Inopposabilité de la modification du contrat d’assurance de groupe en l’absence de remise de notice d’information
Il résulte de l’article L. 141-4 du code des assurances qui s’applique à la modification du contrat d’assurance résultant d’un accord collectif que la remise de la notice d’information définissant les nouvelles garanties est une condition de leur opposabilité à l’adhérent.
Décision doublement intéressante rendue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 25 mai 2023. Avant que de se pencher une fois encore sur l’exigence de remise de la notice d’information soulevée par le pourvoi principal, la Cour eut à trancher une question procédurale soulevée par le pourvoi incident et mettant en jeu la recevabilité des demandes formulées en appel. Anecdotique au regard de l’affaire, ce débat procédural ne l’est pas intrinsèquement dans un environnement jurisprudentiel marqué, y compris récemment, par d’interminables discussions et de lourds enjeux pour les avocats : il ne peut être occulté.
La déclaration d’appel peut ne pas mentionner la demande d’infirmation des chefs de jugement expressément critiqués
Le premier point, propre à la procédure, mérite donc de retenir l’attention des praticiens – même peu intéressés par l’assurance collective – exposés dans des conditions difficilement tolérables au pointillisme procédural, souvent à l’initiative des magistrats, mais parfois également à celle de leurs confrères. La recevabilité de l’appel formé à l’encontre de la décision du tribunal de grande instance avait été contestée au prétexte que, dans la déclaration d’appel, l’appelant s’était borné à inscrire le dispositif du jugement critiqué sans formuler ses prétentions en cas de reformation : les intimés, tatillons, en déduisaient que la cour d’appel n’était saisie d’aucune demande et que, partant, l’appel était irrecevable. Le grief n’avait pas prospéré : la cour avait retenu que, par la seule mention des chefs du jugement critiqué, l’appelant demandait « implicitement mais nécessairement » qu’il soit fait droit aux demandes initiales (Agen, 4 janv. 2021, n° 18/00291). Le pourvoi incident critiquait la recevabilité ; il est heureusement rejeté par la Cour de cassation : ni l’article 901, 4°, ni l’article 562 du code de procédure civile n’exigent que la déclaration d’appel mentionne, s’agissant des chefs de jugement expressément critiqués, qu’il en est demandé l’infirmation. De meilleurs spécialistes de la procédure apprécieront la portée de la décision. Cela n’empêche pas d’accueillir cette dernière avec soulagement, et d’observer que, outre sa conformité aux textes, elle s’inscrit dans un courant qui tend à alléger une rigueur procédurale à l’utilité sociale contestable. Après le feuilleton des « dire », « juger » et « constater » qui paraît trouver une fin heureuse (Civ. 2e, 13 avr. 2023, n° 21-21.463), après qu’a été ouverte la régularisation de la déclaration d’appel, nulle ou privée d’effet dévolutif (Cass., avis, 20 déc. 2017, n° 17-70.034, D. 2018. 18
; ibid. 692, obs. N. Fricero
; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle
; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean
; Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288
; ibid. 576, obs. N. Fricero
; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle
; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero
; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon
; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry
; ibid. 458, obs. N. Cayrol
; 29 sept. 2022, n° 21-10.334) en dépit d’une contrainte procédurale et technique improbable (Soc. 13 janv. 2022, n° 20-17.516, Dalloz actualité, 20 janv. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 325
, note M. Barba
; ibid. 625, obs. N. Fricero
; ibid. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot
; AJ fam. 2022. 63, obs. F. Eudier et D. D’Ambra
; Rev. prat. rec. 2022. 9, chron. D. Cholet, O. Cousin, M. Draillard, E. Jullien, F. Kieffer, O. Salati et C. Simon
) et quoique demeure, de manière à peine atténuée (Civ. 2e, 3 mars 2022, n° 20-20.017, Dalloz actualité, 12 mars 2022, obs. C. Lhermitte ; D. 2022. 515
; AJ fam. 2022. 176, obs. D. D’Ambra
; Rev. prat. rec. 2022. 8, chron. E. Jullien et R. Laher
), l’enjeu du « infirmer » dans les conclusions d’appel (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046
, note M. Barba
; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero
; ibid. 1353, obs. A. Leborgne
; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet
; D. avocats 2020. 448 et les obs.
; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, A.-I. Gregori, R. Laher et A. Provansal
; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol
), il est heureux que ne soient pas ajoutées de nouvelles exigences dont l’accomplissement ne présente aucun intérêt particulier pour l’intimé, ni même pour les magistrats.
Conditions d’opposabilité à l’adhérent de la modification du contrat d’assurance de groupe
Passé cet incident de procédure, les faits étaient classiques. Un salarié couvert par un contrat d’assurance collective de prévoyance mis en place par son employeur fut placé en invalidité par la caisse primaire d’assurance maladie en 2011. À ce titre, il perçut une rente invalidité servie par l’assureur en complément de celle versée par la Sécurité sociale. Il fut licencié en 2012 à la suite du constat de son inaptitude par le médecin du travail, et reprit deux ans plus tard, en 2014, une activité professionnelle à temps partiel. Il se trouva que, en application d’un accord collectif, au cours de l’année 2013 et à effet du 1er janvier 2014, avait été conclu entre l’assureur et l’ancien employeur un avenant au contrat d’assurance, lequel avenant autorisait l’assureur à cesser le versement des rentes invalidité en cas de reprise d’activité. Se prévalant de cette nouvelle disposition, l’assureur arrêta le service des prestations, ce que contesta l’ancien salarié, arguant que les modifications décidées lui étaient inopposables faute pour lui d’avoir été destinataire de la nouvelle notice d’information.
Il aurait fallu davantage pour convaincre la cour d’appel qui déboute le salarié en s’appuyant, substantiellement, sur deux arguments distincts relevant, pour l’un du droit des assurances, pour l’autre du droit du travail. D’abord, la cour d’appel observa qu’aux termes de l’article L. 141-4 du code des assurances, dont le troisième alinéa impose au souscripteur « d’informer par écrit les adhérents des modifications apportés à leurs droits et obligations, trois mois au minimum avant la date prévue de leur entrée en vigueur », ne prévoit pas l’inopposabilité de la modification contractuelle en cas de manquement du souscripteur à son obligation d’information. Ensuite, elle soutint que les droits du bénéficiaire étaient fixés par le seul accord collectif en application duquel avait été conclu l’avenant au contrat d’assurance.
L’ancien salarié se pourvut en cassation, soulevant une double violation des dispositions de l’article L. 141-4 du code des assurances. L’argumentation qu’il présentait à la Cour de cassation s’inscrivait dans le prolongement de celle soutenue devant les juridictions du fond. En ce sens, elle était cohérente. Était-elle la plus pertinente ? Toute entière axée sur la question de l’opposabilité de la modification contractuelle réalisée après la réalisation du risque, elle délaissait une question essentielle qui tenait à la possibilité même, pour l’organisme assureur, de modifier les conditions de versement de sa prestation une fois le sinistre parfaitement réalisé. Or, quoique l’assureur le défendit incidemment au cours de la procédure, il ne va pas de soi que, une fois réalisé le sinistre et, a fortiori en matière d’assurance collective, une fois le contrat de travail rompu, l’assureur puisse, y compris dans le cadre d’un avenant passé avec le souscripteur et y compris avec le soutien d’un accord collectif, échapper à l’application du contrat dans sa version en vigueur. La force obligatoire attachée aux conventions, renforcée encore par l’esprit de l’article 7 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 (Civ. 2e, 5 mars 2015, n° 13-26.892, D. 2015. 625
; 6 avr. 2015, n° 14-16.743 ; 17 avr. 2008, n° 07-12.064, D. 2008. 1354
; Dr. soc. 2009. 465, étude D. Rigaud, P. Baron et X. Pignaud
) figent les droits de l’assuré au jour de la réalisation du sinistre : la condition – la réalisation du risque – étant réalisée, l’obligation de verser les prestations est parfaite : la modification de l’obligation de garantir ne l’affecte pas. La Cour de cassation juge même que la disparition du contrat d’assurance de groupe ne prive pas le bénéficiaire du droit de se prévaloir de la revalorisation prévue au contrat résilié (Civ. 2e, 16 juill. 2020, n° 18-14.351). Du reste, ce n’est pas dans une éventuelle modification de l’accord collectif soutenant les garanties que sera trouvée la source de l’application immédiate de la modification du contrat d’assurance de groupe aux prestations en cours de service. L’assureur ne saurait ne se prévaloir de l’accord collectif ; le pourrait-il que celui-ci ne peut porter atteinte aux droits déjà acquis par les salariés que dans un cas, lorsque l’avantage dont profite le salarié est un avantage de retraite (Soc. 20 mai 2014, n° 12-26.322, Dalloz actualité, 12 juin 2014, obs. B. Ines ; D. 2014. 1210
; ibid. 2374, obs. P. Lokiec et J. Porta
; Dr. soc. 2014. 685, obs. V. Roulet
; RDT 2014. 636, obs. C. Nicod
) ?
Toujours est-il que telle ne fut pas la voie choisie par le salarié et la Cour de cassation ne fut saisie que de la question de l’opposabilité de la modification au bénéficiaire. La solution ne surprend pas, quoique son énoncé, en dépit de la motivation formellement renforcée, est insuffisant. Après avoir visé les termes de l’article L. 141-4 du code des assurances et rappelé que le texte ne distinguant pas, celui-ci s’applique peu important que l’opération d’assurance collective procède d’un accord collectif, la Cour de cassation énonce que « la remise de la notice d’information définissant les nouvelles garanties résultant d’une modification du contrat initial d’assurance collective obligatoire est une condition de leur opposabilité à l’adhérent ». La solution est classique. D’abord, elle maintient la stricte indépendance entre le rapport né de l’accord collectif qui unit l’employeur (souscripteur) et les salariés (assurés), et celui né du contrat d’assurance liant l’assureur aux assurés (salariés). Dans l’accord collectif, l’assureur ne trouve aucun salut. Ensuite, elle réaffirme les conséquences du défaut de la remise de la notice d’information à l’occasion de la modification des garanties – elle renvoie expressément à sa jurisprudence, 16 juin 2011, n° 10-22.780, Dalloz actualité, 5 juill. 2011, obs. X. Delpech ; 7 mars 2019, n° 18-10.735) – quoique, une nouvelle fois (comp., Civ. 2e, 30 mars 2023, n° 21-21.008, Dalloz actualité, 18 avr. 2023, obs. V. Roulet ; D. 2023. 732
), la Cour de cassation s’abstient d’énoncer clairement la différence essentielle qu’il convient de faire selon que le défaut d’information procède de l’assureur qui n’a pas communiqué en temps utile au souscripteur la notice d’information ou du souscripteur qui a manqué de communiquer cette notice à l’adhérent. Dans le premier cas – effectivement réalisé en l’espèce –, la modification des garanties est inopposable par l’assureur à l’adhérent ; dans le second, l’assureur peut se prévaloir contre ce dernier des modifications introduites au contrat, à charge pour l’adhérent de se retourner contre le souscripteur et d’engager sa responsabilité.
© Lefebvre Dalloz