Inconstitutionnalité de la peine complémentaire obligatoire d’incapacité professionnelle et élective
Le 4° de l’article 459 du code des douanes, tel qu’il ressort de l’ordonnance n° 2020-1342 du 4 novembre 2020, est contraire au principe constitutionnel d’individualisation des peines.
 
                            En matière cambiaire, et plus spécialement encore s’agissant des infractions à la législation relative aux relations financières avec l’étranger, l’appréhension est délicate. L’article 459 du code des douanes vise en effet « le non-respect des obligations de déclaration ou de rapatriement, la non-observation des procédures et des formalités prévues tant par le droit national que par les textes communautaires » (C. douane, art. 459). Sans rentrer plus en amont dans le détail de cette incrimination (nous renvoyons not., à ce titre, au Rép. pén., v° Douanes – Principales infractions douanières, par. C.-J. Berr, nos 116 s.), convenons que parmi les sanctions qui peuvent être prononcées figure, au 4° de l’article 459 du code des douanes, l’incapacité d’exercer les fonctions d’agent de change, d’être électeurs ou élus aux chambres de commerce, tribunaux de commerce et conseils de prud’hommes. Bref, il s’agit là d’une peine d’incapacité professionnelle et élective, intégrée à l’arsenal normatif par l’ordonnance n° 2020-1342 du 4 novembre 2020 renforçant le dispositif de gel des avoirs et d’interdiction de mise à disposition, dont le caractère obligatoire était contesté.
Devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, un individu s’était plaint de la disposition instituant cette peine (Crim., QPC, 13 mars 2024, n° 23-90.027, RTD com. 2024. 456, obs. B. Bouloc  ; JCP 2024, n° 563, note S. Detraz). Plus spécialement, il lui reprochait d’instituer une peine complémentaire obligatoire d’incapacité qui s’appliquerait automatiquement, sans que le juge pénal puisse en moduler la durée, en violation, donc, du principe d’individualisation des peines (Cons. const. 22 juill. 2005, n° 2005-520 DC). Estimant qu’elle présentait un caractère « sérieux », la chambre criminelle décidait alors de renvoyer la question devant le Conseil constitutionnel.
 ; JCP 2024, n° 563, note S. Detraz). Plus spécialement, il lui reprochait d’instituer une peine complémentaire obligatoire d’incapacité qui s’appliquerait automatiquement, sans que le juge pénal puisse en moduler la durée, en violation, donc, du principe d’individualisation des peines (Cons. const. 22 juill. 2005, n° 2005-520 DC). Estimant qu’elle présentait un caractère « sérieux », la chambre criminelle décidait alors de renvoyer la question devant le Conseil constitutionnel.
Contours de la peine d’incapacité professionnelle et élective
Il est vrai que la lecture des travaux préparatoires de la loi du 24 décembre 1969, dont est issue cette disposition, nous permet d’observer qu’elle institue une sanction ayant le caractère d’une punition. Il ressort de la décision de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité que la peine complémentaire d’incapacité que cette disposition prévoit doit obligatoirement être prononcée par le juge pénal en cas de condamnation.
De prime abord, cette sanction ne pose pourtant pas de particulière difficulté. Comme les autres sanctions prévues par l’article 459 du code des douanes, le juge peut dispenser le coupable de cette peine complémentaire ou l’assortir du sursis (C. douane, art. 369, f). Quelle raison, alors, pourrait conduire à son inconstitutionnalité ? Pour répondre à cette question, il semble nécessaire de revenir sur la catégorie des peines complémentaires, à l’aune de la jurisprudence constitutionnelle.
Les peines complémentaires permettent, comme leur nom l’indique, de compléter la peine principale. À cet égard, deux types de peines complémentaires peuvent être recensées : les peines complémentaires obligatoires que le juge est tenu de prononcer en sus de la peine principale ; et les peines complémentaires facultatives, que le juge peut choisir de prononcer (v. not., Rép. pén., v° Peines complémentaires, par A. Beziz-Ayache, n° 7). S’agissant des premières, le Conseil constitutionnel a déjà pu affirmer que « la peine complémentaire obligatoire ne porte pas atteinte au principe d’individualisation des peines », dès lors que la juridiction qui la prononce peut l’accompagner d’une dispense de peine, en moduler la durée ou l’étendue (Cons. const. 16 oct. 2015, n° 2015-493 QPC, D. 2015. 2080  ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail
 ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail  ; AJCT 2016. 171, obs. O. Didriche
 ; AJCT 2016. 171, obs. O. Didriche  ; Constitutions 2015. 593, chron. X. Bioy
 ; Constitutions 2015. 593, chron. X. Bioy  ; ibid. 642, Décision
 ; ibid. 642, Décision  ). Pour le dire autrement, qu’importe que la peine complémentaire soit obligatoire, dès lors que la juridiction de jugement peut, dans sa décision, adapter son application aux circonstances de l’infraction et à la personnalité de celui qui va la subir.
). Pour le dire autrement, qu’importe que la peine complémentaire soit obligatoire, dès lors que la juridiction de jugement peut, dans sa décision, adapter son application aux circonstances de l’infraction et à la personnalité de celui qui va la subir.
L’inconstitutionnalité de la peine d’incapacité professionnelle et élective
Il est d’abord à rappeler que les peines douanières ne relèvent pas des dispositions générales (C. pén., art. 132-1 à 132-20) relatives à l’individualisation des peines correctionnelles (Crim. 9 juin 2022, n° 21-84.748, Dalloz actualité, 24 juin 2022, obs. M. Dominati ; D. 2022. 2118, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire  ; AJ pénal 2022. 382 et les obs.
 ; AJ pénal 2022. 382 et les obs.  ). Leur régime est spécialement prévu par l’article 369 du code des douanes, qui conduit à une application particulière du principe d’individualisation (Crim. 7 févr. 2024, n° 22-83.659, Dalloz actualité, 28 févr. 2024, obs. M. Dominati ; D. 2024. 262
). Leur régime est spécialement prévu par l’article 369 du code des douanes, qui conduit à une application particulière du principe d’individualisation (Crim. 7 févr. 2024, n° 22-83.659, Dalloz actualité, 28 févr. 2024, obs. M. Dominati ; D. 2024. 262  ; AJ pénal 2024. 167 et les obs.
 ; AJ pénal 2024. 167 et les obs.  ; RTD com. 2024. 455, obs. B. Bouloc
 ; RTD com. 2024. 455, obs. B. Bouloc  ; 30 mai 2018, n° 17-86.290, RSC 2018. 697, obs. S. Detraz
 ; 30 mai 2018, n° 17-86.290, RSC 2018. 697, obs. S. Detraz  ; RTD com. 2018. 807, obs. B. Bouloc
 ; RTD com. 2018. 807, obs. B. Bouloc  ; JCP E 2018, n° 1368 ; Dr. pénal 2018, n° 132, obs. J.-H. Robert ; Procédures 2018, n° 270, obs. A.-S. C.-L). Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà affirmé que l’on ne saurait assimiler l’individualisation d’une amende pénale à celle d’une amende douanière, par exemple (Crim. 7 déc. 2022, n° 21-85.993, Dalloz actualité, 18 janv. 2023, obs. P. Dufourq ; AJ pénal 2023. 51 et les obs.
 ; JCP E 2018, n° 1368 ; Dr. pénal 2018, n° 132, obs. J.-H. Robert ; Procédures 2018, n° 270, obs. A.-S. C.-L). Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà affirmé que l’on ne saurait assimiler l’individualisation d’une amende pénale à celle d’une amende douanière, par exemple (Crim. 7 déc. 2022, n° 21-85.993, Dalloz actualité, 18 janv. 2023, obs. P. Dufourq ; AJ pénal 2023. 51 et les obs.  ; RTD com. 2023. 251, obs. B. Bouloc
 ; RTD com. 2023. 251, obs. B. Bouloc  ).
).
Il n’en va pas différemment, s’agissant de la peine cambiaire prévue par le 4° de l’article 459 du code des douanes. En la matière, la juridiction qui entend prononcer cette peine peut « dispenser le coupable des sanctions pénales prévues par le présent code, ordonner qu’il soit sursis à leur exécution, décider que la condamnation ne soit pas mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire » (C. douanes, art. 369, f). C’est là toute la problématique présentée au Conseil constitutionnel à l’aune de la question prioritaire de constitutionnalité.
Pour rappel, le requérant reprochait à ces dispositions d’instituer une peine complémentaire d’incapacité qui s’appliquerait automatiquement et sans que le juge pénal ne puisse en moduler la durée, en méconnaissance, donc, du principe d’individualisation des peines (consid. 2 de la présente décision). Or, si effectivement le juge peut ici décider de prononcer une dispense de peine, ou l’accompagner d’un sursis, on ne peut qu’observer qu’il ne peut en moduler la durée. Plus exactement encore, il ne peut intervenir qu’en aval, pour relever le condamné de cette peine après un certain temps d’exécution. Pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel, il ne peut donc pas, dans sa décision « en moduler la durée pour tenir compte des circonstances propres à chaque espèce » (consid. 7). De cela découle la déclaration d’inconstitutionnalité de cette disposition, en son 4°.
Cons. const. 12 juin 2024, n° 2024-1096 QPC
© Lefebvre Dalloz