Il n’y a pas de mauvais moment pour agir en paiement contre la caution personne physique du débiteur en difficulté !

Quand l’action en paiement contre la caution est engagée pendant la période d’observation du débiteur principal, si le tribunal ne se prononce sur cette demande qu’après l’adoption du plan, la cause de la fin de non-recevoir disparaît et l’irrecevabilité de l’action en paiement est écartée.

Une société est mise en redressement judiciaire le 4 juillet 2018. Le 18 novembre suivant, la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, qui avait consenti à la société l’ouverture d’un compte courant professionnel, assigne le gérant de la société, qui s’était porté caution des engagements de la société quatre ans plus tôt.

Un plan de redressement a été arrêté le 3 juillet 2019. Après vaine mise en demeure de la caution, la banque l’a assignée en paiement au titre de son engagement de caution.

La Cour d’appel de Colmar déclare irrecevable la demande de la banque. Elle relève que l’acte introductif d’instance a été enregistré au greffe pendant la période d’observation, et que l’autorisation, qui avait été accordée à la banque par le juge de l’exécution d’inscrire une sûreté réelle sur les biens immobiliers de la caution, n’avait pas été suivie des diligences nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire dans le mois suivant cette autorisation. Elle en déduit qu’aucune régularisation de la fin de non-recevoir n’est intervenue, et que celle-ci s’impose par voie de conséquence.

La banque forme un pourvoi en cassation, qui conduit la Haute juridiction à déterminer si la fin de non-recevoir découlant de l’assignation de la caution personne physique en paiement des dettes du débiteur placé en redressement judiciaire doit être régularisée si le tribunal se prononce sur l’action en paiement après l’adoption du plan, et, plus largement, si l’action en paiement est dans ce cas irrecevable.

La Cour de cassation répond par la négative, casse et annule l’arrêt en toutes ses dispositions, au visa des articles L. 622-28, alinéa 2, du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l’article L. 631-14 du même code, et l’article 126 du code de procédure civile. La cour d’appel a violé les textes susvisés car « si l’action en paiement contre la caution avait été engagée pendant la période d’observation du redressement judiciaire par le débiteur principal, le tribunal ne s’était prononcé sur cette demande qu’après l’adoption du plan de redressement, de sorte que la cause de la fin de non-recevoir avait disparu ». L’irrecevabilité de l’action en paiement ne pouvait donc pas être prononcée.

Cet arrêt est l’occasion de rappeler l’effet procédural de la suspension des poursuites contre la caution lorsque le débiteur est en période d’observation. Il cause également des complications collatérales pour le dirigeant-caution.

L’effet procédural de la suspension des poursuites contre la caution

Chacun sait que la caution personne physique est protégée pendant la période d’observation du débiteur principal. Le but du législateur du 10 juin 1994 était de ne pas détourner le chef d’entreprise des procédures du livre VI du code de commerce, alors qu’il se serait porté caution personnelle des engagements de la société qu’il dirige à l’égard d’un créancier. En effet, s’il pouvait être appelé en paiement après le jugement d’ouverture de la procédure collective du débiteur, certains créanciers agiraient – peut-on les en blâmer ? – dès la publication du jugement d’ouverture au BODACC. C’est la raison pour laquelle l’article L. 622-28 du code de commerce dispose que « Le jugement d’ouverture suspend jusqu’au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie », mesure étendue au cas de redressement judiciaire par l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021.

Par conséquent, l’assignation de la caution par un créancier dont le débiteur est en période d’observation serait frappée d’une fin de non-recevoir, comme le rappelle l’arrêt examiné (v. déjà, Cass., ch. mixte, 16 nov. 2007, n° 03-14.409, Dalloz actualité, 20 nov. 2007, obs. A. Lienhard ; D. 2008. 2104, obs. P. Crocq  ; RTD civ. 2008. 716, obs. P. Théry  ; RTD com. 2008. 168, obs. D. Legeais  ; RPC 2009. 89, obs. N. Patureau et C. Perot-Reboul ; ibid. 2008. 128, obs. F. Macorig-Venier ; JCP 2008. 142, obs. M. Cabrillac et P. Pétel ; Procédures 2008. Comm. 17, obs. B. Rolland). L’enjeu réside dans les différences de régime qui opposent les exceptions de procédure et les fins de non-recevoir. Les premières, en effet, doivent être soulevées simultanément et avant toute défense au fond (C. pr. civ., art. 74), alors que les secondes peuvent être invoquées en tout état de cause (C. pr. civ., art. 123). La Cour de cassation précisait dans cet arrêt que l’irrecevabilité ne pouvait cependant pas être soulevée pour la première fois devant la Cour de cassation, considérant qu’il ne s’agit pas d’une fin de non-recevoir d’ordre public, et qu’elle ne peut donc pas être relevée d’office au sens de l’article 125 du même code. En effet, si l’action du créancier durant la période d’observation est irrecevable, « c’est bien parce que le créancier poursuivant est (temporairement) privé du droit d’action » (A. Lienhard, Suspension des poursuites contre la caution : régime procédural, D. 2007. 3009, soulignant l’avis en sens contraire de l’avocat général ).

Une autre particularité des fins de non-recevoir tient au fait que, si elles entraînent, en principe, le rejet de la prétention, elles peuvent avoir un effet uniquement provisoire, et être régularisées. Ainsi, l’acte introductif d’instance enregistré au greffe pendant la période d’observation peut être suivi de l’autorisation accordée au créancier par le juge de l’exécution d’inscrire une sûreté réelle sur les biens immobiliers de la caution, à condition toutefois de procéder aux diligences nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire dans le mois suivant l’autorisation. La Cour de cassation a ainsi pu retenir que, « si ce n’est dans le cas où elle a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier qui a été autorisé à pratiquer une mesure conservatoire contre une caution personnelle personne physique doit, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire, même si le débiteur principal a fait l’objet d’un jugement de redressement judiciaire ; que, dans ce cas, l’instance ainsi engagée est suspendue jusqu’au jugement arrêtant le plan de redressement ou prononçant la liquidation judiciaire du débiteur principal » (Com. 24 mai 2005, n° 03-21.043 P, D. 2005. 1632 , obs. A. Lienhard  ; ibid. 2078, obs. P. Crocq ). Faute pour la banque d’avoir procédé à ces diligences, la cour d’appel déclarait celle-ci irrecevable dans l’arrêt examiné dès lors qu’aucune régularisation de la fin de non-recevoir n’avait pu intervenir.

Les juges d’appel semblaient appliquer prudemment la jurisprudence de la Haute juridiction. Mais c’était sans compter sur une particularité de la procédure ayant conduit au présent arrêt : s’il est vrai que l’assignation en paiement avait été adressée à la caution au cours de la période d’observation, cependant, le tribunal ne s’était prononcé sur cette demande qu’après l’adoption du plan de redressement…

Et cette circonstance a un effet non négligeable.

Le jugement d’adoption du plan a pour effet de replacer le débiteur à la tête de son patrimoine, et de mettre fin à la période d’observation, et donc à la suspension des poursuites contre les cautions personnes physiques. Il a ainsi été jugé que l’action régulièrement engagée par le créancier contre la caution après le jugement d’ouverture et suspendue par l’effet du jugement d’ouverture du redressement judiciaire du débiteur principal peut être reprise sans nouvelle assignation après le jugement homologuant le plan de cession du débiteur principal (Com. 24 mai 2005 n° 03-21.043 P, préc.), prononçant la liquidation judiciaire (Com. 10 mars 2004, n° 01-13.508 P, D. 2004. 1020 , obs. A. Lienhard  ; RD banc. fin. 2004. 116, obs. D. Legeais), ou après l’adoption du plan (Com. 7 juin 2005, n° 03-18.421, D. 2006. 79 , obs. P. M. Le Corre et F. X. Lucas ).

Il en résulte que, lorsque le tribunal se prononce sur la demande en paiement dirigée contre la caution après l’adoption du plan, la cause de la fin de non-recevoir – la suspension des poursuites contre la caution personne physique – a disparu. Aucune régularisation n’est alors nécessaire, et on comprend la censure du raisonnement des juges du fond, lesquels s’étaient livrés à l’examen des conditions de régularisation de la fin de non-recevoir, en recherchant si les diligences nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire avaient été effectuées dans les délais. La solution paraît difficilement contestable en droit. Elle n’est que l’application de l’article 126 du code de procédure civile, selon lequel la fin de non-recevoir peut être régularisée si sa cause a disparu au moment où le juge statue, ce dont la jurisprudence déduit que l’irrecevabilité doit être écartée (Com. 5 juill. 1988, n° 87-10.590 P). Il importe alors peu que l’action contre la caution ait été engagée pendant la période d’observation, en contravention avec le principe de suspension des poursuites contre la caution, et rien ne justifierait que la solution ne s’applique pas en sauvegarde également.

À l’inverse, il n’est pas tout à fait certain que le dirigeant-caution s’en tire à si bon compte.

L’effet collatéral de la suspension des poursuites dans la procédure

On aura peine à soutenir qu’en assignant la caution en paiement pendant la période d’observation du débiteur principal, le créancier ne viole pas l’article L. 622-28 du code de commerce. Cependant, ce comportement est finalement assez inconséquent pour le créancier. S’il agit pendant la période d’observation, et si le tribunal se prononce après l’adoption du plan, l’action du créancier est sauvée, comme on l’a vu. S’il agit pendant la période d’observation, et si le tribunal se prononce avant l’adoption du plan, alors le tribunal ne peut pas condamner la caution personne physique au paiement, mais si le tribunal rejette la demande au motif de cette suspension des actions contre les cautions pendant la période d’observation, il n’y a pas autorité de chose jugée interdisant une nouvelle action contre la caution après l’adoption du plan (Com. 10 janv. 2018, n° 15-15.897, RTD com. 2018. 775, obs. A. Martin-Serf  ; Gaz. Pal. 17 avr. 2018, n° 321p8, p. 84, obs. E. Le Corre-Broly).

Un auteur explique de manière convaincante que, d’une part, le rejet de la demande est justifié par l’existence de cette suspension ; d’autre part, un élément nouveau non couvert par l’autorité de la chose jugée autorise la condamnation une fois le plan adopté, puisque la suspension des actions disparaît (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 12e éd., 2023, Dalloz Action, p. 2826, spéc. nos 721.271). Le créancier pourra donc agir à nouveau.

On serait presque tenté de conclure qu’en l’espèce, la banque avait vu juste en agissant en paiement contre la caution pendant la période d’observation, en dépit de la lettre de l’article L. 622-28… Peut-on aller jusqu’à dire dans ces colonnes qu’elle n’a pas eu tort d’ignorer le texte ? Le fait est que, si la banque avait attendu l’adoption du plan, le tribunal ne se serait probablement pas prononcé sur sa demande aussi tôt. Dans ces conditions, on imagine mal que les créanciers choisissent d’attendre patiemment l’adoption du plan pour assigner la caution, et c’est bien ce qui pourrait poser un problème, car la solution, aussi logique soit-elle en droit, nous semble inviter les créanciers à une stratégie judiciaire critiquable car globalement peu pertinente.

Peu pertinente, d’abord, car on voit mal quel avantage il y aurait à pousser les créanciers à « anticiper » ainsi, plutôt que d’attendre patiemment l’adoption du plan. On rappellera que selon l’article L. 622-28, le créancier bénéficiaire d’un cautionnement consenti par une personne physique, en garantie de la dette d’un débiteur principal mis ensuite en redressement judiciaire, peut prendre des mesures conservatoires sur les biens de la caution et doit, en application des articles R. 511-4 et R. 511-7 du code des procédures civiles d’exécution, introduire dans le mois de leur exécution une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire, à peine de caducité de ces mesures, et que l’obtention d’un tel titre n’est pas subordonnée à l’exigibilité de la créance contre la caution (Com. 1er mars 2016, n° 14-20.553 P, Dalloz actualité, 23 mars 2016, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2016. 598  ; ibid. 1279, obs. A. Leborgne  ; Rev. sociétés 2016. 398, obs. P. Roussel Galle  ; RTD com. 2016. 330, obs. A. Martin-Serf  ; Gaz. Pal. 21 juin 2016, n° 267x5, p. 41, obs. J.-J. Ansault ; BJE mai 2016, n° 113j6, p. 162, obs. N. Borga). Le droit du créancier à être payé (C. civ., art. 1341 et C. pr. exéc., art. L. 111-1) n’est-il pas suffisamment préservé par ces dispositions, le temps de la période d’observation, qui peut se limiter à six mois ?

Peu pertinente, ensuite, car la solution ne semble pas tout à fait conforme à l’objectif initial du législateur, qui consistait à offrir une protection à la caution personne physique, qui n’est souvent personne d’autre que le dirigeant de la société débitrice lui-même, et qui se passera sans doute volontiers d’une assignation en paiement à titre personnel. Comment être certain que ce dirigeant, parfois déjà personnellement en difficulté dans cette période, aura connaissance du fait que cette assignation ne vaut pour l’instant que peu de choses, mais qu’elle n’échappera à la fin de non-recevoir que si et seulement si le tribunal se prononce après l’adoption du plan ? Comment être certain que la crainte d’une assignation en paiement ne va pas le détourner de la demande d’ouverture de la procédure ? Il faut rappeler que, d’après une étude menée par l’institut français d’opinion publique, seuls 58 % des dirigeants interrogés par l’entreprise de statistiques pour l’institut français des praticiens des procédures collectives déclaraient voir précisément ce qu’est la sauvegarde ; quel aurait été le résultat s’agissant de la question de la différence entre la fin de non-recevoir et l’exception de procédure ?

Que se passe-t-il si la caution paie le créancier en dépit de la suspension des poursuites ? On sait que la suspension des poursuites invoquée par la caution constitue une contestation de fond portant sur l’exigibilité de la créance (Com. 24 mai 2005, n° 03-16.338 P, AJDI 2005. 674  ; RD banc. fin. 2005. 145, obs. S. Piedelièvre ; Procédures 2005. Comm. 233, obs. J. Junillon). Le droit du créancier contre la caution se voit donc affecté d’un terme, or, ce qui a été payé d’avance ne peut être répété (C. civ., art. 1305-2). Dans un tel cas, c’est autant de trésorerie en moins pour la société débitrice, qui aurait pu bénéficier d’un apport de son dirigeant, fût-il, par exemple, par ailleurs associé de la société. Toujours est-il qu’en payant le créancier de la société débitrice, le dirigeant-caution devient créancier de cette dernière, au titre d’une créance née après le jugement d’ouverture… Comment appréciera-t-on l’utilité de la créance ?

Bref, la solution semble poser plus de problèmes qu’elle n’en résout, même si la Cour de cassation pouvait difficilement statuer différemment. Il n’en demeure pas moins que le réalisme judiciaire est peut-être sacrifié sur l’autel de la technique procédurale.

La « Passion du droit sous la Ve République » chère à Jean Carbonnier n’est peut-être pas partagée par tous !

 

© Lefebvre Dalloz