Inaptitude : l’incontournable obligation de reprendre le versement du salaire malgré le refus de reclassement

La circonstance que l’employeur est présumé avoir respecté son obligation de reclassement en proposant au salarié déclaré inapte un emploi prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail ne le dispense pas de verser au salarié, qui a refusé cette proposition de reclassement et qui n’a pas été reclassé dans l’entreprise à l’issue du délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise ou qui n’a pas été licencié, le salaire correspondant à l’emploi qu’il occupait avant la suspension du contrat de travail.

Le salarié déclaré inapte qui refuse la proposition de reclassement qui lui est adressée peut mettre l’employeur dans une situation délicate en ce que ce dernier se voit contraint par l’obligation posée à l’article L. 1226-4 du code du travail de reprendre le versement du salaire au terme du délai d’un mois suivant l’examen médical, si ce dernier n’a pas été licencié entre temps.

Il est dans ce contexte jugé que l’obligation de l’employeur au paiement du salaire à l’expiration du délai d’un mois n’étant pas sérieusement contestable, le juge des référés est compétent pour l’ordonner (Soc. 22 mai 1995, n° 93-44.721 P, RJS 1995. 508, n° 771 ; JCP E 1995. I. 499, n° 2, obs. Dubœuf).

La jurisprudence considère en outre que le refus par le salarié des propositions de reclassement formulées par l’employeur ne dispense pas celui-ci de verser au salarié le salaire correspondant à l’emploi qu’il occupait avant la suspension de son contrat de travail. (Soc. 18 avr. 2000, n° 98-40.314 P, D. 2000. 140  ; Dr. soc. 2000. 782, obs. J.-Y. Frouin  ; RJS 2000. 455, n° 659). Réciproquement, elle considère par ailleurs que la reprise par l’employeur du paiement des salaires ne le dispense pas de l’obligation de proposer un poste de reclassement. (Soc. 3 mai 2006, n° 04-40.721 P, D. 2006. 1401  ; Dr. soc. 2006. 802, obs. J. Savatier  ; RDT 2006. 93, obs. B. Lardy-Pélissier  ; 21 mars 2012, n° 10-12.068 P, Dalloz actualité, 11 avr. 2012, obs. J. Siro ; D. 2012. 949  ; RJS 6/2012, n° 525 ; JCP S 2012. 1260, obs. C. Puigelier).

Et c’est précisément sur le terrain de cette conjugaison entre procédure de reclassement et obligation de reprise du paiement des salaires que la chambre sociale de la Cour de cassation a eu l’occasion d’opérer un net rappel à l’occasion de l’arrêt rendu le 10 janvier 2024.

En l’espèce, une personne engagée en qualité d’agent de sécurité, a été placée en arrêt de travail puis a été déclarée inapte à son poste le 5 février 2020, le médecin du travail ayant précisé qu’il pouvait occuper un poste similaire mais sur un autre site, sans travail de nuit.

Le 10 février 2020, l’employeur lui a adressé une proposition écrite de reclassement dans un emploi d’agent de sécurité à la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) en journée à compter du 17 février 2020, proposition que le salarié a refusée le 12 février 2020.

L’employeur a ensuite convoqué le salarié à un entretien préalable le 12 mars 2020, reporté au 9 juin suivant en raison de l’épidémie de covid-19.

Le 11 mai 2020, le salarié a saisi la juridiction prud’homale, statuant en référé, d’une demande de rappel de salaire à compter du 5 mars 2020. L’intéressé a finalement été licencié le 16 juin 2020.

La juridiction d’appel le débouta de ses demandes de rappel de salaires et de dommages-intérêts pour non-paiement des salaires, de sorte que l’intéressé forma un pourvoi en cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation saisie du pourvoi va donner raison au salarié et, au visa des articles L. 1226-2, L. 1226-2-1, L. 1226-4 du code du travail, casser l’arrêt d’appel.

L’obligation de reprendre le versement des salaires rappelée

Le code prévoit en effet que lorsque le salarié victime d’une maladie ou d’un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Il est dans ce cas prévu que la proposition prenne en compte, après avis du comité social et économique, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L’article L. 1226-2-1 du code du travail précise que l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, étant précisé que l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.

Or dans le même temps, l’article L. 1226-4 du code de travail impose – si, à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n’est pas reclassé dans l’entreprise ou s’il n’est pas licencié – le versement à ce dernier, dès l’expiration de ce délai, du salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.

Peut-on toutefois considérer, dès lors que l’employeur a rempli sa part du « contrat » en tentant de reclasser le salarié sur un poste approprié, qu’il se doit tout de même de payer le salarié au titre de cet article alors que ce dernier a refusé l’emploi proposé ?

L’indifférence du respect de l’obligation de reclassement sur l’obligation de reprise du versement du salaire

Les juges d’appel avaient en l’occurrence considéré que dans la mesure où l’employeur avait respecté les conditions posées par le code du travail en matière de reclassement au sens de l’article L. 1226-2-1 du code du travail (proposition écrite de reclassement sur un emploi d’agent de sécurité à la CPAM en journée dans le strict respect des préconisations du médecin du travail émises 5 jours plus tôt lors de la visite de reprise), l’article L. 1226-4 du code du travail n’avait pas vocation à s’appliquer.

Erreur de raisonnement selon l’éminente juridiction qui va censurer la décision sur cette dernière inférence.

Les hauts magistrats vont clairement rappeler que la circonstance que l’employeur est présumé avoir respecté son obligation de reclassement en proposant au salarié déclaré inapte un emploi prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail ne le dispense pas de verser au salarié, qui a refusé cette proposition de reclassement et qui n’a pas été reclassé dans l’entreprise à l’issue du délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise ou qui n’a pas été licencié, le salaire correspondant à l’emploi qu’il occupait avant la suspension du contrat de travail.

La solution apparaît conforme à la lettre du texte de l’article L. 1226-4 qui dispose en effet que « lorsque, à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n’est pas reclassé dans l’entreprise ou s’il n’est pas licencié, l’employeur lui verse, dès l’expiration de ce délai, le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail ». Or une proposition de reclassement refusée par le salarié n’équivaut pas juridiquement et dans les faits, à un salarié « reclassé dans l’entreprise ».

La position de la chambre sociale ne surprend pas et vient confirmer la tendance esquissée jusqu’alors d’une interprétation stricte de l’exigence pesant sur l’employeur de reprise du paiement des salaires posée à l’article L. 1226-4 du code du travail.

Ainsi peut-on rappeler qu’il est par ailleurs jugé que l’obligation de reprendre le versement du salaire d’un travailleur déclaré inapte à son emploi, qui n’est ni reclassé, ni licencié à l’expiration du délai d’un mois s’applique même si le médecin du travail a constaté l’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise (Soc. 16 févr. 2005, n° 02-43.792 P, D. 2005. 794, obs. E. Chevrier  ; Dr. soc. 2005. 578, obs. J. Savatier ), qu’il ne peut être substitué à cette obligation de reprise du paiement du salaire le paiement d’une indemnité de congés payés non pris, ni contraindre le salarié à prendre ses congés (Soc. 3 juill. 2013, n° 11-23.687 P, D. 2013. 1752  ; RJS 10/2013, n° 669), ou encore que cette obligation de reprise de versement du salaire s’applique, peu important que le salarié ait retrouvé un nouvel emploi à temps plein (Soc. 4 mars 2020, n° 18-10.719 P, D. 2020. 606  ; JA 2021, n° 637, p. 39, étude P. Fadeuilhe  ; Dr. soc. 2020. 567, obs. J. Mouly  ; RJS 6/2020, n° 281).

L’on relèvera la particulière rigueur de la solution d’espèce qui vient ajouter au caractère péremptoire de l’obligation posée par l’article L. 1226-4, où l’employeur a dû supporter cette obligation alors même qu’il pouvait expliquer la longueur de la procédure de licenciement par le report de l’entretien du fait de la survenance de la pandémie de covid-19 en mars 2020.

L’employeur devra ainsi se montrer particulièrement réactif dans le déploiement de la procédure de reclassement précédant le licenciement, faute de quoi il ne pourra pas échapper au paiement des salaires du salarié qu’il ne peut par ailleurs pas employer du fait de son inaptitude et de son refus d’occuper un poste sortant de sa qualification contractuelle.

 

© Lefebvre Dalloz