Indemnisation du passager aérien en cas de refus d’embarquement anticipé

En cas de refus d’embarquement anticipé (en l’occurrence plus de deux semaines avant la date du vol) par la compagnie aérienne, l’indemnisation pour refus d’embarquement est due même si le passager concerné se s’est pas présenté à l’enregistrement.

Encore un arrêt favorable aux intérêts du passager aérien ! Il n’est pas ici question de retard important ou d’annulation de vol, mais de refus d’embarquement par la compagnie aérienne, situation heureusement peu fréquente, mais qui, comme les précédentes, donne droit, en application du règlement (CE) n° 261/2004 du 11 février 2004, à indemnisation. La question du refus d’embarquement est traitée par l’article 4 du règlement. La Cour de justice de l’Union européenne vient de juger que, en cas de refus d’embarquement anticipé (en l’occurrence plus de deux semaines avant la date du vol), l’indemnisation pour refus d’embarquement prévue par le règlement (CE) n° 261/2004 est due, cela même si le passager concerné se s’est pas présenté à l’enregistrement.

Le contexte

Pour que la solution dégagée soit parfaitement comprise, les faits de l’espèce méritent d’être brièvement exposés. Il s’agit d’une passagère ayant réservé auprès de la compagnie aérienne chilienne Latam Airlines des vols aller-retour entre l’Allemagne et l’Espagne, précisément entre Francfort et Madrid. Le vol aller était prévu pour le 22 décembre 2017, le vol retour pour le 7 janvier 2018. Face à l’impossibilité de s’enregistrer en ligne sur le vol aller le 21 décembre 2017, la passagère a contacté Latam Airlines. Cette dernière lui a alors indiqué qu’elle avait, unilatéralement et sans l’en informer préalablement, modifié sa réservation en la transférant sur un vol antérieur, qui devait être effectué le 20 décembre 2017. Lors de cette communication, Latam Airlines a également informé la passagère que sa réservation pour le vol retour du 7 janvier 2018 avait été bloquée, au motif qu’elle n’avait pas pris le vol aller. Il s’agit là, à l’évidence, de l’application de la clause dite « no show », fréquemment stipulée par les compagnies aériennes, selon laquelle la non-présentation au vol aller entraîne l’annulation par la compagnie du billet retour alors que le voyageur a payé l’aller et le retour (sur la validité de cette clause, v. Rép. min. n° 12798, JO Sénat, 18 mars 2021, p. 1852). En conséquence, dans l’affaire jugée, la passagère a été obligée de réserver auprès d’une autre compagnie aérienne tant un vol aller qu’un vol retour et a dû payer 528,23 € les billets correspondants. Avant que n’éclate le litige, Latam Airlines lui avait toutefois remboursé un montant de 101,55 €.

La passagère a malgré tout saisi une juridiction allemande, le Tribunal de district de Francfort, d’une demande d’indemnisation. Elle obtient partiellement gain de cause, puisque cette juridiction a condamné Latam Airlines à lui verser, à titre de dommages-intérêts, une somme de 426,68 €, correspondant au solde du coût de ces billets, ainsi qu’une indemnisation de 250 € en vertu des articles 5 et 7 du règlement (CE) n° 261/2004, textes qui concernent l’indemnisation du passager pour annulation (selon cet article 7, le montant de l’indemnisation s’élève à 250 € pour tous les vols de 1 500 km au moins). Cette juridiction a, en effet, considéré la modification de la réservation du vol aller que devait assurer Latam Airlines comme une annulation. Sur ce point, ce jugement est devenu définitif.

La juridiction allemande a, en revanche, rejeté la seconde demande de la passagère, celle tendant à obtenir une indemnisation supplémentaire de 250 € auprès de Latam Airlines en raison du refus d’embarquement sur le vol retour qu’elle avait réservé auprès de ce transporteur aérien. La passagère a fait appel du jugement sur ce point devant le Tribunal régional de Francfort.

La juridiction d’appel estime que la présente affaire soulève deux questions d’interprétation du règlement (CE) n° 261/2004. Tout d’abord, elle se demande si un refus d’embarquement, au sens de l’article 4 de ce règlement, peut être caractérisé lorsqu’un transporteur aérien effectif informe, en amont, un passager qu’il refusera de le laisser embarquer sur un vol pour lequel celui-ci dispose d’une réservation confirmée. Dans l’affirmative, se poserait alors la question de savoir si l’article 5, § 1, sous c), i), dudit règlement, qui se rapporte à l’annulation d’un vol, est susceptible de s’appliquer par analogie en cas de refus d’embarquement. Précisément, selon cet article, les passagers ont droit à l’indemnisation prévue à l’article 7 du règlement, « à moins qu’ils soient informés [au moins deux semaines à l’avance] de l’annulation du vol ».

Le Tribunal régional de Francfort a préféré surseoir à statuer et a saisi la Cour de justice sur le point de savoir si l’indemnisation du passager présuppose, selon le règlement (CE) n° 261/2004, que le passager se soit présenté à l’enregistrement malgré le fait que la compagnie aérienne l’a informé à l’avance qu’il ne serait pas autorisé à embarquer. Cette juridiction souhaite également savoir si la compagnie aérienne peut, comme cela est prévu pour les annulations de vol, s’exonérer de l’obligation d’indemnisation lorsqu’elle prévient le passager du refus d’embarquement suffisamment de temps à l’avance, c’est-à-dire au moins deux semaines avant l’heure de départ du vol prévue.

La solution : le rejet du raisonnement par analogie s’il ne profite pas au passager

Ce à quoi la Cour de justice répond en constatant, tout d’abord, que, en cas de refus d’embarquement anticipé, l’indemnisation pour refus d’embarquement est due même si le passager concerné se s’est pas présenté à l’enregistrement. On peut au passage se demander si le règlement (CE) n° 261/2004, en son article 3, § 2, sous a), ne confond pas présentation à l’enregistrement et à l’embarquement. En effet, de nos jours l’enregistrement s’effectue quelques jours avant la date prévue pour le vol, de manière dématérialisée (par internet), éventuellement de chez soi et non plus à l’aéroport auprès du guichet de la compagnie. Nul besoin, par conséquent, de se « présenter » physiquement auprès de la compagnie aérienne pour procéder à l’enregistrement de son vol. La Cour considère, en effet, que lorsque le transporteur aérien a informé à l’avance le passager qu’il refusera de le laisser embarquer contre sa volonté sur un vol pour lequel ce passager dispose d’une réservation confirmée, l’exigence de se présenter à l’enregistrement serait une « formalité inutile » (pt 36).

La Cour affirme ensuite que le droit à indemnisation de l’article 7 du règlement (CE) n° 261/2004 s’applique même si le passager a été informé du refus d’embarquement au moins deux semaines avant l’heure de départ du vol prévue. En effet, il n’y a pas de raison d’appliquer aux refus d’embarquement la règle, prévue à l’article 5, § 1, sous c), i), du règlement (CE) n° 261/2004, uniquement pour les annulations de vol, selon laquelle les transporteurs aériens sont libérés de leur obligation d’indemniser les passagers s’ils les informent de l’annulation du vol au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue.

L’arrêt est intéressant du point de vue du raisonnement qu’emploie la Cour. Celle-ci use de sa classique méthode téléologique : les textes du règlement doivent être interprétés eu égard à l’objectif de celui-ci, qui est de garantir un niveau élevé de protection des passagers (consid. 1). Dès lors, le raisonnement par analogie doit être écarté s’il aboutit, dans le contexte d’un refus d’embarquement, à réduire la portée du droit à indemnisation figurant à l’article 4, § 3, du règlement (CE) n° 261/2004 (pt 47). Ainsi, l’exception au droit à indemnisation des passagers en cas d’annulation d’un vol prévue à l’article 5, § 1, sous c), i) du règlement (CE) n° 261/2004 (qui s’applique, on l’a dit, lorsqu’un passager a été informé, au moins deux semaines avant l’heure de départ du vol prévue, de l’annulation dudit vol) ne doit pas être étendue à l’hypothèse de l’indemnisation prévue en cas de refus d’embarquement (pt 49). Les situations – refus d’embarquement et annulation – ne sont pas non plus comparables.

Ce n’est pas que la Cour de justice exclut par principe le recours au raisonnement par analogie, mais c’est uniquement dans l’hypothèse où l’objectif du règlement (CE) n° 261/2004 le commande, concrètement il faut que cela soit favorable au passager.

Ainsi, la Cour de justice avait-elle jugé, dans son célèbre arrêt Sturgeon, que les passagers de vols retardés de plus de trois heures pouvaient être assimilés aux passagers des vols annulés aux fins de l’application du droit à indemnisation et qu’ils pouvaient ainsi invoquer le droit à indemnisation prévu par l’article 5, § 1, sous c) du règlement (CE) n° 261/2004 (CJCE 19 nov. 2009, Sturgeon (Cts) c/ Condor Flugdienst GmbH (Sté), aff. C-402/07, D. 2010. 1461 , note G. Poissonnier et P. Osseland  ; ibid. 2011. 1445, obs. H. Kenfack  ; JT 2010, n° 116, p. 12, obs. X.D.  ; RTD com. 2010. 627, obs. P. Delebecque  ; RTD eur. 2010. 195, chron. L. Grard  ; ibid. 2015. 241, obs. P. Bures ).

 

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