Interdiction de paraître et droit de propriété : halo sur la motivation d’une obligation particulière du sursis probatoire

La juridiction qui souhaite assortir au sursis probatoire l’interdiction de paraître en un lieu dont le prévenu est propriétaire doit rechercher si l’atteinte portée à son droit de propriété est proportionnée, nonobstant les dispositions de l’article 485-1 du code de procédure pénale.

En l’espèce, à l’issue d’un conflit de voisinage opposant une association et un individu, propriétaire d’un bien voisin à celui dont l’association est locataire, à propos d’une servitude de passage. En première instance, il a été condamné des chefs de mise en danger de la vie d’autrui et de vol à une peine de un an d’emprisonnement avec sursis. Saisie de l’appel de ce jugement, la Cour d’appel de Rouen l’a condamné des chefs de vol et de dégradation volontaire du bien d’autrui à la peine de six mois d’emprisonnement assortie du sursis probatoire pendant deux ans. Cette modalité d’exécution de la peine comprend, en outre, une interdiction de paraître en certains lieux, dont le bien dont il est propriétaire, auquel est rattaché la servitude de passage. Il forme alors un pourvoi en cassation. Au soutien de son pourvoi, il estime que la cour d’appel a méconnu l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, et les articles 544 du code civil et 593 du code de procédure pénale, en s’abstenant de rechercher si le prononcé de l’interdiction de comparaître sur son bien ne portait pas une atteinte excessive au droit de propriété de l’intéressé, eu égard aux faits pour lesquels il a été reconnu coupable.

L’absence de motivation des obligations particulières du sursis probatoire

L’exécution d’une peine d’emprisonnement sous la forme d’un sursis probatoire consiste, durant un certain temps d’épreuve, à soumettre le probationnaire à des mesures de contrôle et des obligations particulières, prévues aux articles 132-44 et 132-45 du code pénal, ordonnées au terme d’une appréciation casuistique. C’est ainsi que, par exemple, en cas d’infraction routière, le probationnaire peut être obligé de « s’abstenir de conduire certains véhicules déterminés par les catégories de permis prévues par le code de la route ou de conduire un véhicule qui ne soit pas équipé, par un professionnel agréé ou par construction, d’un dispositif homologué d’antidémarrage par éthylotest électronique » (C. pén., art. 132-45, 7°). Aussi, il peut lui être interdit « de paraître en tout lieu, toute catégorie de lieux ou toute zone spécialement désignés » (C. pén., art. 132-45, 9°), dès lors que ce lieu se situe sur le territoire national (v. s’agissant de l’interdiction de se rendre en Algérie, Crim. 31 janv. 2024, n° 23-81.704, Dalloz actualité, 27 févr. 2024, obs. A. Roques ; D. 2024. 215 ; AJ fam. 2024. 63, obs. L. Mary ; AJ pénal 2024. 111 et les obs. ; ibid. 167 et les obs. ; Dr. fam. 2024. 34, obs. P. Bonfils ; et en Andorre, Crim. 29 oct. 1998, n° 97-83.899, RSC 1999. 578, obs. B. Bouloc ; JCP 1999. I. 151, obs. J.-H. Robert ; Dr. pén. 1999, n° 58, obs. J.-H. Robert).

S’agissant de ces obligations particulières, la juridiction de jugement peut en lister le contenu, le juge de l’application des peines ayant alors la charge de déterminer avec plus de précision les modalités de leur exécution (Crim. 18 juin 2003, n° 02-85.267 ; 29 avr. 2003, n° 01-88.592 ; 26 mars 2003, n° 02-85.498 ; 13 nov. 2001, n° 00-88.128 P, RSC 2002. 322, obs. B. Bouloc ; Procédures 2002, n° 79, note J. Buisson). Toutefois, « les obligations particulières du sursis probatoire n’ont pas à être motivées » (C. pr. pén., art. 485-1). Néanmoins, s’agissant de l’obligation prévue par l’article 132-45, 9°, du code pénal, l’absence de motivation pose question. En effet, lorsque, comme tel est le cas en l’espèce, l’interdiction concerne une zone ou un lieu dont l’intéressé est propriétaire, cette obligation semble s’analyser comme une atteinte au droit de propriété, car elle le prive de son usage (CEDH 21 févr. 1986, James c/ Royaume-Uni, n° 8793/79). Elle n’en est pas moins légitime, dans la mesure où le droit de jouir et de disposer de la chose de la manière la plus absolue n’est permis qu’à la condition de ne pas en faire un usage prohibé par les lois ou les règlements, ou de nature à nuire aux droits des tiers (Civ. 3e, 20 mars 1978, n° 76-12.598). Comme c’est le cas en matière de saisie (Crim. 16 janv. 2019, n° 17-83.006,  Dalloz actualité, 7 févr. 2019, obs. C. Fonteix ; D. 2019. 131 ; AJDI 2019. 646 , obs. S. Porcheron ) et de confiscation (Crim. 13 juin 2017, n° 16-83.201, D. 2017. 1305 ), l’interdiction faite à un individu de paraître dans un lieu dont il est propriétaire, quand bien même elle ressort de l’article 132-45, 9°, du code pénal, constitue une atteinte légitime au droit de propriété, à condition d’être proportionnée (CEDH 26 févr. 2009, Grifhorst c/ France, n° 28336/02, § 105, D. 2009. 2825, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; RSC 2009. 597, obs. H. Matsopoulou ; 9 juill. 2009, Moon c/ France, n° 39973/03, § 45, D. 2009. 2825, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; RD publ. 2010. 883, obs. F. Sudre).

C’était en l’espèce tout le sens de la question posée à la chambre criminelle de la Cour de cassation : l’interdiction de paraître en certains lieux, telle qu’elle ressort de l’article 132-45, 9°, du code pénal, lorsque ceux-ci appartiennent au condamné, doit-elle être motivée, pour apprécier la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé.

La proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété par l’interdiction de paraître en certains lieux

En l’espèce, la Cour de cassation statue aux visas de l’article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 485-1 du code de procédure pénale. Il s’en déduit que « le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte au droit de propriété de l’intéressé portée par la peine qu’il prononce lorsqu’une telle garantie est invoquée, ou procéder à cet examen d’office lorsque les modalités d’une peine […] privent le condamné de la jouissance de sa propriété » (§ 8 de la présente décision). D’ores et déjà, le premier apport de la décision apparaît : quand bien même il s’agit d’une obligation particulière du sursis probatoire, la juridiction qui prononce à l’égard du prévenu l’interdiction de paraître dans un lieu dont il est propriété doit motiver sa décision.

Or, la motivation de la cour d’appel semblait insuffisante. Elle a seulement relevé l’absence de casier judiciaire de l’intéressé (§ 9), et sa « malveillance injustifiable » (§ 10) lors de la commission des actes poursuivis, pour affirmer qu’elle avait motivé sa décision au regard des faits et de la personnalité de l’intéressé (§ 11). Pour la Cour de cassation, elle avait en ce sens correctement justifié la peine prononcée et le sursis probatoire, mais s’était insuffisamment épanché sur le contrôle de proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété du prévenu (§ 12). Dès lors, elle casse l’arrêt de la cour d’appel de Rouen et renvoie les parties devant la même juridiction, autrement composée.

À cette solution prévisible, on peut néanmoins remarquer que la Cour de cassation n’apporte pas de précisions sur la teneur du contrôle qui doit être opéré, et sa retranscription au travers de la motivation de la juridiction, comme elle avait par exemple pu le faire en matière de confiscation (Crim. 23 nov. 2022, n° 21-85.668, Dalloz actualité, 4 janv. 2023, obs. C. Fonteix ; D. 2022. 2163 ; AJ pénal 2023. 46, obs. M. Hy ; ibid. 2022. 594 et les obs. ; 24 juin 2020, n° 19-85.074, Dalloz actualité, 4 sept. 2020, obs. S. Goudjil ; D. 2020. 1361 ; 27 juin 2018, n° 16-87.009, Dalloz actualité, 24 juill. 2018, obs. M. Recotillet ; D. 2018. 1494 ; ibid. 2259, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire ; Rev. sociétés 2018. 674, note B. Bouloc ; RTD com. 2018. 804, obs. B. Bouloc ; 15 mars 2017, n° 16-83.838, Dalloz actualité, 7 avr. 2017, obs. C. Benelli-de Bénazé  ; D. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire  ; 8 mars 2017, n° 15-87.422, Dalloz actualité, 3 avr. 2017, obs. C. Fonteix ; D. 2017. 648 ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; RDI 2017. 240, obs. G. Roujou de Boubée ; v. aussi, en matière de restitution d’un bien saisi, Crim. 7 févr. 2024, n° 23-81.336, Dalloz actualité, 1er mars 2024, obs. M. Slimani ; D. 2024. 262 ; AJ pénal 2024. 162 et les obs. ; Légipresse 2024. 77 et les obs. ). Tout au mieux, on peut prédire qu’il sera nécessaire de mettre d’autant plus en exergue le lien qui unit la gravité de l’infraction commise au but recherché, et pas seulement de se contenter des critères classiques d’individualisation, qui justifient bien la peine, voire la modalité d’exécution, mais pas l’atteinte à un droit fondamental de la personne poursuivie ou condamnée.

 

Crim. 2 mai 2024, F-B, n° 23-83.845

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