Indemnisation par l’ONIAM et déduction de la PCH : de la théorie à la pratique
Depuis sa création en 2002, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) est chargé de l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux. Cette procédure d’indemnisation, bien que pensée pour faciliter l’indemnisation des victimes, n’échappe pas, en théorie, au principe de réparation intégrale.
Bien qu’absente du code civil, la règle de la réparation intégrale du préjudice irrigue aujourd’hui le droit de la responsabilité civile, comme une sorte de principe autonome, parfois visé seul par la Cour de cassation (v. par ex., Civ. 2e, 11 sept. 2008, n° 07-16.340, « Vu le principe de la réparation intégrale »). Il signifie que l’indemnisation doit compenser tout le dommage, mais pas plus (en ce sens, Rép. civ., v° Responsabilité : généralités, par P. le Tourneau, n° 12 ; sur le principe de réparation intégrale et les fonctions de la responsabilité civile, v. M.-S. Bondon, Le principe de la réparation intégrale du préjudice, contribution à une réflexion sur l’articulation des fonctions de la responsabilité civile, préf. R. Cabrillac, PUAM, 2020). La victime doit ainsi être indemnisée sans perte ni profit. Si ce principe vaut lorsque c’est le responsable du dommage qui indemnise la victime, il a également vocation à s’appliquer en matière d’accidents médicaux, lorsque la réparation est assurée par l’ONIAM. Mais le respect strict de ce principe comporte parfois des limites, comme le montre l’arrêt rendu par la première chambre civile le 4 septembre 2024.
En 2005, après avoir subi une radiothérapie, un patient a présenté une radionécrose, dont il a conservé d’importantes séquelles. La Commission de conciliation et d’indemnisation ayant conclu à l’existence d’un accident médical non fautif, le patient a accepté une offre d’indemnisation partielle de l’ONIAM. Mais en 2016, le patient a assigné l’Office, ainsi que la Mutuelle générale de l’éducation nationale, afin d’obtenir l’indemnisation de ses autres postes de préjudices. Il a également mis en cause la CPAM du Calvados.
Le 7 décembre 2022, la Cour d’appel de Rennes a condamné l’ONIAM à verser au patient une certaine somme, au titre de l’assistance tierce personne permanente, sous la forme d’un capital. Néanmoins, les juges du fond ont tenu compte du fait que la victime s’était vu allouer, par le département, la prestation de compensation du handicap (PCH), et ce jusqu’au 31 juillet 2024. Aussi, la cour d’appel a déduit la PCH demandée par la victime et allouée jusqu’au 31 juillet 2024 de la somme qu’elle condamnait l’ONIAM à verser.
L’ONIAM a formé un pourvoi en cassation. Dans son moyen, l’Office estime que, lorsque les juges du fond fixent le montant dû par l’ONIAM à la victime au titre des frais d’assistance par tierce personne, ils doivent en déduire le montant de la PCH déjà versée et à verser. En l’espèce, c’est bien ce qu’a fait la Cour d’appel de Rennes, en condamnant l’ONIAM à verser une certaine somme, déduction faite de la PCH versée et à verser jusqu’au 31 juillet 2024.
Mais l’argumentation de l’Office va plus loin. Dans le cas où la victime est simplement susceptible de se voir accorder la PCH à l’avenir, les juges doivent condamner l’ONIAM à verser à la victime une certaine somme non pas sous forme de capital, mais sous forme de rente. Le versement de cette dernière serait alors subordonné à la présentation, par la victime et à intervalles réguliers, d’éléments justifiant le versement ou non de la PCH, ainsi que son montant, afin de permettre à l’Office de verser une somme au titre de l’assistance tierce personne, déduction faite de la PCH éventuellement perçue.
Autrement dit, en l’espèce, pour la période postérieure au 31 juillet 2024, la Cour d’appel de Rennes aurait dû condamner l’ONIAM à verser une certaine somme sous la forme d’une rente, dont le versement aurait été subordonné par la suite au fait que la victime présente régulièrement des documents attestant du versement ou non de la PCH, afin que l’ONIAM adapte, à chaque fois, le montant versé. En ne le faisant pas, les juges du fond auraient violé les articles L. 1142-1 et L. 1142-17 du code de la santé publique, les articles L. 245-1 et L. 245-3 du code de l’action sociale et des familles, ainsi que le principe de réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime.
Le 4 septembre 2024, la première chambre civile rejette le pourvoi formé par l’ONIAM. Au terme d’une motivation développée, la Haute juridiction considère que c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la PCH ne pouvait être déduite de la somme versée par l’ONIAM, au titre des frais d’assistance par tierce personne, au-delà de la période pour laquelle la PCH a été accordée à la victime, et qui a pris fin le 31 juillet 2024. Si, en théorie, le respect du principe de réparation intégrale impliquerait pourtant que le juge déduise la PCH, susceptible d’être perçue, à l’avenir, par la victime, de la somme versée par l’ONIAM, cette solution se heurte à d’importantes difficultés pratiques.
En théorie : le respect du principe de réparation intégrale – Dans sa motivation, la première chambre civile rappelle que la PCH, régie par les articles L. 245-1 et suivants du code de l’action sociale et des familles, est allouée par le département et a un caractère indemnitaire. Elle est fixée en fonction des besoins de la victime d’un handicap et répare certains postes de préjudices, comme celui de frais d’assistance par tierce personne. Partant, les sommes versées au titre de la PCH doivent venir en déduction des sommes dues à la victime par l’ONIAM au titre du poste de frais d’assistance par tierce personne. Autrement, un même préjudice serait doublement indemnisé et le principe de réparation intégrale ne serait pas respecté. Il appartient donc au juge, lorsqu’il fixe le montant dû par l’ONIAM, d’en déduire la PCH déjà versée et à verser. Plus encore, la première chambre civile rappelle que, par le passé, elle a imposé au juge de rechercher si le handicap de la victime conduit au maintien de la PCH pour l’avenir, et de fixer le montant de la rente due par l’ONIAM, en prévoyant la déduction de la PCH qui serait allouée (Civ. 1re, 8 févr. 2017, n° 16-12.489 ; 5 avr. 2018, n° 17-10.657, D. 2018. 2153, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon
; et 14 déc. 2016, n° 15-28.060). Le juge devait ainsi, au nom du principe de réparation intégrale, anticiper le versement potentiel de la PCH pour l’avenir, et en estimer le montant, de façon à adapter le montant de la rente qui serait payée par l’ONIAM. Pourtant, dans l’arrêt du 4 septembre 2024, la première chambre civile ne va pas maintenir cette position, au nom de difficultés pratiques, trop contraignantes pour la victime.
En pratique : la préservation du droit à réparation – La première chambre civile relève plusieurs difficultés pratiques dans la déduction par le juge de la PCH, au-delà de la date à laquelle elle a été allouée. La Cour rappelle que la PCH n’a aucun caractère obligatoire pour la victime, qui n’est pas tenue d’en demander le renouvellement. Elle peut également être interrompue ou suspendue. Dès lors, il n’existe aucune certitude sur le fait que la victime continuera à bénéficier de la PCH au-delà de la date fixée. Consciente de cette difficulté, la deuxième chambre civile a, en 2019, jugé que, dans le cas d’une indemnisation versée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), le juge ne peut déduire la PCH de l’indemnisation due au titre de l’assistance par une tierce personne au-delà de la date pour laquelle elle a été allouée (Civ. 2e, 17 janv. 2019, n° 17-24.083, Dalloz actualité, 13 févr. 2019, obs. A. Hacene ; D. 2019. 125
; ibid. 2058, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon
; RTD civ. 2019. 353, obs. P. Jourdain
). Dans l’arrêt du 4 septembre 2024, la première chambre civile s’aligne donc sur la position de la deuxième chambre civile et transpose la solution retenue, en 2019, en matière d’indemnisation par le FGTI, au cas de l’indemnisation par l’ONIAM. Mais force est de constater que l’analogie entre les deux solutions n’est pas parfaite. En effet, en 2019, la deuxième chambre civile avait tenu compte de la possibilité, pour le FGTI, de demander le remboursement total ou partiel de l’indemnité allouée à la victime, si celle-ci obtient postérieurement, pour le même chef de préjudice, le paiement d’une prestation ou indemnité. En vertu de l’article 706-10 du code de procédure pénale, le FGTI bénéficie ainsi d’une action en restitution. Il en va autrement dans le cadre de l’indemnisation par l’ONIAM. En effet, il n’y a aucune trace dans le code de la santé publique d’une action qui serait accordée à l’ONIAM dans l’éventualité où la victime bénéficierait, par la suite, d’une indemnité ou prestation pour le même chef de préjudice. La première chambre civile, dans l’arrêt du 4 septembre 2024, l’indique même expressément au paragraphe n° 8 : l’ONIAM « ne peut agir en restitution des sommes qu’il aurait versées indûment à une victime ». Par conséquent, ce qui serait valable pour le FGTI ne le serait pas pour l’ONIAM et la seule volonté de se conformer à la solution de 2019 ne suffit pas à justifier la solution retenue en 2024.
C’est, croyons-nous, au sein du paragraphe n° 12 que se trouve la véritable explication à la solution rendue le 4 septembre dernier. Après avoir rappelé qu’il appartient aux juges du fond d’apprécier si la réparation du préjudice doit prendre la forme d’un capital ou d’une rente, la Haute juridiction relève que la victime ne doit pas, à l’avenir, être contrainte de produire régulièrement des justificatifs relatifs à la perception ou non d’une prestation pour obtenir la réparation de son dommage. Toujours dans le cadre d’une indemnisation par le FGTI, la deuxième chambre civile a ainsi jugé que le versement d’une rente au titre de l’assistance par une tierce personne ne peut être subordonné à la production annuelle, par la victime au FGTI, d’une attestation justifiant qu’elle ne perçoit pas la PCH (Civ. 2e, 21 sept. 2023, n° 21-25.187, Dalloz actualité, 11 oct. 2023, obs. N. Allix ; D. 2023. 1650
; ibid. 1977, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon
). Autrement dit, il n’est pas entendable de faire peser sur la victime le fardeau de devoir régulièrement présenter des documents afin de justifier qu’elle a bien droit à l’indemnisation de son dommage. Cette contrainte pourrait en effet dissuader la victime d’effectuer les démarches nécessaires et, in fine, menacer l’effectivité de son droit à réparation.
Cette considération justifie la position de la deuxième chambre civile en matière d’indemnisation par le FGTI, et elle justifie de la même manière la position de la première chambre civile en matière d’indemnisation par l’ONIAM. Le FGTI, créé par la loi du 9 septembre 1986, prend en charge la réparation des dommages des victimes d’actes de terrorisme et d’infractions de droit commun. Alimenté par un prélèvement sur les contrats d’assurance de biens, il organise une réparation au titre de la solidarité. Quant à l’ONIAM, il permet la réparation des dommages subis par les victimes d’accidents médicaux. Financé par une dotation versée par les organismes d’assurance maladie et par diverses dotations de l’État et donc, in fine, financé par le contribuable, il organise, lui aussi, une réparation au titre de la solidarité. Les deux organismes ont ainsi pour objectif commun de faciliter et d’assurer l’indemnisation des victimes, grâce à la solidarité. Dans cette perspective, il serait contreproductif d’imposer à la victime la contrainte de produire régulièrement des justificatifs relatifs à la perception ou non d’une prestation pour pouvoir, ensuite, être indemnisé du préjudice qu’elle a subi. Et il serait discutable de retenir des solutions différentes lorsque l’indemnisation est assurée par le FGTI et lorsqu’elle est assurée par l’ONIAM. Nonobstant le principe de réparation intégrale, pourquoi une victime d’une infraction pénale, indemnisée au titre de la solidarité, serait mieux traitée que la victime d’un accident médical, elle aussi indemnisée au titre de la solidarité ?
Civ. 1re, 4 sept. 2024, FS+B, n° 23-11.723
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