Inaptitude : précision sur le point de départ du délai de l’action en paiement des salaires

Le délai de prescription de l’action en paiement des salaires dont le versement doit être repris par l’employeur à partir de l’expiration du délai d’un mois suivant la déclaration d’inaptitude, dans les conditions fixées à l’article L. 1226-4, court à compter de la date d’exigibilité de chacune des créances de salaire dues jusqu’à la rupture du contrat de travail.

Le droit processuel et en particulier celui relatif aux prescriptions souffre généralement d’assez peu d’hésitation lorsqu’il s’agit de déterminer la durée. Non moins essentiel à déterminer, le point de départ du délai est quant à lui beaucoup plus sujet à discussion. Ainsi est-il classique que l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit désormais par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande pouvant porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat (C. trav., art. L. 3245-1). Dans le même temps, la jurisprudence retient traditionnellement que la prescription court à compter de la date d’exigibilité de chacune des créances salariales revendiquées (Soc. 24 avr. 2013, n° 12-10.196 P (1er moyen), Dalloz actualité, 21 mai 2013, obs. J. Siro ; D. 2013. 1144, obs. C. de presse ; ibid. 2599, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2013. 497, obs. M.-A. Souriac ; 14 nov. 2013, n° 12-17.409 P, D. 2013. 2703 ; ibid. 2014. 302, chron. P. Flores, F. Ducloz, C. Sommé, E. Wurtz, S. Mariette et A. Contamine ; RDT 2014. 475, obs. G. Pignarre ; RJS 1/2014, n° 44).

Comment conjuguer ces règles en présence d’une demande de paiement des salaires au titre des articles L. 1226-4 et L. 1226-11, qui prévoit, à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail du salarié déclaré inapte et non reclassé ou licencié, l’obligation pour l’employeur de lui verser le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail ?

Doit-on considérer l’expiration du délai d’un mois comme le point de départ d’une créance exigible ou raisonner par échéance de salaire mensuelle ? C’est à cette question que l’arrêt du 7 mai 2024 rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation apporte une réponse sans ambages.

En l’espèce, une salariée embauchée en qualité d’employée de pharmacie a été déclarée inapte à son emploi par le médecin du travail, puis licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

L’intéressée a alors engagé devant la juridiction prud’homale une action en paiement, entre autres demandes, des salaires d’août 2012 à septembre 2013, soit la période d’obligation pour l’employeur de reprendre le paiement des salaires à la suite du mois suivant la déclaration d’inaptitude, en l’absence de reclassement.

Les juges du fond déboutèrent l’intéressée de sa demande, considérant que le point de départ de la prescription devait être fixé un mois après la décision d’inaptitude, et non à la date d’exigibilité des salaires réclamés.

La salariée forma alors un pourvoi en cassation que la chambre sociale va accueillir favorablement en cassant la décision des juges d’appel au visa des articles L. 1226-4, L. 3242-1 et L. 3245-1 du code du travail.

Le code du travail prévoit en effet que l’employeur est tenu de verser au salarié victime d’une maladie ou d’un accident non professionnel, qui n’est pas reclassé dans l’entreprise à l’issue du délai d’un mois à compter de la date de l’examen de reprise du travail ou qui n’est pas licencié, le salaire correspondant à l’emploi qu’il occupait avant la suspension de son contrat de travail.

La loi prévoit en outre que l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Un point de départ de prescription apprécié à la date d’exigibilité de chaque salaire mensuel

La chambre sociale de la Cour de cassation va, dans son arrêt, déduire de la lecture combinée des articles L. 3245-1 et L. 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. En d’autres termes, pour les salariés payés au mois, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise et concerne l’intégralité du salaire afférent au mois considéré.

Or les juges d’appel avaient ici considéré que le droit de la salariée au paiement des salaires d’août 2012 à septembre 2013 découlait des dispositions de l’article L. 1226-4 ou L. 1226-11 du code du travail et que le délai de prescription applicable à la demande en paiement des salaires devait avoir pour point de départ l’expiration du délai d’un mois, de sorte que la salariée devait agir avant le 3 août 2015, alors qu’elle a saisi le conseil de prud’hommes le 1er mars 2016.

Erreur de raisonnement selon les hauts magistrats, qui vont affirmer que le délai de prescription de l’action en paiement des salaires dont le versement doit être repris par l’employeur à partir de l’expiration du délai d’un mois suivant la déclaration d’inaptitude court à compter de la date d’exigibilité de chacune des créances de salaire dues jusqu’à la rupture du contrat de travail.

Le terme « chacune » des créances mobilisées par l’éminente juridiction est essentiel, en ce qu’il permet de raisonner avec une prescription glissante, évitant toute cristallisation d’une prescription à la seule date de l’expiration du mois à partir duquel naît l’obligation de verser les salaires à la suite de la déclaration d’inaptitude. Cette solution, résolument favorable au salarié, s’inscrit en cohérence avec la jurisprudence esquissée préalablement, qui avait déjà pu poser le principe selon lequel la prescription court à compter de la date d’exigibilité de chacune des créances salariales revendiquées (v. not., Soc. 24 avr. 2013, n° 12-10.196, préc.).

La solution nous apparaît cohérente en ce que la valorisation du droit à paiement des salaires fondé sur l’article L. 1226-4 est par essence évolutive en cas d’inertie de l’employeur, le temps jouant en sa défaveur. Il eut été difficilement audible de figer la prescription de l’entière valorisation au premier jour d’exigibilité de la première créance salariale sans contrarier les principes édictés en matière de prescription.

Enfin pourra-t-on préciser que, bien que l’arrêt soit rendu au visa de l’article L. 1226-4, force est d’admettre que le raisonnement devrait avoir vocation à s’étendre au mécanisme identique prévu à l’article L. 1226-11 relatif à l’inaptitude professionnelle, leur régime juridique étant sur ce point semblable.

 

Soc. 7 mai 2024, F-B, n° 22-24.394

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