Infirmation d’une ordonnance de refus de placement en détention provisoire et délivrance d’un mandat de dépôt par la chambre de l’instruction
En cas d’infirmation d’une ordonnance de refus de placement en détention provisoire, la chambre de l’instruction peut décerner un mandat de dépôt malgré l’absence de la personne concernée à l’audience. Elle doit d’ailleurs, en principe, que le mis en examen soit présent ou non, opter pour ce type de mandat.
Le code de procédure pénale envisage cinq types de mandats, qui sont des actes judiciaires tendant à faire rechercher ou appréhender par la force publique une personne dénommée, et ce avec une coercition plus ou moins forte. Deux d’entre eux se distinguent : les mandats de dépôt et d’arrêt. Selon la doctrine majoritaire (v. not., Rép. pén., v° Mandats, par C. Guéry, n° 17), ces deux sortes de mandats ne sont pas de simples actes d’instruction et ont une nature juridictionnelle, car ils constituent des titres de détention et exigent une véritable appréciation du juge.
L’arrêt qui retient notre attention apporte d’utiles précisions quant à la marge de manœuvre dont dispose le juge.
En l’espèce, le 3 février 2023, la mère d’un enfant mineur, qui ne respectait pas le droit de visite et d’hébergement du père qui avait été fixé par le juge aux affaires familiales, a été interpellée au Portugal en exécution d’un mandat d’arrêt européen. Le 7 août suivant, elle a été remise aux autorités françaises.
Le juge d’instruction a décidé de la mettre en examen pour non-représentation d’enfant et soustraction d’enfant par ascendant. Il a par ailleurs refusé de saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de placement en détention provisoire et l’a placée sous contrôle judiciaire. Le procureur de la République a interjeté appel de cette dernière décision.
Par arrêt du 29 août 2023, la chambre de l’instruction a infirmé l’ordonnance du magistrat instructeur et décerné un mandat d’arrêt à l’encontre de la mère de l’enfant.
Le 9 janvier 2024, cet arrêt a été partiellement cassé par la Cour de cassation (Crim. 9 janv. 2024, n° 23-85.810, inédit) en ses seules dispositions relatives à la délivrance d’un mandat d’arrêt.
Par arrêt du 26 janvier 2024, la chambre de l’instruction de renvoi a ordonné le placement en détention provisoire de la mise en examen et décerné à son encontre un mandat de dépôt. Celle-ci s’est alors pourvue en cassation.
Une des critiques formulées devant la chambre criminelle concernait l’étendue de la saisine de la juridiction de renvoi et ne soulevait guère de difficulté. Une autre, plus intéressante, portait sur la faculté pour la chambre de l’instruction de décerner un mandat de dépôt lorsque la personne mise en examen est absente lors de l’audience.
Afin de rejeter le pourvoi, la Cour a répondu par l’affirmative et a donné les précisions suivantes : « saisie de l’appel d’une décision de refus de placement en détention provisoire, la chambre de l’instruction, lorsqu’elle infirme l’ordonnance entreprise, ordonne le placement en détention provisoire de la personne mise en examen et délivre mandat de dépôt à son encontre » ; « il appartient au procureur général de mettre à exécution ce mandat et, si la personne visée par celui-ci ne se soumet pas à cette exécution, le juge d’instruction peut décerner, le cas échéant, mandat d’arrêt à son encontre ».
La possibilité pour la chambre de l’instruction de décerner un mandat de dépôt malgré l’absence de la personne concernée à l’audience
En premier lieu, il s’infère de l’arrêt commenté qu’un mandat de dépôt peut être décerné par la chambre de l’instruction malgré l’absence de la personne concernée à l’audience.
Deux éléments ont pu amener le demandeur au pourvoi à considérer le contraire. D’abord, l’article 122 du code de procédure pénale précise uniquement pour le mandat de dépôt – et non pour le mandat d’arrêt – qu’il « peut être décerné à l’encontre d’une personne mise en examen et ayant fait l’objet d’une ordonnance de placement en détention provisoire ». Or, il résulte de l’article 145 du même code qu’une ordonnance de placement en détention provisoire ne peut être rendue par le juge des libertés et de la détention qu’à l’issue d’un débat contradictoire supposant la comparution du mis en examen. Il y a ici l’idée que le mandat de dépôt est l’accessoire de l’ordonnance de placement en détention provisoire ; et comme la seconde exige la présence de la personne concernée, il doit en être de même pour le premier.
Ensuite, dans un arrêt relativement ancien de 1993 où il était question de la phase de jugement, la Haute juridiction avait affirmé que « la délivrance d’un mandat de dépôt, à la différence de celle d’un mandat d’arrêt, implique nécessairement la présence de celui contre lequel il est décerné » (Crim. 7 avr. 1993, n° 93-81.055 P).
Toutefois, deux autres considérations expliquent la solution de l’arrêt analysé. D’une part, les règles relatives au débat contradictoire ne sont pas les mêmes devant la chambre de l’instruction et le juge des libertés et de la détention. Devant la première, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que « les débats sont contradictoires dès lors que sont respectées les prescriptions des articles 197, 198 et 199 du code de procédure pénale » (Crim. 12 juin 1985, n° 85-92.014 P ; v. égal., Crim. 3 juill. 1985, n° 85-92.219 P ; 26 oct. 2004, n° 04-85.036 P, D. 2004. 3194
; JCP 2004. IV. 3477 ; Procédures 2005. Comm. 20, obs. J. Buisson), et donc que les débats peuvent être contradictoires en l’absence de comparution du mis en examen.
D’autre part, au sein d’un arrêt de 2003, postérieur à celui précité, la Cour de cassation avait admis que dans l’hypothèse où la chambre de l’instruction infirme une ordonnance de mise en liberté, le mandat de dépôt précédemment notifié à la personne qui était placée en détention provisoire reprend ses effets (Crim. 9 juill. 2003, n° 03-81.957 P, JCP 2003. IV. 2666). Précision étant faite que dans cette affaire, au moment de l’infirmation de l’ordonnance de mise en liberté, l’intéressé n’était pas présent.
Il convient de souligner que la possibilité de décerner un mandat de dépôt en l’absence du mis en examen concerne la chambre de l’instruction, mais ne vaut évidemment pas, au vu des raisons exposées ci-dessus, pour le juge des libertés et de la détention. Cependant, rien ne semble s’opposer à ce que la solution vaille aussi pour le tribunal correctionnel.
Le principe de la délivrance d’un mandat de dépôt en cas d’infirmation d’une ordonnance de refus de placement en détention provisoire
En second lieu, il résulte de l’arrêt commenté qu’en cas d’infirmation d’une ordonnance de refus de placement en détention provisoire, la chambre de l’instruction doit délivrer un mandat de dépôt à l’encontre de la personne mise en examen ; ce n’est que si cette dernière ne se soumet pas à l’exécution du mandat, et si les conditions requises sont réunies, que le juge d’instruction pourra décerner un mandat d’arrêt. La Cour régulatrice paraît ainsi insister sur le caractère exceptionnel de la délivrance d’un mandat d’arrêt par rapport à celle d’un mandat de dépôt.
Il faut relever à cet égard qu’aux termes du dernier alinéa de l’article 122 du code de procédure pénale, le mandat de dépôt est « l’ordre donné au chef de l’établissement pénitentiaire de recevoir et de détenir la personne à l’encontre de laquelle il est décerné » ; et il « permet également de rechercher ou de transférer la personne lorsqu’il lui a été précédemment notifié ». Le mandat d’arrêt, quant à lui, est défini par le sixième alinéa du même article comme « l’ordre donné à la force publique de rechercher la personne à l’encontre de laquelle il est décerné et de la conduire devant lui après l’avoir, le cas échéant, conduite à la maison d’arrêt indiquée sur le mandat, où elle sera reçue et détenue ». Le second a un aspect coercitif plus important que le premier et ne peut être délivré que sous certaines conditions : selon l’article 131 du code de procédure pénale, la personne doit être en fuite ou résider hors du territoire de la République ; et dans ce dernier cas, selon la jurisprudence (v. not., Crim. 11 janv. 2017, n° 16-80.619 P, Dalloz actualité, 23 févr. 2017, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2017. 196, obs. M. Recotillet
; Dr. pénal 2017. Comm. 49, obs. A. Maron et M. Haas ; Procédures 2017. Comm. 46, obs. A.-S. Chavent-Leclère ; 16 déc. 2020, n° 20-85.289 P, Dalloz actualité, 20 janv. 2021, obs. H. Diaz ; AJ pénal 2021. 161, obs. D. Miranda
; 14 juin 2022, n° 21-86.635 P, Dalloz actualité, 4 juill. 2022, obs. S. Fucini ; D. 2022. 1156
; ibid. 1628, chron. L. Ascensi, E. Barbé, M. Fouquet, B. Joly et O. Violeau
; AJ pénal 2022. 439, obs. C. Margaine
; Procédures 2022. Comm. 212, obs. J. Buisson ; Dr. pénal 2023. Chron. 1, obs. V. Georget), le recours au mandat d’arrêt doit être nécessaire et proportionné en fonction des circonstances de l’espèce.
La lecture du douzième paragraphe de l’arrêt analysé semble néanmoins soulever une interrogation. La chambre de l’instruction n’aurait-elle plus la faculté, bien que les conditions exigées soient réunies, de directement délivrer un mandat d’arrêt en cas d’infirmation d’une ordonnance de refus de placement en détention provisoire ? Nous pensons qu’il n’en est rien et que la rédaction dudit paragraphe est maladroite. À l’aune du premier alinéa de l’article 207 du code de procédure pénale, la chambre de l’instruction a bien la possibilité de décerner dans ce cas un mandat d’arrêt. En outre, et surtout, la Cour de cassation l’a implicitement admis dans son arrêt du 9 janvier 2024 rendu dans la même affaire, en reprochant seulement à la chambre de l’instruction de ne pas avoir suffisamment motivé sa décision de délivrer un mandat d’arrêt (Crim. 9 janv. 2024, n° 23-85.810, préc.).
Crim. 15 mai 2024, F-B, n° 24-80.728
© Lefebvre Dalloz