Intelligence artificielle : le ministère table sur un premier assistant IA pour 2025

Missionné par le ministre de la Justice à la mi-février, un groupe de travail d’une vingtaine d’experts vient de rendre ses conclusions. Il suggère dix propositions pour démocratiser, maîtriser et accompagner le passage aux outils basés sur l’intelligence artificielle.

Sur l’intelligence artificielle, les rapports se suivent à rythme soutenu. Après les travaux de la Cour de cassation, remis à la fin avril, le groupe de travail mis en place par le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, à la mi-février vient de rendre également sa copie. Ce rapport de 128 pages, réalisé sous la direction de Haffide Boulakras, directeur adjoint de l’École nationale de la magistrature, assisté d’une vingtaine d’experts, principalement du monde judiciaire, préconise « d’orienter prioritairement l’action ministérielle autour de trois axes stratégiques complémentaires ».

Il s’agit de la démocratisation de « l’accès à l’intelligence artificielle », de la préservation « de la souveraineté technologique en veillant à assurer la maîtrise effective des dispositifs déployés », et de l’accompagnement « des professionnels » dans le respect « des exigences éthiques ».

Concrètement, ces trois axes s’incarnent dans dix mesures. La première, reprise par le ministère et attendue pour cette année, est la mise en place d’un assistant IA, « sécurisé et souverain ». « Dédié à l’ensemble des magistrats et agents du ministère de la Justice », il aura des fonctions « de recherche, de synthèse, de rédaction et de retranscription ».

Toujours en 2025, le groupe de travail plaide pour l’installation d’un environnement numérique souverain d’hébergement au plus tôt. La condition indispensable pour « déployer au plus tôt les cas d’usage », dont l’assistant IA, rappelle-t-il. Outre ce déploiement, les auteurs du rapport suggèrent de faire également l’acquisition de licences permettant « l’usage de solutions de recherches juridiques augmentées par l’IA, pour notamment faciliter le travail des magistrats ». La Place Vendôme avait déjà indiqué espérer voir aboutir en 2025 un outil de retranscription automatique des entretiens (Dalloz actualité, 17 févr. 2025, obs. G. Thierry). Un « premier terrain d’expérimentation » devant « permettre d’approfondir les travaux de conception d’outils internes pour faciliter le travail des parquets et des greffes », expliquait-elle alors.

Douze cas d’usages

Pour l’année suivante, en 2026, le groupe de travail table sur le déploiement d’outils dédiés « pour accompagner les douze cas d’usages prioritaires » identifiés. Pour l’administration pénitentiaire, il s’agit de l’interprétariat instantané fonctionnant hors connexion, la vidéosurveillance intelligente dans les établissements pénitentiaires, et la détection vidéo intelligente pour la lutte antidrones. Côté protection judiciaire de la jeunesse, le cas d’usage prioritaire est un agent conversationnel juridique pour les agents.

Dans les juridictions civiles, il s’agit d’un outil d’analyse et de recherche documentaire avancée, une aide à la rédaction et synthèse contextualisée, et enfin une orientation des procédures ou courriers au sein des juridictions. Pour les juridictions pénales, les trois cas d’usages sont les mêmes. Civil et pénal partagent enfin un intérêt pour le cas d’usage de la retranscription judiciaire des audiences et auditions. Enfin, une solution d’orientation du justiciable pour les agents est signalée pour l’accueil du justiciable.

La question de la justice prédictive est quant à elle jugée « galvaudée ». Même si « certains opérateurs privés ont commencé à s’emparer », « il n’apparaît pas pertinent que le ministère s’engage à ce jour si ce n’est pour en démontrer les limites et en combattre les éventuels effets néfastes », précise le groupe de travail.

Aider les agents et les concepteurs

Pour accompagner ce changement en cours, le groupe de travail prône la diffusion d’une « charte d’usage des outils d’IA ». Que ce soit à destination des utilisateurs mais aussi des concepteurs-développeurs des outils d’IA. Il propose également la création d’un label « IA digne de confiance » « afin d’encadrer l’usage des solutions proposées par des éditeurs juridiques » et les entreprises de la « legaltech ». Pour les magistrats et les agents du ministère, le groupe de travail propose de mettre à leur disposition « l’outil d’aide à la conformité développé par la mission ». Ce dernier intègre notamment « un arbre décisionnel juridique », destiné à « faciliter la compréhension du cadre juridique applicable aux projets IA ».

Le groupe de travail suggère ensuite de mettre en place une direction de programme IA. Cette dernière, « intégrant les expertises techniques, métier, juridiques et éthiques », serait rattachée au secrétariat général du ministère. Autre création envisagée, celle d’un observatoire de l’IA, chargé de piloter la stratégie d’intégration, de suivre les usages et leur impact sur les métiers, tout comme une veille scientifique. Ou encore celle d’un « campus du numérique dédié à la justice ». Ce dernier aurait pour vocation la sensibilisation des magistrats et agents « aux enjeux de l’intelligence artificielle ». Une façon de « les accompagner dans l’appropriation des outils numériques et de leur proposer des formations adaptées à l’évolution des pratiques professionnelles et aux exigences éthiques ».

À plus long terme, le groupe de travail appelle à « engager des travaux visant à faire évoluer le cadre réglementaire national, en veillant à leur cohérence avec les principales normes européennes », du règlement européen sur l’IA, au RGPD en passant par la directive Police-Justice. « La règle de droit doit donc être rendue lisible, harmonisée et activable, afin qu’elle protège, légitime et accélère l’innovation européenne dans l’ère de l’intelligence artificielle », précisent les auteurs. Et de regretter un « enchevêtrement des textes, notamment supranationaux », des « définitions floues », et des « incertitudes réglementaires ». Autant de chantiers qui doivent d’ici 2027 faire de l’IA « un véritable pilier du service public de la justice », indique le ministère. 

 

par Gabriel Thierry, Journaliste

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