Indemnisation de l’employeur partie civile

L’indemnisation du préjudice de l’employeur directement causé par une infraction commise par un salarié n’est pas conditionnée à la démonstration d’une faute lourde ou d’une intention de nuire du salarié à l’encontre de la partie civile.

À l’origine de l’arrêt commenté se trouve un préjudice causé par un salarié à son employeur et consistant en des frais engendrés par l’opération de dépannage et de réparation d’un tracteur, d’une remorque et d’un container. La spécificité est que le salarié a été déclaré coupable, par le tribunal correctionnel, des chefs de conduite d’un véhicule en ayant fait usage de cannabis en récidive et conduite d’un véhicule à une vitesse excessive eu égard aux circonstances, et que le comportement à l’origine de cette condamnation a causé ledit préjudice à l’employeur. L’appel et le pourvoi en cassation se sont limités aux dispositions civiles. Le cas d’espèce apporte ainsi des précisions sur l’indemnisation de l’employeur, partie civile, pour une infraction commise par son salarié.

Avant d’apprécier la portée de l’arrêt et afin d’appréhender la décision, il importe de s’intéresser aux différents régimes de responsabilité évoqués par le demandeur et les magistrats.

La coexistence de régimes de responsabilité

L’arrêt commenté retranscrit une autonomie des régimes de responsabilité expliquée par leur objet.

Une autonomie des régimes de responsabilité

Même si la portée de l’arrêt se justifie, il importe en premier lieu de relever un usage, de prime abord, opaque des dispositions législatives. En effet, le demandeur au pourvoi – salarié –, pour contester l’arrêt de la cour d’appel l’ayant condamné à indemniser la partie civile – son employeur – pour la dégradation de matériel professionnel, se fonde sur l’article 1242 du code civil selon lequel « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde (…). Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés (…) ». Pourtant, en réponse, la Cour de cassation ne mentionne explicitement qu’une disposition du code de travail relative aux règles de droit disciplinaire du travail. En réalité, les juges se fondent également sur des règles de droit civil d’origine prétorienne.

L’arrêt commenté fait ainsi référence aux règles de droit civil, de droit du travail et de droit pénal. Ce qui peut complexifier la compréhension de la décision par le lecteur. Si la motivation de l’arrêt aurait mérité davantage de précision afin de répondre de manière claire et précise au moyen du demandeur et assurer une pleine compréhension au lecteur du raisonnement, il nous faut identifier l’autonomie de ces régimes de responsabilité. L’objet de chacun de ces régimes doit être explicité afin d’appréhender leur articulation et comprendre la portée de l’arrêt.

L’articulation des régimes de responsabilité

L’arrêt commenté oppose plusieurs pans du droit, à savoir le droit civil, le droit du travail et le droit pénal, et génère un questionnement quant à leur articulation.

En ce sens, le droit du travail a vocation à régir la relation de travail : l’employeur dispose d’un pouvoir disciplinaire sur ses salariés, pouvoir devant être exercé dans l’intérêt du bon fonctionnement de l’entreprise (Soc. 15 déc. 1961, D. 1962. 306). Le droit pénal, quant à lui, poursuit la répression des comportements infractionnels (poursuite du bon fonctionnement de la société) et peut statuer, sur demande de la partie civile, quant à la réparation du préjudice subi (action publique/action civile). En droit civil, le régime de responsabilité est contractuel ou délictuel, ce dernier étant fondé sur une faute de nature civile ou un fait générateur ayant causé un préjudice à autrui. Le code civil prévoit par ailleurs des régimes de responsabilité du fait d’autrui ou des choses. Le demandeur au pourvoi se fondait sur la disposition du code civil relative au régime du fait des commettants, lequel est susceptible de s’appliquer en cas de dommage causé par un préposé à un tiers dans l’exercice de ses fonctions : n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant (Cass., ass. plén., 25 févr. 2000, n° 97-17.378, D. 2000. 673 , note P. Brun ; ibid. 467, obs. P. Delebecque ; RDSS 2001. 134, obs. J.-M. Lhuillier ; RTD civ. 2000. 582, obs. P. Jourdain ).

La Cour de cassation a considéré explicitement que les règles de droit du travail ne s’appliquent pas à la réparation du dommage subi par l’employeur et causé par un salarié par un comportement ayant abouti à une condamnation pénale. La mise en œuvre de l’article 1242 du code civil a également été écartée, même si les juges n’ont pas motivé leur décision. Ce positionnement est fondé dans la mesure où un comportement étranger à l’exécution de la relation de travail est à l’origine du préjudice causé à l’employeur.

Les règles applicables étant appréhendées, il importe de s’intéresser à la portée de l’arrêt.

L’autonomie de la réparation du préjudice résultant d’une infraction pénale

La Cour de cassation distingue la faute lourde du salarié du dol général du droit pénal, aboutissant ainsi à une décision à saluer.

La plénitude du dol général du droit pénal

Depuis un arrêt du 27 novembre 1958 (D. 1959. 20, note Lindon ; JCP 1959. II. 11143, note Brèthe de La Gressaye), la chambre sociale de la Cour de cassation conditionne la responsabilité civile du salarié envers l’employeur à une faute lourde assimilable au dol. Ainsi, l’employeur peut engager la responsabilité pécuniaire d’un salarié devant le juge civil si celui-ci s’est rendu coupable d’une telle faute, laquelle est caractérisée dès lors qu’il existe une intention de nuire à l’employeur.

Les juges de la Haute juridiction sont allés plus loin en 1990 en nécessitant la caractérisation d’une intention de nuire à l’employeur, impliquant la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif (Soc. 29 nov. 1990, n° 88-40.618 P, D. 1991. 6 ; Dr. soc. 1991. 99, note J. Savatier ; ibid. 105, note G. Couturier ; 5 déc. 1996, n° 93-44.073 P, Dr. soc. 1997. 195, obs. G. Couturier ; 8 févr. 2017, n° 15-21.064, Dalloz actualité, 3 mars 2017, obs. J. Cortot ; D. 2017. 411 ; ibid. 840, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2017. 378, obs. J. Mouly ; RDT 2017. 264, obs. P. Adam ). La faute lourde du salarié se distingue ainsi du dol général du droit pénal. Ces principes prétoriens s’appliquent seulement vis-à-vis de l’employeur et limitent considérablement l’engagement de la responsabilité civile du salarié envers ce dernier pour manquement à ses obligations contractuelles, le droit disciplinaire étant de fait privilégié. Or, en droit du travail, les sanctions pécuniaires sont prescrites (C. trav., art. L. 1331-2).

Au soutien de son pourvoi, le salarié relevait justement que la responsabilité pécuniaire d’un salarié à l’égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde ou de ses infractions intentionnelles. Il soutenait que le fait pour le salarié d’avoir eu une conduite dangereuse lors de l’exécution de son contrat de travail n’était constitutif ni d’une infraction intentionnelle ni d’une faute lourde, ce qui in fine privait l’employeur de toute indemnisation.

Par l’arrêt commenté, la Cour de cassation vient opérer une distinction lorsque le comportement du salarié ayant causé un préjudice à l’employeur a fait l’objet d’une condamnation pénale. La Haute juridiction a affirmé que l’accident, au cours duquel le véhicule de la société a été abîmé, a causé à cette dernière un préjudice dont elle a le droit d’obtenir l’indemnisation, ce qui ne constitue pas une sanction pécuniaire interdite par l’article L. 1331-2 du code du travail, mais la réparation d’un dommage causé à une partie civile par ces infractions. Or, en la matière, les juges n’ont à caractériser ni une faute lourde ni une intention de nuire à l’encontre de la partie civile. La Haute juridiction a ainsi validé le positionnement des juges du second degré ayant condamné le salarié à indemniser son employeur.

Une autonomie justifiée

Le positionnement des juges de la Cour de cassation est légitime et à saluer. La décision contraire aurait été difficile à justifier et aurait abouti à consacrer une quasi-immunité pécuniaire du salarié vis-à-vis de son employeur. Juridiquement, une divergence d’application des principes du droit pénal à la sphère professionnelle ne peut s’expliquer. Tout l’enjeu sera de s’assurer que le préjudice allégué a bien été causé de manière certaine et directe par le comportement infractionnel pénalement réprimé.

 

Crim. 14 janv. 2025, F-B, n° 24-81.365

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