Inconstitutionnalité de la compétence de la chambre de l’instruction pour statuer sur une requête en restitution postérieurement à un procès d’assises

Le fait que la chambre de l’instruction, qui rend ses décisions en dernier ressort, soit en charge du contentieux des difficultés d’exécution liées aux confiscations prononcées par des cours d’assises crée une distinction injustifiée entre les tiers propriétaires qui soulèvent un incident contentieux relatif à l’exécution d’une peine de confiscation.

L’intervention du législateur pour transférer à la chambre de l’instruction la compétence pour statuer sur la requête en restitution relevant de l’article 710 du code de procédure pénale à la chambre de l’instruction

La Cour de cassation a admis, sur le terrain général de l’article 710 du code de procédure pénale relatif aux difficultés d’exécution, la possibilité pour un « tiers » de solliciter la restitution du bien leur appartenant, et ce sans que puisse lui être opposée l’autorité de la chose jugée de la décision de confiscation (Crim. 20 mai 2015, n° 14-81.741 P, Dalloz actualité, 30 juin 2015, obs. C. Fonteix ; D. 2015. 1210  ; AJ pénal 2015. 441, obs. L. Ascensi  ; 10 avr. 2019, n° 18-85.370 P, D. 2019. 762  ; ibid. 1626, obs. J. Pradel  ; AJ pénal 2019. 401, obs. J. Hennebois  ; RSC 2019. 662, obs. R. Parizot  ; 4 nov. 2021, n° 21-80.487 B ; 5 oct. 2022, n° 21-86.043 B, Dalloz actualité, 20 oct. 2022, obs. Fauchon ; D. 2022. 1808  ; AJ pénal 2022. 545 et les obs. ). Cette catégorie inclut toute personne n’ayant fait l’objet d’aucune condamnation pénale, dont le titre de propriété est inconnu et qui n’a pas réclamé cette qualité en cours de procédure et dont le bien a été confisqué. Il ne s’agit pas d’une hypothèse d’école, puisque l’article 131-21 du code pénal permet de confisquer des biens dont le condamné a seulement la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi.

Les dispositions de l’article 710 du code de procédure pénale ont fini par être modifiées par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, tout en créant une différence de traitement entre les propriétaires non condamnés pénalement de biens confisqués selon que la confiscation a été prononcée par un tribunal correctionnel ou par une cour d’assises. En effet, « dans l’esprit d’origine de [l’article 710 du code de procédure pénale], c’est la juridiction même qui a rendu la décision qui est compétente pour expliciter son intention d’origine ou corriger l’erreur qu’elle a elle-même commise » (Rép. pén., v° Incidents contentieux d’exécution des sentences pénales, par M. Herzog-Evans, n° 71). En d’autres termes, il appartient à la juridiction qui a rendu la décision de déterminer le sens à lui accorder. Mais ce schéma n’a pas été suivi par le législateur pour les arrêts rendus par les cours d’assises. En effet, l’article 710, alinéa 2, du code de procédure pénale attribue à la chambre de l’instruction « le contentieux relatif aux crimes […] confié par l’article 710 ». Cette différence semble trouver une explication dans le principe de bonne administration de la justice. La cour d’assises est une « juridiction temporaire au domaine spécial et limité au jugement des crimes ». Elle serait ainsi « incompétente pour réparer ses erreurs matérielles ou omissions, même s’agissant de décisions civiles » (Crim. 27 sept. 2000, n° 99-87.598 P, D. 2000. 280  ; M. Herzog-Evans, préc., n° 72).

La transmission d’une QPC

Par un arrêt du 29 novembre 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par laquelle une société faisait valoir que le deuxième alinéa de l’article 710 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, qui permet à un tiers resté extérieur à la procédure de solliciter la restitution du bien lui appartenant en portant son incident contentieux d’exécution devant la chambre de l’instruction, qui connaît des incidents auxquels peuvent donner lieu les arrêts de la cour d’assises, méconnaîtrait le principe d’égalité devant la loi et le droit à un recours effectif (v. a contrario, pour la non-transmission d’une QPC reprochant l’impossibilité d’exercer le droit au recours lorsque la difficulté d’exécution résulte d’un arrêt prononcé à hauteur d’appel, Crim. 5 avr. 2023, n° 22-85.904). La Cour de cassation relève que « les dispositions contestées sont susceptibles de procéder à une distinction injustifiée entre les propriétaires non condamnés pénalement de biens confisqués et d’ainsi méconnaître le principe d’égalité devant la justice ».

La résolution de la QPC dans le sens de l’inconstitutionnalité

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 6 mars 2024, s’inscrit lui-même dans cette logique et considère : « une telle distinction, qui n’est au demeurant pas justifiée par la nature criminelle ou correctionnelle de la peine, est sans lien avec l’objet des dispositions contestées, qui est de permettre à ce tiers propriétaire de solliciter, par la voie de l’incident contentieux, la restitution du bien confisqué. Dès lors, les dispositions contestées procèdent à une distinction injustifiée entre les tiers propriétaires qui soulèvent un incident contentieux relatif à l’exécution d’une peine de confiscation. Elles méconnaissent donc le principe d’égalité devant la justice ».

Dans le cas où la peine est prononcée par une cour d’assises, même si celle-ci statue en première instance, les dispositions critiquées renvoient le requérant devant la chambre de l’instruction pour connaître de l’incident, dont les décisions sont quant à elles systématiquement rendues en dernier ressort en application de l’article 567 du code de procédure pénale. Le Conseil constitutionnel reporte néanmoins au 1er mars 2025 la date de l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles.

Cette décision constitue une avancée supplémentaire dans la protection des droits des tiers dans les procédures de confiscation, en faisant primer le droit à un double degré de juridiction sur le principe d’une bonne administration de la justice, même lorsque ces tiers interviennent, avec retard mais parce qu’ils n’ont pu agir autrement, dans la phase postérieure au jugement.

 

Cons. const. 6 mars 2024, n° 2023-1080 QPC

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