celles établies par la jurisprudence : la mesure ne peut s’exercer que le temps strictement nécessaire à la réalisation des opérations de visite (Crim. 18 mars 2020, n° 19-84.372, Dalloz actualité, 2 mai 2020, obs. C. Fonteix; RSC 2020. 666, obs. S. Detraz
), les agents des douanes ne disposent pas d’un pouvoir général d’audition de la personne contrôlée (ibid.), ils ne sont pas autorisés à procéder à la visite d’un véhicule stationné sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public, libre de tout occupant (Crim. 23 févr. 2022, n° 21-85.050, Dalloz actualité, 14 mars 2022, obs. M. Recotillet ; D. 2022. 400
; AJ pénal 2022. 219, obs. É. Clément
; RSC 2022. 616, obs. S. Detraz
; RTD com. 2022. 396, obs. B. Bouloc
), ils ne peuvent procéder à une fouille à corps impliquant le retrait des vêtements (Crim. 26 janv. 2022, n° 21-84.228, Dalloz actualité, 28 févr. 2022, obs. M. Recotillet ; D. 2022. 217
; ibid. 1637, obs. C. Mascala
; AJ pénal 2022. 156, obs. É. Clément
; RSC 2022. 616, obs. S. Detraz
; ibid. 622, obs. S. Detraz
; RTD com. 2022. 397, obs. B. Bouloc
), ils doivent procéder à l’inventaire immédiat des indices recueillis lors du contrôle et les transmettre dans les meilleurs délais à l’officier de police judiciaire compétent pour qu’il procède à leur saisie et placement sous scellés (Crim. 26 oct. 2016, n° 16-82.463, Dalloz actualité, 14 nov. 2016, obs. C. Fonteix), et la personne concernée par le contrôle peut, si elle fait l’objet de poursuites, faire valoir par voie d’exception la nullité de ces opérations. Il est tout à fait pertinent de faire référence à ces règles prétoriennes, car elles seraient prises en compte si la Cour européenne était amenée à se prononcer sur la conventionnalité du régime des fouilles douanières. Après les avoir énoncées, la Cour de cassation conclut de manière lapidaire que l’article 60 du code des douanes ne méconnaît pas le droit à un procès équitable. C’est un peu court, mais sans doute juste : de manière constante, la Cour européenne affirme que la question de l’admissibilité des preuves, même illégales, relève en premier lieu des juridictions nationales, et que l’essentiel est que le requérant ait eu la possibilité de remettre en question l’authenticité de l’élément de preuve et de s’opposer à son utilisation (CEDH 10 mars 2009, Bykov c/ Russie, n° 4378/02). En l’espèce, le débat autour de la régularité des fouilles établit que la discussion est ouverte et que les droits de la défense sont respectés.
Enfin, la Cour de cassation a examiné la conformité des opérations de fouille à l’article 8 de la Convention européenne. Cet article stipule que les ingérences des autorités publiques dans la vie privée des individus doivent être prévues par la loi et constituer une mesure qui poursuit un but légitime dans une société démocratique. L’exigence de prévision textuelle a pour but de constituer une protection contre l’arbitraire et, à ce titre, la disposition permettant l’ingérence doit définir avec une netteté suffisante l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir conféré aux autorités compétentes (CEDH 4 déc. 2008, S. et Marper c/ Royaume-Uni, nos 30562/04 et 30566/04, § 95, Dalloz actualité, 17 déc. 2008, obs. M. Léna ; AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss
; D. 2010. 604, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat
; AJ pénal 2009. 81, obs. G. Roussel
; RFDA 2009. 741, étude S. Peyrou-Pistouley
; RSC 2009. 182, obs. J.-P. Marguénaud
). Ce pouvoir doit être suffisamment limité, et pour apprécier le respect de cette condition, la Cour européenne examine différents critères : « portée géographique et temporelle des pouvoirs, la latitude accordée aux autorités pour décider si et quand exercer ces pouvoirs, toute limitation éventuelle à l’ingérence que l’exercice de ces pouvoirs occasionne, la possibilité d’un contrôle juridictionnel de l’exercice des pouvoirs et une supervision indépendante de l’usage qui en est fait » (CEDH 28 févr. 2019, Beghal c/ Royaume-Uni, n° 4755/16, § 89). Effectuant ce contrôle, la chambre criminelle a estimé qu’en l’état, l’article 60 du code des douanes était incompatible avec l’article 8 de la Convention européenne, en critiquant implicitement la trop grande latitude laissée aux agents des douanes pour le mettre en œuvre. Toutefois, elle a estimé qu’une fouille douanière réalisée sur ce fondement pouvait être régulière, à condition que les agents constatent l’existence de raisons plausibles de soupçonner la commission ou la tentative de commission d’une infraction douanière, ou qu’ils opèrent dans des zones et lieux présentant des risques particuliers de commission d’infractions douanières (C. douanes, art. 44 anc., art. 47 et art. 67 quater). Bien sûr, ces conditions n’ont pas été déterminées ex nihilo : il s’agit d’une reprise des conditions prévues par le nouveau régime des fouilles douanières, issu de la loi du 18 juillet 2023 (v. C. douanes, art. 60-1 et 60-2). Postulant la conventionnalité de ces dispositions, la Cour de cassation s’en sert pour contrôler la régularité des fouilles réalisées sur le fondement de l’ancien article 60 du code des douanes. Elle passe ensuite à un contrôle concret. Dans deux des trois affaires (2e espèce et 3e espèce), les juges du fond ont relevé que les agents avaient constaté l’existence de raisons plausibles de soupçonner la commission d’une infraction douanière ou avaient réalisé le contrôle dans le rayon douanier. Dès lors, les fouilles n’étaient pas irrégulières. En revanche, dans une des affaires (1re espèce), aucune de ces conditions n’était remplie.
L’exigence d’un grief en tant qu’ultime rempart
Le constat d’une irrégularité ne suffit pas à entraîner l’annulation de l’acte qu’elle affecte. La nullité est une sanction procédurale, qui n’est prononcée par le juge que si toutes les conditions de recevabilité et de bien-fondé de l’exception soulevée par une partie sont remplies. Selon l’article 802 du code de procédure pénale, une des conditions à remplir est que l’irrégularité doit avoir eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne ; c’est l’exigence de la démonstration d’un grief.
Dans les trois affaires, la Cour de cassation a méthodiquement démontré que cette exigence trouvait à s’appliquer pour annuler des fouilles douanières dans des véhicules. Dans un premier temps, elle a estimé que la méconnaissance des conditions de mise en œuvre de cet acte était susceptible de porter atteinte à la vie privée des personnes concernées. Dès lors, il s’agissait d’une nullité d’ordre privé. Cette première étape du raisonnement permet d’écarter la qualification de nullité d’ordre public, pour laquelle la preuve d’un grief n’a pas à être rapportée (Crim. 7 sept. 2021, n° 21-80.642, Dalloz actualité, 28 sept. 2021, obs. M. Recotillet ; D. 2021. 1630
; AJ pénal 2021. 484, obs. M. Recotillet
; ibid. 527, note G. Candela
; RSC 2022. 94, obs. P.-J. Delage
; ibid. 439, obs. E. Rubi-Cavagna
). Dans un deuxième temps, la chambre criminelle rejette l’idée d’une présomption de grief. Conformément à une jurisprudence récemment établie, elle retient que l’ingérence dans la vie privée qui résulte de la fouille d’un véhicule est moindre que celle résultant d’une perquisition dans un domicile, pour en déduire que le requérant devait établir que l’acte lui avait causé un grief (Crim. 16 janv. 2024, n° 22-87.593, Dalloz actualité, 26 janv. 2024, obs. M. Slimani ; D. 2024. 115
; AJ pénal 2024. 109, obs. D. Pamart
; RSC 2024. 609, obs. P.-J. Delage
).
L’ultime étape était d’apprécier si l’existence d’un grief était établie dans la première espèce. En une ligne, la Cour de cassation a constaté que le requérant ne se prévalait d’aucun grief autre que sa mise en cause par l’acte critiqué, puis a rejeté le pourvoi. Cette conclusion est décevante. Il est vrai que le grief ne peut résulter du seul fait que l’acte d’enquête contesté a permis d’obtenir des éléments à charge (Crim. 7 sept. 2021, n° 21-80.642, préc.). Pour le reste, il s’agit d’une occasion manquée d’expliquer en quoi peut consister ce grief. À l’heure actuelle, la jurisprudence le définit simplement comme un préjudice occasionné par l’irrégularité invoquée par la partie qui soulève une exception de nullité. Or, dans la première espèce, il n’était pas difficile d’imaginer des préjudices résultant d’une fouille douanière qui n’aurait pas dû être réalisée. Assurément, la saisie des 170 980 € en espèces consécutive à la fouille du véhicule a pu porter atteinte aux droits que le requérant avait sur la somme. En outre, la recherche à l’intérieur de la voiture a pu occasionner une violation du droit à la vie privée. Il n’est cependant pas certain que ces griefs puissent être utilement invoqués, car le préjudice ne porte pas sur l’exercice des droits de la défense. Néanmoins, l’article 802 ne restreint pas le grief à une atteinte à des intérêts d’ordre procéduraux. Toutefois, depuis quelques années, la chambre criminelle a tendance à exiger un grief spécial pour des irrégularités déterminées. Ainsi, le seul grief admis pour l’absence de représentant ou de témoin lors d’une perquisition doit résulter de la découverte d’objet dont la présence sur place est contestée par l’occupant des lieux (Crim. 25 juin 2024, n° 23-86.048, Dalloz actualité, 9 juill. 2024, obs. T. Scherer ; D. 2024. 1236
; AJ pénal 2024. 405 et les obs.
; RSC 2024. 609, obs. P.-J. Delage
). De même, le seul grief utile pour la méconnaissance du droit d’un gardé à vue de faire prévenir sont employeur est une gêne dans l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat (Crim. 26 juin 2024, n° 23-84.154, Dalloz actualité, 12 juill. 2024, obs. H. Diaz ; D. 2024. 1235
; AJ pénal 2024. 471, obs. R. Mesa
; ibid. 405 et les obs.
). Enfin, pour les réquisitions de données de connexion, le grief perd sa nature de préjudice pour être caractérisé par la mise en œuvre de cet acte d’enquête pour des faits ne relevant pas de la criminalité grave (Crim. 27 févr. 2024, n° 23-81.061, Dalloz actualité, 6 mars 2024, obs. T. Scherer ; D. 2024. 1410
, note M. Lassalle
; ibid. 1435, obs. J.-B. Perrier
; AJ pénal 2024. 208, note E. Vergès
; Dalloz IP/IT 2024. 122, obs. S. Prévost-Boyard
; ibid. 600, obs. E. Daoud, Rohanne Fyaz et C. Godet
; RSC 2024. 412, obs. A. Chauvelot
). Dans un contexte de morcellement du régime des griefs, il devient urgent d’apporter de la clarté dans les attentes des juges.
En guise d’épilogue, il faut souligner que l’instauration de nouvelles règles en matière de fouilles douanières n’a pas mis fin au contentieux : le nouvel article 60 du code des douanes doit prochainement être soumis à l’appréciation du Conseil constitutionnel (Crim. 4 déc. 2024, n° 24-90.014).
Crim. 4 déc. 2024, F-B, n° 24-82.730
Crim. 4 déc. 2024, FS-B, n° 24-82.224
Crim. 4 déc. 2024, FS-B, n° 24-80.381
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