Imprescriptibilité de l’action en résiliation du contrat de travail durant la vie de celui-ci
Dans un arrêt rendu le 27 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation vient confirmer une thèse qui commençait à se dessiner : l’imprescriptibilité de l’action, exercée par le salarié, en résiliation du contrat de travail tant que celui-ci n’est pas éteint.
La résiliation judiciaire du contrat de travail, bien qu’elle soit peu préférée aux autres modes de rupture du contrat de travail, est loin d’être une hypothèse d’école. Un arrêt récemment rendu par la Cour de cassation, le 27 septembre 2023, vient préciser une des conditions de recevabilité les plus importantes de cette action : la prescription à géométrie variable ou, devrait-on dire, l’imprescriptibilité conditionnée.
Dans cette affaire, une conseillère clientèle du Crédit Lyonnais est suspendue et ultérieurement placée en invalidité 2e catégorie puis 1re catégorie mais une juridiction reconnaît rétroactivement son placement en 2e catégorie. À la suite de ce contentieux assez particulier, la salariée, arguant de l’absence d’organisation, par son employeur, d’une visite de reprise devant le médecin du travail tandis qu’il avait été informé de son invalidité en 2e catégorie par le jugement, assigne son cocontractant en résiliation du contrat de travail. La Cour d’appel de Paris décide, par un arrêt partiellement confirmatif, de rejeter sa demande pour cause de prescription, en ce que l’action aurait dû être intentée dans les cinq ans à compter de la connaissance par l’employeur du classement en invalidité de catégorie 2. La salariée se pourvoit alors en cassation et, par le biais de la première branche de son moyen, soutient que l’action en résiliation du contrat de travail peut être introduite pendant toute la durée d’exécution de ce contrat, quelle que soit la date des faits invoqués à l’appui de sa demande.
Si les magistrats de « la sociale », comme il se dit entre les murs du Palais, de la Cour d’appel de Paris ne l’ont pas anticipée, la cassation était pourtant inévitable. La Cour de cassation juge, par un arrêt, semble-t-il, de principe, que l’action en résiliation peut être introduite tant que le contrat de travail n’est pas rompu, quelle que soit la date des faits invoqués par le demandeur. La cour d’appel, en déclarant prescrite l’action en résiliation intentée par la salariée, a ainsi violé l’article L. 1231-1 du code du travail. Ce faisant, la chambre sociale de la Cour régulatrice consacre finalement une imprescriptibilité de l’action en résiliation judiciaire du contrat de travail durant la vie de celui-ci et, a contrario, une prescription de cette action une fois le contrat éteint.
Imprescriptibilité de l’action durant la vie du contrat de travail
La Cour de cassation poursuit son entreprise de protection des salariés en jugeant que l’action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut toujours être exercée tant que le contrat de travail n’est pas rompu, ce qui revient à caractériser une imprescriptibilité de cette action.
Si cette solution radicale est nouvelle, elle était pourtant fort prévisible, la Cour elle-même renvoyant à une décision clef rendue en 2021. La chambre sociale avait affirmé, il y a environ deux ans, que le juge saisi d’une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail doit examiner l’ensemble des faits invoqués, quelle que soit leur ancienneté (Soc. 30 juin 2021, n° 19-18.533 P, D. 2021. 1294
; Dr. soc. 2021. 847, obs. C. Radé
). En d’autres termes, les juges du fond ne peuvent écarter un fait au motif que celui-ci serait vieux de deux ans, ou cinq si les faits sont antérieurs à la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. Or, n’était-ce pas déjà consacrer une imprescriptibilité de l’action en résiliation judiciaire ? Il était possible d’en douter à l’époque, même si la voie semblait néanmoins tracée.
Aujourd’hui, on ne peut nullement contester cette imprescriptibilité, qui concerne d’ailleurs uniquement l’action en résiliation intentée par le salarié, l’employeur ne pouvant, en raison de l’exercice du droit disciplinaire et de la faculté de licenciement, intenter cette action en résiliation, sauf dispositions légales contraires (v. Soc. 9 mars 1999, n° 96-41.734 P, D. 1999. 365
, note C. Radé
; Dr. soc. 1999. 526, obs. A. Mazeaud
; 13 mars 2001, n° 98-46.411 P, Dr. soc. 2001. 624, note C. Radé
).
Peut-on accepter cette imprescriptibilité alors qu’il existe une prescription des faits fautifs de deux mois (v. C. trav., art. L. 1332-4) ? Cette discordance n’est, en réalité, pas dérangeante. D’une part, la prescription des faits fautifs, qui a pour but d’éviter que l’employeur garde éternellement en mémoire tout acte répréhensible commis par le salarié, n’a pas la même finalité que celle poursuivie par la prescription d’une action en justice. D’autre part, elle possède des exceptions : il n’y a pas lieu d’appliquer la prescription des faits fautifs si le comportement fautif du salarié se réitère ou se poursuit au-delà de ce délai de deux mois (pour un rappel récent, v. Soc. 17 mai 2023, n° 21-21.019). Tout est question de mesure et de limite, ce que la Cour de cassation fait parfaitement dans cet arrêt en encadrant l’imprescriptibilité de l’action en résiliation du contrat de travail.
Prescriptibilité de l’action après l’extinction du contrat
On peut raisonnablement estimer que la Cour régulatrice, en décidant que l’action est imprescriptible durant la seule vie du contrat de travail, admet a contrario, nonobstant les faiblesses de ce raisonnement juridique, que l’action se prescrit une fois le contrat éteint. Cela questionne toutefois à plus d’un titre.
En premier lieu, est-il envisageable d’agir en résiliation d’un contrat déjà éteint ? On peine, en première intention, à percevoir la logique derrière cette idée. Une résiliation judiciaire du contrat de travail après l’extinction de celui-ci est cependant tout à fait possible. Mais il faut distinguer (pour une présentation complète, v. G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail, 36e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 597, n° 450). Si la rupture du contrat de travail émane du salarié, celui-ci ne peut plus agir en résiliation judiciaire du contrat de travail (Soc. 31 oct. 2006, n° 04-46.280 P, Dalloz actualité 5 déc. 2006, obs. C. Dechristé ; D. 2006. 2810, obs. C. Dechristé
; ibid. 2007. 686, obs. G. Borenfreund, F. Guiomard, O. Leclerc, P. Lokiec, E. Peskine et C. Wolmark
; RDT 2007. 28, obs. T. Grumbach et J. Pélissier
; 13 juill. 2010, n° 08-43.852 ; 10 avr. 2013, n° 11-15.651, Dalloz actualité, 24 avr. 2013, obs. M. Peyronnet). Si elle émane de l’employeur en revanche, alors le juge peut statuer sur la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail (Soc. 6 janv. 2010, n° 08-43.256).
Mais dans toutes ces hypothèses, la rupture du contrat de travail est intervenue après que le salarié a agi en résiliation judiciaire. Dès lors, le contrat était, au moment de l’introduction de cette action, encore en vigueur. S’il est déjà rompu, au moyen d’un licenciement par exemple, le salarié peut tout de même, semble-t-il, le contester par la voie de la résiliation judiciaire qui, si elle est reconnue, aura pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.
En second lieu, le délai de prescription est classiquement de deux ans à compter du jour où celui qui exerce l’action a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer (C. trav., art. L. 1471-1). Reste qu’une question se pose à l’égard du point de départ. Doit-il nécessairement être fixé après l’extinction du contrat ou peut-on considérer qu’il peut se situer avant et que le délai, suspendu pendant la vie du contrat, commence à courir au jour exact de son extinction ? Le résultat est, en somme, différent et la messe ne paraît pas encore tout à fait dite.
© Lefebvre Dalloz