Imputabilité d’une pathologie à un vaccin : les critères évoluent
Le Conseil d’État apporte des clarifications attendues par les praticiens et les juristes sur le lien de causalité entre une vaccination obligatoire et une pathologie.
La probabilité non nulle d’un lien de causalité entre une injection vaccinale et une pathologie est susceptible d’engager la responsabilité de l’État. Le Conseil d’État précise la jurisprudence sur l’épineuse question de l’existence du lien de causalité entre une vaccination obligatoire et telle pathologie affectant la personne vaccinée. Ce faisant, il répond notamment pour partie aux questionnements soulevés par la doctrine dans l’AJDA sur les trois arrêts d’espèce (P. Lohéac-Derboulle, Lien de causalité en matière de vaccination obligatoire, AJDA 2023. 1460
).
Les requérants qui ont saisi le Conseil d’État sont atteints de pathologies qu’ils estiment imputables à leur vaccination obligatoire contre l’hépatite B et aux résidus aluminiques absorbés : la sclérose en plaques, pour l’une, et la myofasciite à macrophages, pour les deux autres. Par les arrêts attaqués, la cour a rejeté leurs demandes, car il n’existait, selon elle, aucune probabilité d’un lien de causalité entre le vaccin mis en cause et ces deux maladies.
Hypothèse qu’un lien existe
Dans le premier arrêt (n° 472707, AJDA 2024. 2092
), qui sera publié au Lebon, M. D. a reçu plusieurs injections contre le virus de l’hépatite B, à titre obligatoire, pendant son service national. Il a souffert à partir de septembre 1995 de divers troubles qu’il a attribués à cette vaccination, en lien avec une myofasciite à macrophages, par ailleurs, diagnostiquée en 1997. « Si aucun lien de causalité n’a pu être établi à ce jour entre l’administration de vaccins contenant des adjuvants à base de sels d’aluminium et des symptômes de douleurs musculaires et articulaires, d’asthénie et de troubles cognitifs susceptibles d’être rattachés aux lésions histologiques caractéristiques de la myofasciite à macrophages retrouvées, chez les patients concernés, autour du site d’injection, l’hypothèse qu’un tel lien existe a été envisagée par des travaux de recherche scientifique ayant donné lieu à des publications dans des revues reconnues, qui ne sont pas formellement démentis par les données actuelles de la science […]. » Dès lors, en jugeant qu’au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, il n’y avait aucune probabilité qu’existe un lien entre ces symptômes et la vaccination contre l’hépatite B, la Cour administrative d’appel de Nantes a inexactement qualifié les faits de la cause.
En l’espèce, le délai d’apparition des symptômes, inférieur à un an, peut être considéré comme normal pour une affection liée à la myofasciite à macrophages et se caractérisant par les symptômes manifestés par l’intéressé. Il en résulte que, dans les circonstances de l’espèce, le lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et les symptômes doit être regardé comme établi et que, dès lors, la responsabilité de l’État est engagée au titre des dispositions de l’article L. 62 du code du service national.
Délai d’apparition des symptômes excédant le délai normal
La deuxième espèce (n° 472625, AJDA 2024. 2092
) est un a contrario. Une infirmière avait reçu des injections de plusieurs vaccins et développé, plus de cinq ans après la dernière injection, des douleurs musculaires et articulaires, d’asthénie et de troubles cognitifs susceptibles d’être rattachés à la myofasciite à macrophages. À l’inverse de l’arrêt précédent, le Conseil d’État estime que ce délai ne peut être regardé comme un délai normal d’apparition des symptômes susceptibles d’être rattachés à la maladie alors que les études disponibles indiquent un délai moyen compris entre un et deux ans entre la vaccination et les premiers signes cliniques de cette pathologie. Il suit de là que le lien de causalité entre les vaccinations et la pathologie ne pouvait être regardé comme établi et que, dès lors, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux ne pouvait être condamné à verser une indemnité au titre de la solidarité nationale.
Étendue du contrôle de cassation
Dans la troisième affaire (n° 466288, AJDA 2024. 2092
), le Conseil d’État précise que le juge de cassation exerce un contrôle de la qualification juridique des faits sur l’appréciation de ce qu’il n’y a aucune probabilité qu’un lien de causalité existe entre l’administration d’un vaccin obligatoire et une affection présentée par la personne vaccinée.
Si aucun lien de causalité n’a pu être établi à ce jour entre l’administration du vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques, l’hypothèse qu’un tel lien existe a été envisagée par des travaux de recherche scientifiques ayant donné lieu à des publications dans des revues reconnues, qui ont justifié une vigilance particulière des autorités sanitaires, et n’a pas été formellement démentie par les nombreuses études portant sur ce sujet. Dès lors, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat, la probabilité de l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques ne peut être regardée comme exclue.
© Lefebvre Dalloz