Illicéité de la clause autorisant l’apport en société du bail rural sans identification du bénéficiaire
Est réputée non écrite, la clause insérée dans un bail à ferme, selon laquelle le bailleur donne son accord pour l’apport par le preneur de son droit à une société, sans aucune identification du bénéficiaire de cette autorisation.
Cet arrêt appellera l’attention des praticiens sur la rédaction des clauses relative à l’apport du bail rural à une société.
Dérogeant au principe de l’incessibilité du bail rural, l’article L. 411-38 du code rural et de la pêche maritime autorise le preneur à faire apport de son bail à une société civile d’exploitation agricole ou à un groupement de propriétaires ou d’exploitants.
Cet apport, qui opère une substitution de locataire, est soumis à l’agrément préalable et discrétionnaire du bailleur. En principe, l’agrément doit précéder l’apport, mais la jurisprudence a admis qu’il puisse résulter des circonstances postérieures à la cession (Civ. 3e, 30 oct. 2002, n° 01-12.466). Toutefois, la réception sans réserve par les bailleurs du paiement des loyers ne suffit pas à caractériser cet agrément (Civ. 3e, 28 sept. 2010, n° 09-70.129, AJDI 2010. 813
).
En revanche, lorsque le bailleur a autorisé l’apport du bail à une SCEA, l’agrément n’est pas de nouveau requis lors de la transformation de celle-ci en SAS (Civ. 3e, 31 oct. 2012, n° 11-23.194, Dalloz actualité, 22 nov. 2012, obs. S. Prigent ; D. 2013. 477
, note F. Roussel
; AJDI 2013. 293
. Le défaut d’agrément justifie la résiliation du bail (art. L. 411-31, II, 2°).
L’article L. 411-38 précité est d’ordre public, de sorte qu’une clause du contrat ne saurait y faire échec. La Cour de cassation en déduit l’impossibilité pour les parties de prévoir la possibilité pour le preneur d’apporter le bail en société sans que le bénéficiaire ne soit nommément désigné.
L’illicéité de l’agrément en blanc
Au cas particulier, un preneur signifie au bailleur l’apport de son bail à une SCEA en se prévalant d’une clause du contrat l’y autorisant. La cour d’appel répute non écrite la clause invoquée au motif qu’aucun bénéficiaire n’y est désigné. Cette argumentation est approuvée par la Cour de cassation. Rappelant la lettre de L. 411-38 du code rural et de la pêche maritime et son caractère d’ordre public, elle précise « qu’une clause insérée dans un bail à ferme, selon laquelle le bailleur donne son accord pour l’apport par le preneur de son droit à une société, sans aucune identification du bénéficiaire de cette autorisation, doit être réputée non écrite ».
La pratique de l’agrément donné en « blanc » est condamnée. Le bailleur ne doit pas seulement accepter le principe de l’apport du bail à la SCEA ou au groupement. Il doit agréer personnellement la personne morale qui se substituera au preneur.
Cette solution rejoint celles précédemment adoptées dans le cadre de la cession familiale du bail rural, pour laquelle l’agrément est également nécessaire. La Cour de cassation a admis la validité d’une clause autorisant les preneurs à céder le bail à l’un de leurs enfants majeurs au motif que l’autorisation insérée dans le bail avait été formulée intuitu personae même si l’enfant bénéficiaire n’était pas nommément désigné dès lors qu’il était identifiable par déduction (Civ. 3e, 1er juin 1976, n° 74-14.999). Plus récemment, elle a réputé non écrite la clause par laquelle le preneur était autorisé à céder le bail à « ses descendants », sans autre précision (Civ. 3e, 20 déc. 2018, n° 17-20.936, RD rur. 2019. Comm. 29, obs. S. Crevel ; Defrénois n° 14, p. 37, obs. F. Delorme). La Cour de cassation justifiait sa solution par « le principe d’incessibilité du bail », lequel « tend à prémunir le bailleur contre un changement, à son insu, en la personne de l’exploitant ou dans les conditions de l’exploitation ».
Théoriquement, la clause autorisant le preneur à céder son bail ou à l’apporter en société présente un intérêt pour le preneur. D’autant plus pour l’apport puisqu’il ne peut saisir le tribunal des baux ruraux en cas de refus du bailleur d’agréer la société. Le bailleur ayant dès la conclusion du bail donné son autorisation, il ne pourrait plus revenir sur cet engagement. Pour autant, la doctrine est réservée sur l’efficacité de cette stipulation en pratique, notamment en raison du délai qui s’écoulera entre la signature du bail et l’apport ou la cession. À ce moment, la personne nommément désignée dans la clause peut ne plus remplir les conditions pour exploiter, permettant au bailleur de contester l’acte (F. Delorme, préc. ; S. Crevel préc.).
La sanction et son régime juridique
Le pourvoi reprochait également à l’arrêt d’appel d’avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription. Il soutenait que « l’action visant à faire déclarer non écrite une clause d’un contrat constitue une action personnelle, laquelle, sauf texte spécial venant déroger à l’article 2224 du code civil, se prescrit dans un délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Cet argument ne prospère pas davantage. La clause est non écrite, comme le prévoit l’article L. 415-12 du code rural et de la pêche maritime, l’action tendant à le voir constater n’est dès lors pas soumise à prescription. La solution n’est pas inédite. La Cour de cassation la justifie par le fait que la clause non écrite est réputée n’avoir jamais existé et n’est pas susceptible d’avoir produit des effets (Civ. 3e, 18 mars 2021, n° 20-12.551, Defrénois 2021, n° 45-46, p. 33, obs. F. Roussel ; pour un bail commercial, Civ. 3e, 19 nov. 2020, n° 19-20.405, Dalloz actualité, 4 janv. 2021, obs. A. Cayol ; D. 2020. 2342
; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki
; ibid. 980, chron. A.-L. Collomp, V. Georget et L. Jariel
; ibid. 1397, obs. M.-P. Dumont
; AJDI 2021. 513
, obs. J.-P. Blatter
; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin
; RTD civ. 2021. 124, obs. H. Barbier
).
Il faut distinguer l’action qui vise à faire reconnaitre le caractère non écrit d’une clause illicite du bail, de celle qui vise à voir prononcée la nullité de l’apport ou de la cession illicite ou la résiliation du bail. Ces dernières actions relèvent de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil (Civ. 3e, 23 nov. 2017, n° 16-20.065, Dalloz actualité, 12 déc. 2017, obs. S. Prigent ; D. 2017. 2427
; RD rur. 2018. Comm. 1, obs. S. Crevel). La Cour de cassation estime que le point de départ de la prescription de l’action en résiliation du bail rural pour cession ou sous-location prohibées se situe au jour où ces infractions ont cessé (Civ. 3e, 1er févr. 2018, n° 16-18.724, Dalloz actualité, 5 mars 2018, obs. S. Prigent ; D. 2018. 881
, note F. Roussel
; ibid. 884, note J. François
; RTD civ. 2018. 647, obs. H. Barbier
; Dr. rur. 2018. Comm. 43, obs. S. Crevel)
Civ. 3e, 8 févr. 2024, FS-B, n° 22-16.422
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