Instruction : illustration du délai de forclusion pour agir en nullité
Un témoin assisté ayant ultérieurement été mis en examen par lettre recommandée doit faire état des moyens pris de la nullité de ladite mise en examen, à peine d’irrecevabilité, dans un délai de six mois à compter de cette notification, sauf dans le cas où il n’aurait pu en connaître.
 
                            Une information judiciaire a été ouverte après que deux ouvriers, effectuant des travaux en hauteur, ont chuté d’une nacelle. L’un d’entre eux voyait sa société employeuse mise en examen pour lui avoir involontairement causé une incapacité de travail supérieure à trois mois, par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence, dans le cadre d’une relation de travail.
Par la suite, cette même société a également été placée sous le statut de témoin assisté, du chef de blessures involontaires, pour ce qui concerne l’autre victime, qui, elle, n’était pas son employée. Puis, le 1er juillet 2021, la société a finalement été mise en examen, pour ces mêmes faits, par lettre recommandée. Le 24 avril suivant, une requête en annulation de pièces de la procédure a été présentée, contestant la mise en examen précitée, intervenue près de neuf mois plus tôt.
Si la chambre de l’instruction avait initialement déclaré cette demande recevable, la chambre criminelle prononce une cassation, après avoir relevé d’office une forclusion : faute d’avoir été présentée avant l’expiration du délai de six mois ayant suivi la notification de cette mise en examen, une telle demande s’avérait en réalité irrecevable.
Délai de forclusion du contentieux de l’annulation
Si l’une des parties, ou le témoin assisté, estime qu’une nullité a été commise au cours de l’instruction, elle saisit la chambre de l’instruction par requête motivée (C. pr. pén., art. 173). Sous peine d’irrecevabilité, les moyens de nullité, qui concernent les actes préalables ou concomitants à l’acquisition d’un statut en procédure, doivent être présentés dans les six mois qui suivent cette mise en cause (C. pr. pén., art. 173-1). Par la suite, ce même délai s’applique pour les moyens pris de la nullité des actes accomplis avant chacun des interrogatoires ultérieurs (en ce compris les éventuelles confrontations : Crim. 26 mai 2021, n° 20-86.011 P, Dalloz actualité, 14 juin 2021, obs. M. Recotillet) ou des actes qui ont été notifiés.
C’est ainsi que la personne mise en examen doit faire état des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant son interrogatoire de première comparution ou de cet interrogatoire lui-même dans un délai de six mois à compter de la notification de sa mise en examen, sauf dans le cas où elle n’aurait pu les connaître (C. pr. pén., art. 173-1, al. 1). Il en va de même pour le témoin assisté et la partie civile, à compter de la première audition, puis des auditions ultérieures (C. pr. pén., art. 173-1, al. 2 et 3).
Justifié par l’objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice (Crim., QPC, 20 juill. 2011, n° 11-83.194, D. 2011. 2118  ; RSC 2012. 185, obs. J. Danet
 ; RSC 2012. 185, obs. J. Danet  ; Crim. 8 janv. 2013, n°12-86.591), ce délai de forclusion s’applique, indistinctement, aux moyens de nullité présentés par requête ou par mémoire ultérieur (v. not., Crim. 14 juin 2022, n° 21-87.517, inédit). Outre l’éventualité d’une irrégularité dont le justiciable n’aurait pas eu connaissance (v. par ex., Crim. 5 mars 2019, n° 18-85.752, Dalloz actualité, 22 mars 2019, obs. W. Azoulay ; Légipresse 2019. 135 et les obs.
 ; Crim. 8 janv. 2013, n°12-86.591), ce délai de forclusion s’applique, indistinctement, aux moyens de nullité présentés par requête ou par mémoire ultérieur (v. not., Crim. 14 juin 2022, n° 21-87.517, inédit). Outre l’éventualité d’une irrégularité dont le justiciable n’aurait pas eu connaissance (v. par ex., Crim. 5 mars 2019, n° 18-85.752, Dalloz actualité, 22 mars 2019, obs. W. Azoulay ; Légipresse 2019. 135 et les obs.  ; 26 mai 2021, n° 20-86.011P, préc.), le délai de forclusion ne semblerait toutefois opposable que s’il a valablement été porté à la connaissance de la personne concernée (v. en ce sens, Crim. 30 avr. 2024, n° 23-85.677, inédit, D. 2024. 1435, obs. J.-B. Perrier
 ; 26 mai 2021, n° 20-86.011P, préc.), le délai de forclusion ne semblerait toutefois opposable que s’il a valablement été porté à la connaissance de la personne concernée (v. en ce sens, Crim. 30 avr. 2024, n° 23-85.677, inédit, D. 2024. 1435, obs. J.-B. Perrier  ; et, dans une moindre mesure, Crim. 14 mars 2006, n° 05-87.584, inédit).
 ; et, dans une moindre mesure, Crim. 14 mars 2006, n° 05-87.584, inédit).
Changement de statut et recours en annulation
Le statut de témoin assisté est un statut intermédiaire entre celui de mis en examen et celui de simple témoin, applicable au suspect à l’encontre duquel, il existe, si ce n’est des indices graves ou concordants, des preuves rendant vraisemblables sa participation à la commission de l’infraction. S’accompagnant d’un certain nombre de droits (not. être assisté d’un avocat, présenter des requêtes en nullités, accéder au dossier de la procédure, demander une confrontation - v. les art. 113-1 s. c. pr. pén.), ce statut peut évoluer en fonction des développements de l’instruction : le témoin assisté peut ultérieurement être mis en examen, à sa demande (C. pr. pén., art. 113-6) ou sur décision du juge d’instruction dès lors que des indices graves ou concordants sont apparus à son encontre (C. pr. pén., art. 113-8).
Dans la seconde hypothèse, cette mise en examen peut se faire soit au cours d’un interrogatoire, soit en adressant au témoin assisté une lettre recommandée précisant chacun des faits qui lui sont reprochés, ainsi que leur qualification juridique, et l’informant de son droit de formuler des demandes d’actes ou des requêtes en annulation, ainsi que du délai prévisible d’achèvement de la procédure, conformément aux dispositions des huitième et neuvième alinéas de l’article 116 du code de procédure pénale.
Dans le cadre de l’arrêt commenté, la Cour de cassation vient énoncer, au visa des articles 113-8 et 173-1 du code de procédure pénale, que « sous peine d’irrecevabilité, la personne mise en examen doit faire état des moyens pris de la nullité de la mise en examen à laquelle il a été procédé par lettre recommandée, en application du premier [art. préc.], dans un délai de six mois à compter de sa notification, sauf dans le cas où cette personne n’aurait pu connaître de tels moyens ».
Par voie de conséquence, le moyen de nullité de la mise en examen était irrecevable, faute d’avoir été présenté avant l’expiration du délai de six mois suivant la notification de cet acte, la Cour de cassation étant par ailleurs en mesure de s’assurer que l’intéressée avait pu connaître, dès le moment de sa mise en examen, les irrégularités alléguées. Partant, la cassation a été prononcée.
Une telle solution pourrait paraître rompre avec une jurisprudence ancienne, au bénéfice de laquelle il avait pu être jugé que le délai de forclusion ne commençait à courir qu’à compter de l’interrogatoire de première comparution lui-même, et non pas l’envoi d’une lettre recommandée portant mise en examen selon les règles qui étaient à cette époque applicables (Crim. 29 oct. 2003, n° 03-84.459 P, D. 2004. 109  ; AJ pénal 2004. 34, obs. A. P.
 ; AJ pénal 2004. 34, obs. A. P.  ; JCP 2004. IV. 1045) – étant toutefois observé que la portée de cette jurisprudence doit probablement être mesurée à l’aune des textes alors en vigueur, lesquels venaient au demeurant d’être largement refondus par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.
 ; JCP 2004. IV. 1045) – étant toutefois observé que la portée de cette jurisprudence doit probablement être mesurée à l’aune des textes alors en vigueur, lesquels venaient au demeurant d’être largement refondus par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.
Pour conclure, relevons que la forclusion, qui découle de l’expiration du délai imparti au témoin assisté pour invoquer la nullité d’actes antérieurs à son audition en cette qualité, ne saurait être remise en cause par une mise en examen ultérieure de l’intéressé (Crim. 6 mars 2013, n° 12-87.922 F-P+B, Dalloz actualité, 8 avr. 2013, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2013. 416, obs. C. Girault  ). En d’autres termes, une mise en examen subséquente ne permet pas de venir critiquer, parmi les actes qui lui sont antérieurs, ceux qui auraient déjà pu l’être en qualité de témoin assisté (principe qui prévaut également en cas de cumul de qualités : Crim. 25 nov. 2014, n° 14-83.707, Dalloz actualité, 5 janv. 2015, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2015. 156, et les obs.
). En d’autres termes, une mise en examen subséquente ne permet pas de venir critiquer, parmi les actes qui lui sont antérieurs, ceux qui auraient déjà pu l’être en qualité de témoin assisté (principe qui prévaut également en cas de cumul de qualités : Crim. 25 nov. 2014, n° 14-83.707, Dalloz actualité, 5 janv. 2015, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2015. 156, et les obs.  ).
).
Crim. 17 sept. 2024, FS-B, n° 23-87.260
Lefebvre Dalloz